Vingt ans après le sacre des Bleus en Coupe du Monde à domicile, « la flamme est toujours là », s’émeut l’attaquant vedette de la sélection 98, Youri Djorkaeff. Le 12 juin dernier, le champion du monde a fait vibrer le stade U Arena aux côtés de ses « frères d’arme » : Zidane, Barthez, Desailly et consorts, pour le plus grand plaisir du public. De passage à Paris, celui qui promeut à présent le football tricolore à l’étranger, se confie sur sa vie « en Bleu », sur sa perception du football actuel et aborde également son nouveau combat en faveur des Réfugiés.
Deux décennies après l’éclatante épopée des Bleus lors de la coupe du monde de football de 1998, suivie de la victoire à l’Euro 2000, vous avez laissé aux côtés de vos coéquipiers à l’instar de Zidane, Lizarazu, Barthez, Desailly…, un souvenir indélébile dans le football français. Quels souvenirs gardez-vous de cette aventure sportive et humaine qui transcende aujourd’hui encore les générations ?
Nous sommes en 2018, et la flamme est toujours là, ce qui paraît fou ! Chaque jour, nous avons des démonstrations d’affection de la part des Français que nous croisons dans la rue, dans les aéroports ou dans les hôtels… Nous sommes dans le cœur des Français. Cette étoile épinglée sur le maillot de l’équipe de France, personne ne pourra jamais nous l’enlever tout comme l’amour que nous porte nos compatriotes. Quand nous regardons la coupe, nous pensons à tous ce qu’il y a autour : la Famille des bleus, la France, nos proches… Le mondial de football est un événement qu’une sélection nationale ne peut pas manquer, à plus fortes raisons si elle est le pays hôte. Nous étions donc soumis à une pression à son paroxysme !
Heureusement, nous étions un groupe très soudé, nous savions qu’une fois rentrés en compétition, nous aurions cette capacité à nous mettre dans une bulle pour être inatteignables et inattaquables. Ceci pour nous concentrer pleinement sur l’événement et ses enjeux. Une grosse machine comme l’Equipe de France peut malgré tout s’enrayer, cependant notre force était la cohésion : le collectif se connaissait depuis 1996, nous avions ainsi été amenés à batailler ensemble, un peu comme des « frères d’armes ». Ce lien indestructible entre nous a largement contribué à notre victoire.
Croyez-vous aux chances des Bleus de remporter la coupe du monde 2018 ?
Nous avons une équipe assez jeune, très talentueuse, mais peu expérimentée des grands rendez-vous internationaux à forte charge émotionnelle et médiatique. Je pense qu’aujourd’hui l’Equipe de France se construit à travers cette compétition pour aller crescendo et gagner en maturité. Demain, elle pourra sans conteste ressortir victorieuse devant des grosses machines comme l’Allemagne, l’Espagne, le Brésil. Pour cette coupe du monde, je leur pronostique une arrivée jusqu’au quart de final, sachant qu’après, tout peut arriver !
Quel regard posez-vous sur le football actuel ?
Je pense que le football actuel est devenu une vraie entreprise. Néanmoins, n’oublions pas que le foot est tout sauf une entité qui se gère uniquement à travers le prisme du business ! Nous devons toujours être capables de cultiver la flamme auprès des spectateurs et d’insuffler ce supplément d’âme cher au public. L’émotion doit être la finalité de notre relation car, sans affect, le public se détournera du ballon rond. Certaines personnes fortunées ayant investi dans ce sport, n’ont pas forcément rencontré le succès…pourquoi ? Parce que le football va bien au-delà d’une simple vision comptable.
Regardez ce qui s’est passé aux Etats-Unis dans les années 80 avec la désaffection du public pour le base-ball, nous devons rester vigilants pour demeurer un sport populaire. En étant pleinement conscient de ces enjeux et sous l’égide de la Ligue Française de football, je m’emploie à promouvoir le foot tricolore à l’étranger auprès d’investisseurs. A travers mes missions « d’ambassadeur », je recherche des personnes qui ont une vraie plus-value à apporter aux clubs hexagonaux, ainsi je discute par exemple avec des dirigeants à la tête de franchises pourvus d’une véritable expertise dans le marketing, dans le ticketing, dans l’événementiel…Nous avons beaucoup à gagner en collaborant avec ces professionnels.
Aujourd’hui vous avez changé de “costume” pour vendre le football français auprès des investisseurs étrangers. Le foot tricolore est-il désirable ?
Il le devient, pour deux raisons d’ailleurs : d’abord parce que le football anglais est maintenant saturé. Si McCourt s’est retrouvé à investir sur Marseille, c’est en raison de son offre sur Tottenham qui n’a pas aboutie. Quant à l’Espagne, tous les investisseurs savent pertinemment que Madrid et Barcelone sont deux clubs intouchables. La France a donc une carte à jouer pour séduire les potentiels entrepreneurs. Je fais partie d’une sorte de task force qui multiple les road-show outre-Atlantique, en Asie, au Moyen-Orient…mes collègues et moi, sillonnons le monde pour discuter avec des banquiers, des Family office, des entrepreneurs : notre objectif est de valoriser nos clubs et la marque France.
Vous avez porté le maillot du PSG pendant 1 saison entre 1995 et 1996, deux décennies plus tard le club parisien a pris une autre dimension avec l’arrivée du fonds souverain qatari. Mercato record, domination sans discontinuer en Coupe de France, Coupe de la Ligue et Trophées des Champions ; que pensez-vous du PSG à l’ère qatarie ?
Je trouve que les Qataris ont réussi en très peu de temps à donner une dimension internationale au PSG. Paris a toujours été un très grand club français, à l’échelon européen, je dirai que le club était assez visible. Mais aujourd’hui, le PSG est mondialement connu et respecté. En témoigne encore, le dernier transfert de Neymar qui a mis le Paris Saint Germain sous les feux des projecteurs. S’agissant des résultats sur la scène européenne, ils finiront par être là. Là où je nuancerai mon propos, c’est sur la question de l’ADN du club : le PSG ne doit jamais perdre de vue qu’il s’adresse avant tout aux Parisiens puis aux Franciliens et, enfin, plus largement aux Français.
Que manque-t-il aux clubs français pour rééditer l’exploit de l’OM en Europa League en 1993 ? Pour se hisser au même niveau de compétition que leurs voisins espagnol, anglais ou allemand ?
Si Marseille a été sacré en Europa League, cela prouve que nous en sommes capables. Au-delà de l’argent que nous avons par exemple aujourd’hui au PSG, il faut aussi coaliser nos forces dans l’encadrement. J’estime que nous aurions beaucoup à gagner en nous entourant d’anciens champions de football qui, eux, connaissent parfaitement ce sport. Actuellement, les champions nous les avons sur le terrain mais quid des anciennes gloires à des postes clefs du management ? Restons sur l’exemple du PSG que j’affectionne particulièrement, le président Nasser Al-Khelaïfi serait bien avisé de s’entourer de ces profils combatifs, de joueurs titrés.
…Ce portrait robot de directeur sportif vous correspond assez bien ?
(Rires). Moi ou d’autres. Aujourd’hui, lorsque je regarde tous ces grands clubs à l’instar du Real, du Barça ou du Bayern, force est de constater qu’ils enchaînent les victoires. Je vous demande de vous attarder objectivement sur leurs organigrammes : vous y trouverez pléthores d’anciens champions qui managent les équipes. A ce propos, l’ancien international Leonardo avait accompli un travail extraordinaire au PSG…
En 2011, vous avez crée la fondation « The Djorkaeff Foundation” qui vise à aider les jeunes qui n’ont pas les moyens de jouer au football aux Etats-Unis, pays où la cotisation annuelle dépasse les 1300 euros. Récemment, vous avez décidé de mettre votre notoriété et votre réseau, au service de la cause des réfugiés pour égayer le quotidien difficile de ces-derniers. Vous venez de lancer ce mois de juin des camps de foot installés dans des centres d’accueil en Grèce, et avez d’ailleurs obtenu le soutien de l’UNICEF. Pourriez-vous revenir sur cet engagement ?
Un jour, je suis tombé sur un documentaire consacré aux réfugiés à Calais : j’ai été profondément indigné par ce que j’avais pu voir. Comment pouvait-on décemment en France accueillir ainsi des gens fuyant la guerre et les bombardements ? Quelque part, Je suis aussi un réfugié puisque mes grands-parents ont fui la Turquie durant le génocide arménien, dans leur exil ils ont d’ailleurs transité par Alep en Syrie avant de prendre un bateau en direction de Marseille. De fait, j’ai décidé d’aller frapper à la porte de l’UNICEF à New York pour réfléchir à une manière de les aider. Mon objectif était de faire quelque chose pour les soutenir au plus près, au cœur même des camps de réfugiés en Grèce.
Ce mois de juin, nous venons d’inaugurer deux camps de football à Athènes avec une capacité d’accueil de 280 enfants. Du lundi au jeudi, ils pourront s’adonner aux joies du ballon rond tout en étant encadrés par des coach qualifiés de l’ONG Planet Earth. Quant au vendredi, ils auront droit à une journée extra-sportive dédiée à la découverte de la musique, des sciences, des cultures du monde, à l’informatique…En clair, je veux que ces personnes sachent qu’elles ne sont ni seules, ni oubliées. Si nous nous montrons indifférents au sort des réfugiés et, plus particulièrement, à la détresse des enfants, alors demain quand ils deviendront adultes ils seront dans l’incapacité de se construire, nourrissant au passage de la rancœur envers leurs congénères. Les valeurs véhiculées par le foot pourront ainsi inspirer ces jeunes qui, plus tard, deviendront des travailleurs actifs : ils s’éveilleront à la culture du respect, de l’effort, ils développerons l’esprit de compétition, de solidarité et la cohésion d’équipe…
Alors que votre carrière était naissante dans les années 80, vous avez été victime de racisme en région lyonnaise. Les années passent et le monde du football se heurte toujours à des actes caractérisés de haine et de racisme à l’endroit de joueurs originaires d’Afrique notamment ; Comment éradiquer ce cancer qui gangrène le sport le plus populaire du monde ?
Il faut être ferme ! Nous devons aller au-delà des campagnes télévisées élaborées par l’UEFA qui – le temps d’un spot de 20 secondes – martèleront « No racism » : à mon sens, il faut faire de la pédagogie dans les clubs, promouvoir la diversité et même la mixité dans le staff. Le football est un sport formidable car il donne sa chance à tout le monde quelque soit sa race ou religion, nous devons donc continuer à éduquer et combattre la stigmatisation, tout en ouvrant davantage ce sport aux femmes à des niveaux de direction.