Un analyste financier met en doute la pertinence des investissements d’IBM dans l’informatique cognitive. Selon lui, Watson n’est pas le mieux placé pour profiter du boom de l’IA.
La plate-forme d’IA Watson est présentée par IBM comme le futur joyau du groupe, celui qui est censé inverser la courbe déclinante du chiffre d’affaires de la société. Mais l’argument ne convainc pas vraiment James Kisner, un analyste de la banque d’investissement Jefferies. Dans un long rapport, l’analyste se penche sur cette activité naissance, pour laquelle Big Blue ne fournit pour l’heure aucune données détaillée en matière de chiffre d’affaires réalisé.
Si l’analyste admet qu’IBM possède « une des plates-formes d’informatique cognitive les plus avancées à ce jour », il estime que l’environnement concurrentiel ne favorise pas la firme d’Armonk. Primo, si le marché des applications d’IA semble bien appelé à croître rapidement (avec une progression moyenne de 18 % d’ici 2020, pour atteindre 6,3 milliards de dollars, selon IDC), la part de marché de Big Blue serait structurellement limitée par le coût des projets Watson. James Kisner compare la solution à une « Cadillac », requérant d’importantes prestations de conseil afin de réunir et préparer les données. « Notre enquête suggère que Watson se montre pointilleux sur les données que les entreprises peuvent lui donner à ingérer ; en d’autres termes, IBM a des standards très élevés en matière de préparation de données », écrit l’analyste. Un point que confirme notre interview avec l’équipe projet du Crédit Mutuel CIC, un des premiers utilisateurs de Watson en France. De son côté, James Kisner cite le projet autour de Watson mené par le centre médical spécialisé dans le traitement du cancer MD Anderson, un projet stoppé après que l’institution de santé a dépensé plus de 60 millions de dollars.
La data fera la différence
Autre remarque pertinente de Kisner : Big Blue n’est pas forcément le mieux positionné pour profiter du boom de l’IA, domaine où la concurrence devient importante (avec des investissements importants des autres grands noms de l’IT et pas moins de 1 900 start-ups recensées). « Ce qui a déjà un impact sur les prix, relève l’analyste. Par exemple, IBM a diminué, en octobre 2016, le prix de Watson Conversation de 70 %, de 0,0089 $ à 0,0025 $ par requête sur l’API par mois. »
Plus grave peut-être : l’analyste de la banque Jefferies pense que le facteur différenciateur dans l’IA réside davantage dans les données et les hommes, que dans les algorithmes. « Le comportement standard de nombre d’acteurs du Web 2.0 ou du Cloud hyperscale consiste à publier leurs algorithmes en Open Source », remarque James Kisner, citant Google et son Tensor Flow. Or, sur le terrain de la donnée – et malgré les rachats de The Weather Channel (données météo) et Truven Health (données de santé et analytique) -, IBM n’a clairement pas le dessus face à Google, Amazon ou Facebook. L’autre ressource essentielle, ce sont les compétences essentielles pour adapter les algorithmes aux besoins spécifiques des entreprises, selon Kisner. Et ce dernier de remarquer qu’IBM ouvre bien moins de postes en IA qu’Amazon, Apple ou Microsoft. La démonstration de l’analyste se fait ici moins convaincante, la publication d’annonces d’emploi n’étant pas la seule façon de se constituer une force de frappe en intelligence artificielle, en particulier dans un groupe qui emploie déjà des milliers d’ingénieurs sur des sujets voisins.
Watson : 5 % des bénéfices d’IBM… au mieux
Il n’empêche : pour l’analyste, « même avec des hypothèses favorables » (comme une grosse activité créée par Watson en services au sein d’IBM Global Services), Big Blue aura du mal à rentabiliser ses investissements dans l’IA. Soit 15 Md$ sur 5 ans dépensés pour la seule période allant de 2010 à 2015, selon un document officiel de Big Blue remis au gendarme de la bourse américaine, auxquels s’ajoutent 5 Md$ dépensés pour racheter The Weather Channel et Truven Health. « Du point de vue du bénéfice par action, il nous paraît improbable, quel que soit le scénario, que Watson puisse générer des bénéfices substantiels au cours des prochaines années », écrit James Kisner, dont le scénario le plus favorable limite l’influence de Watson à 5 % des bénéfices d’IBM en 2019.
Avec silicon.fr