«Historique» ! En recevant ce dimanche 25 novembre à Tel-Aviv, le Tchadien Idriss Déby, Benjamin Netanyahou ne s’est certainement pas retenu de jubiler : c’est la première visite d’un président tchadien depuis la rupture des relations entre les deux pays, il y a quarante ans. Même s’il ne s’agit pas d’une reprise officielle des relations entre N’Djamena et Tel-Aviv, Israël opère un discret retour en Afrique où elle tisse lentement, mais sûrement la toile de ses relations, sous couvert d’une coopération sécuritaire antiterroriste.
Il fallait être dans le secret des Palais Rose à Ndjamena ou Beit Aghion à Jérusalem-ouest pour être au fait de cette visite inédite. Jusqu’à ce que Idriss Déby soit reçu, ce dimanche 25 novembre, dans le bureau de Benjamine Netanyahou, cette visite ainsi que ses ressorts avaient été tenus secrets.
Avec Israël, Déby s’est-il trouvé un allié de substitution?
Et pourtant, il semble que cette première d’un président tchadien en Israël ait été scellée lors des célébrations de la fin de la Première Guerre à Paris. Un mois auparavant, un intense lobbying pour ramener Idriss Déby en Israël s’était manifesté par la visite d’une délégation israélienne à N’Djamena pour discuter des derniers détails de la venue de l’homme à la canne. Chose que Dore Gold, alors directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères et homme-lige de Netanyahou, n’avait pas réussi à décrocher lorsqu’il rencontre, discrètement en juillet 2016, Idriss Deby dans son Palais de Fada, aux portes du désert.
Pour sa visite, le locataire du Palais Rose a donc a été reçu dans le faste et avec les honneurs, avec un passage en revue de la garde nationale à son arrivée à l’aéroport, un tête-à-tête avec le Premier ministre, suivi d’un dîner de travail et d’une audience avec le président Reuven Rivlin. Commentaire du Premier ministre israélien lors de la conférence de presse conjointe : «Le Tchad est un pays très important. C’est un pays important en Afrique. C’est un pays important pour Israël. Et je suis ravi que nous reprenions notre amitié». Les relations entre Tel-Aviv et N’Djamena sont rompues depuis 1972.
Pour Idriss Déby, parti avec une importante délégation de hauts fonctionnaires, cette visite est sans doute tactique. Aux prises avec une avancée terroriste que la Force conjointe du G5 Sahel inopérante n’a pas encore amoindrie, il se trouve un allié de substitut aux puissances occidentales, bien trop avaricieuses pour en assurer les promesses de financement. Le président tchadien trouverait sans doute des motifs économiques pour renflouer les caisses d’un Etat en crise à l’heure où les institutions internationales le mettent à la diète forcée.
Déby devrait sans doute avoir à l’esprit les millions de dollars d’investissements d’Israël en Afrique et rêve de recevoir le financement de projets de développement économique ou des dispositifs d’aide proposés par Israël. A moins que l’homme à la canne ne décide de serrer la vis sécuritaire en ayant recours à des sociétés israéliennes, sous prétexte de lutter contre le terrorisme. En tout cas, la conjonction des intérêts entre les deux nouveaux «amis» semble faire un alignement.
Le Tchad, terrain d’expérimentation de la stratégie de retour d’Israël en Afrique
Pour l’heure, la nouvelle alliance israélo-tchadienne n’ira pas jusqu’à l’ouverture respective d’ambassades de part et d’autre. Mais en plus des soupçons de livraison d’armes de Tel-Aviv à N’Djamena sur laquelle le Premier ministre a fait l’impasse, la visite de Déby est une fenêtre discrète pour un retour d’Israël en Afrique. Et les contours de l’esquisse du schéma de ce retour sont donnés par Benjamine Netanyahou.
«Nous n’avons jamais complètement arrêté nos contacts, mais nous les développons maintenant à un rythme très rapide. Et nous souhaitons le faire dans tous les domaines. Tout d’abord dans la lutte contre le terrorisme, objectif commun à tous les pays. Donner à nos peuples ce qu’ils méritent : sécurité, nourriture, eau potable, santé, médicaments, tout ce que notre coopération peut produire pour le bénéfice de nos deux pays. En fait, Israël coopérait de cette manière avec les pays africains dans les années 1960 et au début des années 1970, notamment dans les domaines de l’agriculture et de l’eau. Cela s’était arrêté et maintenant, il est à nouveau florissant», fait remarquer Benjamine Netanyahou qui n’a pas manqué de rappeler ses visites au Kenya, au Rwanda et en Ethiopie.
Le sommet Israël-Afrique, qui devrait se tenir en octobre 2017, puis reporté sans nouvelle date sous la pression, avait donné un brusque coup d’arrêt aux ambitions de coopération d’Israël avec l’Afrique. Pourtant, Tel-Aviv avait une certaine assise avec une douzaine de pays que Benjamin Netanyahou avait parcourus à l’été 2016. Israël pouvait aussi compter sur une coopération moins souvent évoquée avec certains palais présidentiels dont la sécurité physique ou numérique est assurée par des sociétés privées israéliennes. Désormais, Tel-Aviv a semble-t-il, avoir opéré la mue de sa stratégie sur le Continent.
Par la diplomatie, Tel-Aviv s’est rapprochée de Dakar après une brouille soldée par la nomination de Talla Fall, un ambassadeur non-résident, et par la visite en mars à Tel-Aviv de Sidiki Kaba, chef de la diplomatie sénégalaise. Le même soft-power a permis d’entretenir le feu des bonnes relations entre Israël et des pays comme le Rwanda, le Kenya, l’Ouganda ou encore l’Éthiopie. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, Israël verrait bien ses relations renforcées avec le Mali en Afrique de l’Ouest, la Somalie en Afrique de l’Est, tous deux aux prises avec le terrorisme, domaine dans lequel Tel-Aviv détient une expertise reconnue. Ce schéma de coopération via le sécuritaire semble trouver au Tchad un terrain d’expérimentation.
Avec latribune afrique