Mercredi 10 août, le conseil des ministres a autorisé les voitures sans chauffeur à circuler sur la voie publique. L’essor des voitures autonomes – poussé par par entreprises comme Tesla, Google ou Volvo – est sans aucun doute l’avenir de l’industrie automobile mais il n’est pas sans poser un certain nombre de questions au secteur de l’assurance… La moindre n’étant pas sa mort, annoncée par nombre d’analystes – en langage geek, prononcer « ubérisation ».
Le milliardaire américain Warren Buffett, dont la holding, Berkshire Hathaway, détient l’assureur Geico, disait il y a peu lors d’un forum de dirigeants de l’automobile : « Notre activité assurance ne sera pas à la fête quand les voitures autonomes vont arriver, même si ce moment n’est pas pour tout de suite. »
Plus de 90 % des accidents de la route chaque année sont dus à des erreurs de conduite : si la mise sur le marché des véhicules autonomes permet d’en réduire drastiquement le nombre, on ne pourra que se féliciterde ce progrès. Il y aura aussi moins besoin d’assurer les véhicules et leurs conducteurs. Dans un rapport récent, le cabinet KPMG estime que la fréquence des accidents par véhicule pourrait être réduite de 80 % d’ici à 2040, conduisant à un taux d’environ 0,009 accident par véhicule. KPMG en conclut que le marché de l’assurance devrait en conséquence diminuer de 60 % d’ici à 2040.
Transition
Le glas sonne-t-il pour l’industrie de l’assurance ? A long terme, nous sommes tous morts, disait Keynes, mais la responsabilité des décideurs est d’anticiper et de gérer les transitions éventuelles, en identifiant et en résolvant aussi les problèmes qu’elles posent.
On peut en dénombrer quatre : la façon dont la transition va se dérouler, l’évolution de la responsabilité en cas d’accident, les nouveaux enjeux autour des données, les nouveaux risques posés par les véhicules autonomes.
Le premier problème concerne la transition d’un monde dominé par les conducteurs humains vers celui des véhicules autonomes. Celle-ci se déroulera à un rythme différent selon les pays et les individus. Les entreprises devront s’adapter à ce décalage, et continuer à conduire des politiques globales dans un contexte de régulations fortement décorrélées.
Seize Etats américains ont mis en place des législations relatives au véhicule autonome. L’administration américaine commence à travailler sur la communication véhicule-à-véhicule (V2V). Dans d’autres pays, les voitures autonomes restent interdites sans que les décideurs politiques souhaitent à ce stade modifier les règlementations.
La question de la responsabilité
Mais la transition va devoir être tout autant gérée à l’échelle du consommateur. De nombreux utilisateurs du dispositif autonome Autopilot de Tesla ont posté des vidéos montrant des utilisations risquées et fortement déconseillées par le constructeur (comme lire le journal en laissant la voiture rouler seule sans tenir le volant). A minima, il faudra former et accompagner les conducteurs et passagers.
Se pose également la question de la responsabilité. En mai 2016, le conducteur d’une Tesla est mort dans un accident alors que sa voiture fonctionnait en mode Autopilot. Où sont les responsabilités en pareil cas ? Tesla estime que le dispositif technologique est en version de « bêta test » et que le conducteur reste le principal responsable. De son côté, Volvo estime que la responsabilité doit être confiée au constructeur…
Google s’est de son côté orienté vers un véhicule complètement autonome. Dans ce cadre, il est probable que les modèles assurantiels concernent de moins en moins des assurances individuelles et de plus en plus des assurances sur le matériel à destination des constructeurs ou sur des flottes de véhicules pour des compagnies de transport.
Que l’on en soit conscient ou pas, la voiture autonome sera programmée en fonction de choix éthiques : par exemple, dans le cas d’un accident inévitable, choisit-on de porter le préjudice physique sur les occupants du véhicule ou sur les passants et les autres véhicules ? Qui programmera ou personnalisera l’algorithme ? Ces questions seront couvertes par la loi mais nécessiteront probablement des expérimentations pour parvenir à des solutions pérennes.
Nouvelle évaluation des risques
La troisième question est un sujet de statistiques et de traitement des données. La rupture technologique du véhicule autonome va transformer drastiquement la façon dont l’industrie évalue les risques, d’autant plus que les véhicules autonomes disposeront d’une forte capacité de collecte des données, permettant d’identifier de façon précise les causes d’un accident.
Le véhicule devrait aussi acquérir une capacité d’assistance inédite : il pourra détecter la fatigue ou le malaise d’un conducteur, estimer sa capacité à prendre la route, donner éventuellement le contrôle de certains paramètres à des personnes extérieures, proposer des services supplémentaires. Les polices d’assurance pourraient tout aussi bien évoluer en temps réel, en fonction d’un certain nombre de paramètres.
Enfin, le véhicule connecté est, il faut le prendre en compte, porteur de nouveaux risques. Tout le monde a aujourd’hui identifié ces « flash crashs », sortes d’accidents systémiques générés par le fonctionnement des algorithmes.
Les marchés boursiers en ont déjà connus : un événement imprévu entraîne un effet majeur en raison du comportement moutonnier d’un grand nombre de logiciels. La complexité générée par les technologies aura, c’est probable, des effets indésirables encore flous. Sans compter les risques liés à la cybersécurité et au piratage.
Les décideurs doivent s’intéresser dès maintenant à ces quatre grands paramètres, afin que la rupture à venir soit maîtrisée et valorisée le mieux possible.
avec lemonde