Ce « guide » Twitter qui n’en est pas un, un peu trop long, tente d’irriguer avec certains concepts de Sociologie, la construction d’un compte Twitter. Il est à mon sens (et c’est dans ce sens que j’ai pris l’initiative de l’écrire) complémentaire de ce qui est trouvable sur le net en termes de « guide pratique ».
Épousant l’actualité, Twitter est progressivement devenu LE réseau social qui accompagne chaque moment partagé, du putch raté en Turquie à la plus triviale des émissions de télé-réalité. La plateforme de microblogging créée en 2006 compte plus de 300 millions de membres actifs dans le monde, pour 6 millions de Français.
Le nom du réseau social et ses dérivés entrent dans le Petit Larousse 2013, tandis que l’entreprise est introduite en Bourse en octobre de la même année. Depuis mai 2015, les tweets qui sont jugés pertinents par l’algorithme de Google sont agrégés aux résultats de recherche.
Twitter permet à chaque utilisateur de partager son opinion, donner son avis, ou encore de commenter un sujet, le tout en 140 caractères.
Structures, Usages et Pratiques sur Twitter
Ici, les opinions du quidam côtoient celle du grand quotidien. Chaque réseau social propose un ou plusieurs grands concepts, avec des structures fortes, qui forment l’écrin dans lequel les utilisateurs contribuent, interagissent et développent des usages et pratiques propres. Il semble important de revenir sur quelques dimensions propres à Twitter, car elles sont structurantes pour les usages qui en émergent.
Tout d’abord, la notion de communauté est duale. Le premier périmètre communautaire, celui qui permet l’interaction, est personnel. Ce premier cercle est composé des personnes qui nous suivent. Hors Hashtag (sur lesquels nous reviendrons), nos Tweets sont visibles par les personnes qui se sont abonnées à notre profil. Chaque tweet apparaîtra donc dans le fil d’actualité de ses abonnés (timeline).
Cette dimension est encore plus importante quand le profil est privé, empêchant les utilisateurs non abonnés de lire le contenu partagé sur profil. La réciprocité ne va pas de soi, et chacun compose (et par la même personnalise) sa propre timeline.
Twitter a une deuxième dimension, qui suppose une plus forte dimension interactionnelle avec l’extérieur, par l’utilisation de hashtags.
Les hashtags donnent la possibilité d’introduire un « marqueur » dans un message, qui permet de l’insérer dans une thématique commune à d’autres utilisateurs. Les #, cliquables, ne sont pas fixes, peuvent être crées par n’importe qui, et servent souvent de point d’ancrage, agrégeant tous les messages d’une conversation, d’un événement ou d’un sujet. Ainsi, à la suite des attentats qui se sont déroulés à Paris le 13 novembre 2015, le #Pray4Paris regroupait les témoignages de solidarité en provenance du monde entier.
Twitter permet aux utilisateurs de connaître les trending topics (les sujets les plus discutés) par pays ou au niveau mondial, souvent des # ou des mots clés fortement utilisés. Ceux-ci permettent par exemple de s’exprimer sur un événement sportif avec une forte audience, un moment médiatique très commenté, la sortie d’un épisode de série très attendu, etc.
L’affichage des tendances sur la page d’accueil du réseau social donne une idée de l’audience potentiellement touchée par la présence d’un # commercial dans cette liste de mots clés. Assurer la présence d’un # dédié lors du déroulement d’un salon, d’une émission de TV, ou d’un débat politique, c’est mettre sous le nez d’utilisateurs friands d’actualité en direct, une porte vers son contenu.
Le hashtag est donc de facto, une clé ouvrant un espace conversationnel thématique.
Sur les contenus produits par les utilisateurs, le cadre sur le réseau social s’inscrit dans le carcan des 140 caractères.
Le format de contribution incite donc à produire un contenu court, ancré dans l’actualité(selon Over-Graph, la durée de vie d’un post est près de 3,5 moins importante que sur Facebook), et où l’information est directement apparente/saisissable.
Qui sont les utilisateurs de Twitter ?
Un des premiers signaux de la possibilité de l’utilisation de Twitter pour un professionnel tient à sa composition.
Si les 16-24 ans sont la catégorie la plus représentée (33%), les 25-64 ans représentent 67% des utilisateurs, ce qui en fait un réseau social majoritairement adulte. Médiamétrie indiquait que les CSP+ était surreprésentés (indice 160).
Différentes typologies d’utilisateurs sont donc présentes, avec des usages spécifiques. Ces « populations » utilisent différemment le réseau, parfois sans se croiser, se retrouvant néanmoins sur des espaces de discussions transversaux à l’exemple des sujets d’actualités (par le biais d’Hashtags agrégateurs).
L’usage massif par les professionnels est à chercher dans la dimension hybride de Twitter, au carrefour des réseaux sociaux de partage d’expression, de loisirs, de et de contenu professionnel.
Twitter, un outil professionnel
Trois éléments méritent d’être évoqués ici.
Le premier tient au référencement personnel. À l’ère du « réflexe » Google banalisé par les RH et les recruteurs, truster la première page par des contenus maîtrisables et maîtrisés est une obligation. La plupart des réseaux sociaux permettent une indexation forte des pages personnelles dans le moteur de recherche.
Dans le domaine professionnel, Linkedin et Twitter sont les plateformes reines, et sont celles qui vous permettront d’atteindre les premières positions lorsqu’on tapera votre nom, et de positionner vos photos dans celles qui apparaissent sur Google image. Couplé avec des profils optimisés, c’est le premier pas vers la maîtrise d’une réputation par le biais du digital.
Le second se base sur le contenu. Twitter est un des plus facile et sérieux porte-voix.
Peu importe le domaine d’activité, donner votre opinion, partager du contenu cohérent avec votre secteur, colore votre profil online, mais tend également à dresser une vitrine pour vos abonnés ou les visiteurs de passage. Enfin, comme nombre de réseaux sociaux,Twitter est un outil facilitant l’interaction. Il permet de se tenir informé, de dialoguer facilement avec d’autres utilisateurs, mais également de se connecter avec des personnes clés.
Qu’est-ce « guide » et ce qu’il n’est pas : ce qu’on y trouvera, ses limites et ses objectifs
De nombreux articles de blogs vous permettront d’appréhender vos débuts sur Twitter, en martelant les bases, avec pléthore de conseils sur les stratégies de posts, les bonnes pratiques, etc. Une simple recherche sur Google vous permettra d’accéder à des listes de conseils, des tutoriels et des recommandations pour aborder le réseau social. Il serait redondant d’exposer ce que vous pourrez retrouver facilement sur le net.
Le parti pris de ce guide est de proposer un contenu qui s’appuie sur ce terreau, tout en aspirant à offrir un complément.
Il n’est pas ici question de promesse d’atteindre un nombre de followers conséquents, même si les logiques présentées permettent d’accompagner l’agrandissement de votre communauté. Faire grandir sa communauté est l’évolution normale et la conséquence de bonnes pratiques, mais l’essentiel est ailleurs. À se focaliser sur les métrics, l’idée de réseau est vidée de sa substance.
Pourquoi utiliser Twitter comme un outil professionnel ?
Personnal branding, réputation et stratégie relationnelle : Twitter, un incubateur pour l’identité numérique
Les réseaux socio-numériques sont devenus des lieux privilégiés pour la gestion des relations sociales (BAYM, 2010) qui sont pleinement intégrés, tout comme la messagerie électronique et la messagerie instantanée, dans les répertoires de la communication aujourd’hui. Cependant, contrairement à la messagerie électronique et instantanée, ce sont aussi des lieux de création de nouvelles relations sociales.
En effet, les réseaux sociaux permettent d’entretenir des liens latents avec ses amis, ses amis d’amis, qu’ils aient été vu in real life, ou simplement en ligne. Dans le cas deTwitter, et par son fonctionnement, cela permet d’agrandir son périmètre d’interactions sociales, plus ou moins distendu, plus ou moins intime.
1/ L’identité digitale
La trace numérique. C’est enfoncer des portes ouvertes que de dire que l’on n’a jamais autant divulgué sur soi et semé autant de traces sur internet. Les profils sur les réseaux sociaux sont des réceptacles d’informations sur les utilisateurs. Les cookies permettent de suivre, comprendre et travailler sur les individus. Le Big data est le buzzword de ces dernières années, et la captation, le traitement et l’exploitation de la donnée irrigue la chaîne de valeur des entreprises. À tel point que le Digital Labor, un champ de recherche en Sciences Sociales, a émergé sur la problématisation du capitalisme cognitif et des structures qui « mettent au travail » l’internaute.
L’internaute est tracké, et ses comportements dégagent de la valeur. Par des logiques d’affordances mais aussi par leurs structures et leurs logiques propres, les réseaux sociaux comme Twitter favorisent la participation et la contribution de l’individu. A la fois sur le plan interne, en favorisant la customisation de son profil via le renseignement d’une batterie d’informations, les metrics (à l’exemple des compteurs de followers) et notification, et sur le plan externe, en fonctionnant comme de véritables régies, monnayant leurs audiences aux annonceurs.
Les réseaux sociaux, s’ils n’ont jamais autant favorisé la divulgation et surtout la génération de l’information par le processus de contribution et d’interaction, nécessitent d’être compris dans toute leur complexité. La notion de clair-obscur chère à Dominique Cardon, souligne que les internautes sont dotés d’un « agency », une marge de manœuvre au sein des structures des réseaux sociaux. Les individus dans leurs contributions, consciemment et inconsciemment, sont guidés par un double mouvement de dévoilement et de masquage de leur identité (George 2010), lui-même orienté par des stratégies personnelles de protection de l’intimité, mais également de façonnage de leur image.
À rebours des exégètes souvent réactionnaires parlant de dévoilement de l’intimité, les utilisateurs des réseaux sociaux ne proposent que la partie favorisant leurs relations et liaisons numériques. L’identité numérique n’est pas une fenêtre vers son intimité, mais participe de la construction et de la projection de soi.
L’utilisation de Twitter de manière professionnelle est à replacer dans cette réflexion. De nombreux freins viennent d’une vision biaisée des différents usages du réseau social : exhibitionnisme, récit de sa journée, photographie du dernier burger consommé…
Si ces pratiques existent notamment chez les plus jeunes, celles-ci sont relativement absente de Twitter, et le réduire à une partie seulement des usages, c’est se poser des œillères qui brident le champ des possibles.
Souligné précédemment à travers la notion de clair-obscur, il s’agit, même dans ces pratiques stéréotypées, de présenter, de ce montrer, mais dans un mouvement de construction du dévoilement. Le concept de l’extimité est intéressant également pour comprendre le phénomène. Il se définit par l’ensemble des actes qui dévoilent des éléments jusque-là cantonnés à l’intimité, qui ouvrent une fenêtre maitrisée vers ce que le psychiatre Serge Tisseron appelle le « monde intérieur ».
Dans le cas d’une photographie d’un plat au restaurant, il ne s’agit pas de montrer son assiette avant sa consommation, mais de converser avec ses contacts/abonnés : en mettant en valeur un segment seulement d’un moment, par la scénarisation de celui-ci sur le plan de l’image et de sa légende (éléments de contexte), en ouvrant également une porte pour l’imaginaire du spectateur (élément d’information) et en générant un espace de dialogue via messages, retweet & like (éléments conversationnels).
Les ressorts sont les mêmes dans le cas d’un profil professionnel. Les éléments qui vont être renseignés, les interactions avec d’autres utilisateurs, le contenu partagé sur la plateforme, forment un amalgame de signaux, dynamiques et mouvants construisant votre profil.
Twitter, qui est un des réceptacle de l’ubiquité numérique (on ne se donne à voir de la même manière sur Facebook, Instagram, Twitter, Linkedin ou Snapchat), permet l’occupation et une présentation de soi, ici, de manière professionnelle dopé par des logiques de quantification (données personnelles, followers, tweet, retweet, like, contributions & mentions…). La dimension « SEARCH » (« googler » quelqu’un par exemple, ou la notion d’e-réputation) modifie la construction et la projection de soi.
Si la première chose qu’un recruteur fera est de taper votre nom sur Google, n’est-il pas intéressant que le premier lien qui lui soit proposé renvoie vers un « avatar » façonné et maîtrisé ?
2/ Participer sur Twitter, c’est de fait, initier une stratégie relationnelle
La vision exhibitionniste et réactionnaire citée précédemment annihile également une deuxième dimension aux réseaux sociaux : la dimension relationnelle.
Dominique Cardon interroge le paradoxe de l’exposition volontaire des internautes sur les réseaux sociaux, et une inquiétude manifeste pour les questions de privacy, en précisant que la première touche aux « pratiques », la seconde aux « représentations ». D. Cardon précise que la sociologie, qui s’intéresse et étudie les comportements d’exposition, les places dans une dimension stratégique. Contribuer, serait moins une forme de narcissisme qu’une génération de signaux.
D. Cardon en parle ainsi : « La réussite des plateformes relationnelles doit en effet beaucoup au fait que les personnes prennent des risques avec leur identité en rendant publiques des informations sur elles-mêmes.
Les social network sites exploitent une double dynamique des processus d’individualisation des sociétés contemporaines : un processus de subjectivation qui conduit les personnes à extérioriser leur identité dans des signes qui témoignent moins d’un statut incorporé et acquis que d’une capacité à faire (écrire, photographier, créer…) ; et un processus de simulation qui conduit les personnes à endosser une diversité de rôles exprimant des facettes multiples et plus ou moins réalistes de leur personnalité […] Se publier sous toutes ces facettes sert à la fois à afficher sa différence et son originalité à accroître les chances d’être identifié par d’autres ». Pour Cardon, l’identité personnelle est donc moins une information qu’un signe relationnel.
Dominique Cardon, reportant l’expression de Patricia Lange, parle de fractalisation du privé et du public. L’opposition privée/publique n’est plus opérante, dès lors que des espaces privés se nichent dans des espaces publics et inversement.
Si on prend l’exemple de Twitter, le réseau social permet de converser par trois grands moyens.
On peut envoyer des messages privés via la messagerie, qui ne seront accessibles qu’aux deux protagonistes.
Il est également possible d’envoyer des messages semi-publics avec l’utilisation du sigle « @ » suivi du pseudo de l’interlocuteur en début de tweet. Seules les personnes suivant les deux comptes pourront voir la discussion.
Plus subtilement enfin, des tweets s’adressant à un ou plusieurs interlocuteurs (avec une mention « @ » et le pseudo placé dans le message), peuvent être rédigés pour communiquer publiquement, tout en sachant que seul un petit groupe parmi ses abonnés sera capable de comprendre les codes et références utilisés dans la conversation.
Dominique Cardon explique ainsi la communication privée en public, dans La Démocratie Internet : » La communication privée en public est l’une des formes d’échange les plus originales qui soient apparues avec les réseaux sociaux de l’Internet. Deux internautes se parlent l’un à l’autre, mais le font devant les autres, jouant de la visibilité, démonstrative et frimeuse, qu’il donnent de leurs échanges personnels ».
Fin de la première partie.
Avec siecledigital