En Afrique, la question de l’urbanisation est symptomatique des paradoxes que connaît ce continent. D’un côté, la croissance de la population des villes est l’une des plus rapides au monde. De l’autre, le décollage entre cette croissance et la mise en place de mesures permettant au continent d’en tirer le meilleur, suscite aujourd’hui des craintes. Entre le chômage, l’insécurité, la pollution, beaucoup se demandent désormais si la bombe démographique que représente aujourd’hui le continent, n’explosera pas d’abord dans les villes?
Un boom effrayant
Plus que toute autre région du monde, l’Afrique connaît une urbanisation rapide. Cette dynamique est accélérée par une croissance démographique fulgurante et un déséquilibre entre le développement des zones urbaines et celles rurales. « Nous assistons à une urbanisation sans précédent du continent. On a déjà observé de pareils phénomènes sur d’autres continents, mais pas au rythme que connaît l’Afrique », explique Joan Clos, directeur exécutif d’ONU-Habitat. En effet, la population urbaine du continent a doublé en dix ans.
« Nous assistons à une urbanisation sans précédent du continent. On a déjà observé de pareils phénomènes sur d’autres continents, mais pas au rythme que connaît l’Afrique »
Elle est passé de 237 millions en 1995 à 472 millions d’individus en 2015. Cette progression devrait se maintenir dans les prochaines années. Ainsi, ils seront 560 millions à résider dans les villes du continent dès 2020, et ce chiffre pourrait être porté à près d’un milliard d’ici 2040. En d’autre termes, la moitié des 2 milliards d’habitants de l’Afrique attendus à cet horizon vivra dans les villes. Par ailleurs, d’ici 2050, l’Afrique réalisera à elle seule 50% de la croissance urbaine mondiale, selon la Revision of World Population Prospects réalisée par les Nations-Unies.
Cette poussée de la population urbaine sera essentiellement portée par les pays au sud du Sahara. Dans cette zone, l’Afrique de l’ouest constituera le moteur de la croissance de la population urbaine. Un pays comme le Nigéria, qui compte déjà 88 millions de résidents urbains pourrait voir ce chiffre passer à 160 millions de citadins d’ici 2030 et 350 millions à l’horizon 2050. Mais pour impressionnante qu’elle puisse paraître, l’urbanisation africaine n’est pas encore source d’optimisme. Et pour cause: « Ce que nous enseigne l’Histoire ne s’applique pas à l’Afrique. Les villes africaines vont devoir résoudre des défis, sociaux et environnementaux, qu’aucune autre n’a eu à affronter », a confié au journal Le Monde, Henri-Bernard Solignac-Lecomte, du centre de développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En effet, le processus d’urbanisation en Afrique cumule à peu près toutes les caractéristiques d’un processus dont l’accompagnement a failli.
Un manque criard d’infrastructures
L’accroissement de la population des villes africaines n’est pas allée de pair avec un investissement des pouvoirs publics dans la construction des logements. Selon le rapport Ouvrir les villes africaines au monde de la Banque mondiale, les dépenses dans les villes n’ont représenté que 20% du PIB africain durant les quatre dernières décennies alors que cette proportion est passée au-dessus de 40% en Asie de l’est entre 1978 et 2012.
Kibera, le plus grand bidonville d’Afrique avec 2 millions d’habitants.
L’une des conséquences de cette situation est la faiblesse du parc immobilier qui fait que 60% de citadins africains résident dans les bidonvilles. Ce taux représente presque le double de la moyenne constatée dans les autres pays du monde (34%). Parmi les installations les plus importantes, citons Kibera, le plus grand bidonville du Kenya et d’Afrique, avec une population d’environ 2 millions d’habitants, Mathare (500 000 habitants) dans le même pays, ou encore West Point, au Libéria, qui abrite environ 75 000 personnes.
L’aggravation des inégalités au sein des zones urbaines
La concentration d’une grande couche de la population urbaine dans les zones sans logements adéquats favorise les inégalités entre les couches sociales. Ceci peut aller de l’accès limité aux services de base (eau, électricité et santé) à la discrimination sur le marché de travail, en passant par les écarts de revenus. Dans cette catégorie, l’Afrique est l’une des régions les plus inégalitaires du monde. Selon la BAD, le coefficient Gini de celles-ci atteint 0,58 alors que la moyenne mondiale est de 0,4 (le coefficient Gini est un indicateur permettant de mesurer les inégalités de revenu entre les ménages variant de 0 à 1, la valeur 1 signifiant le niveau d’inégalité le plus extrême). D’après ONU-Habitat, ce même paramètre atteint 0,75 dans une ville comme Johannesburg. « L’urbanisation, en particulier dans les pays en développement, s’est accompagnée de niveaux accrus de criminalité, de violence et d’anarchie. Des études mondiales montrent que 60 % de tous les résidents urbains des pays en développement ont été victimes de crimes au moins une fois au cours des cinq dernières années, dont 70 % en Amérique latine et en Afrique », indique l’Agence onusienne.
De nombreux problèmes environnementaux
L’augmentation de la population urbaine conduit à plusieurs problèmes environnementaux dont la pollution de l’air ambiant (engendrée par le transport routier, la génération d’énergie ou l’industrie) qui a un coût socioéconomique important. D’après un rapport de l’OCDE, le nombre de décès lié à cette forme de pollution a crû de 36% entre 1990 et 2013, passant à 250 000 morts contre une moyenne mondiale de 30%.
Un autre corollaire de la rapide urbanisation africaine est la dégradation des ressources naturelles. La destruction des surfaces végétales au profit de l’installation incontrôlée des habitations favorise les glissements de terrain dans les villes.
Une rue de Lagos, envahie de déchets.
En outre, la mauvaise gestion des déchets ainsi que la pollution des plans d’eau et ouvrages d’évacuation comme les caniveaux aggravent les catastrophes naturelles comme les inondations, un phénomène dont l’incidence risque d’être renforcée du fait du changement climatique.
Des villes déconnectées et un cout de vie élevé
L’un des principales caractéristiques de villes africaines est le développement des villes dans des zones fragmentées qui ne sont pas reliées entre elles par de bonnes infrastructures routières et des transports en commun efficace. Cet essor des métropoles dans les zones déconnectées les unes des autres, en lieu et place d’une densité accrue, est un frein pour des investissements dans les services sociaux.
Les villes africaines font partie des plus chères au monde. Les ménages urbains africains paient ainsi 20 à 31 % de plus, pour les biens et services, que dans d’autres pays en développement, estime la Banque mondiale.
Lorsque des investissements sont effectués par les pouvoirs publics dans ces zones, ceux-ci sont plus importants, étant donné que les économies d’échelle nécessaires pour fournir des services de réseau ne sont pas réalisées. Conséquence: les villes africaines font partie des plus chères au monde. Les ménages urbains africains paient ainsi 20 à 31 % de plus, pour les biens et services, que dans d’autres pays en développement, estime la Banque mondiale. De plus indique, l’institution, « les trajets pour se rendre au travail sont longs et coûteux, ce qui empêche les travailleurs d’accéder aux emplois répartis dans l’ensemble de l’agglomération urbaine ».
Et si les transports publics ont été développés ces dernières années, ils restent inaccessibles pour la majorité de la population africaine et prennent beaucoup de temps. Selon les estimations, la durée moyenne des trajets est de 25 minutes à Accra, contre 45 à Abuja et 60 à Monrovia.
« Rien n’est encore écrit »
Face au véritable défi que représente l’urbanisation sur le continent africain, les experts proposent de nombreuses solutions. Ainsi selon Steve Kayizzi-Mugerwa, directeur du département de recherche sur le développement à la BAD, « une urbanisation planifiée peut améliorer les conditions de vie d’une grande partie de la population, favoriser l’expansion de la classe moyenne et créer les conditions de la transformation économique »
Pour Joan Clos, « l’urbanisme est le seul moyen de parvenir à une croissance urbaine harmonieuse. Une ville construite de manière chaotique sera bien plus difficile à reconstruire, à réaménager après coup. Si l’on considère des économies comme celles de l’Afrique, qui progressent de 6 à 7 %, l’absence d’urbanisme ne se justifie pas. Il n’est pas pensable d’avoir de tels taux de croissance et de ne pas créer des instruments d’urbanisme », estime pour sa part Joan Clos.
De son côté, la Banque mondiale, préconise une démarche en trois volets fondée sur la régularisation des marchés fonciers, la clarification des droits de propriété et la mise en place d’une planification urbaine efficace.
Avec agenceecofin