Après l’Afrique de l’Ouest début 2016, Recep Tayyip Erdoğan, le président turc entame une visite à Khartoum chez le Soudanais Omar El Béchir. Ce n’est que la première étape d’une tournée qui va le mener à Tunis chez Béji Caïd Essebsi et à N’Djamena chez le Tchadien Idriss Deby Itno. Pressé de nouer des relations avec l’Afrique, la Turquie veut prêter son miroir à l’Afrique. Mais elle y cherche surtout de l’influence.
Depuis son entrée à l’Ak Saray, le palais blanc à Ankara il y a trois ans, Recep Tayyip Erdoğan aura exactement visité 21 pays africains. A la fin d’une mini-tournée qui le conduit au Soudan où il est arrivé dimanche, en Tunisie mardi puis au Tchad, le 12ème président de la Turquie aura bouclé 24 visites dans les capitales africaines.
Les chefs d’entreprises en force dans la délégation
A la tête d’une délégation de 150 chefs d’entreprises turcs, Recep Tayyip Erdoğan a entamé une visite de 48 heures chez son homologue soudanais Omar El Béchir, la première visite d’un président turc au Soudan. Avec cette visite, Omar El Béchir, mis au ban de la communauté internationale occidentale en raison de poursuites engagées par la Cour pénale internationale (CPI), retrouve de la légitimité internationale et surtout un soutien financier. Le chef de l’Etat turc ne repart pas bredouille de Khartoum non plus.
A la clé, la signature de douze accords de coopération « dans les domaines agricole, économique et militaire, ainsi qu’un accord pour la création d’un Conseil de coopération stratégique ». De plus, un forum économique soudano-turc a convenu de faire passer le volume des échanges commerciaux turco-soudanais, actuellement de 500 millions de dollars, à 1 milliard de dollars, puis 10 milliards de dollars.
Les investissements turcs au Soudan, de 2 milliards de dollars actuellement, devraient suivre le même trend. Des annonces qui viennent à point nommé pour le Soudan, asphyxié par les sanctions économiques américaines levées de justesse en 2017, mais qui reste sur la liste des Etats-parias.
Après sa visite à Khartoum, Recep Tayyip Erdoğan fera cap vers la Tunisie pour 48 heures chez Béji Caïd Essebsi puis vers le Tchad pour la même durée chez Idriss Deby. Après sa tournée début 2016 en Afrique de l’ouest avec escale à Abidjan, Accra et Lagos et Conakry, le président boucle sa 24ème visite dans un pays africain depuis son élection à la présidence turque. Mais de quoi cette offensive turque est-elle le nom en Afrique?
D’abord du hard-power. La Turquie veut d’abord contrer la présence militaire de plus en plus croissante des Emirats Arabes Unis (EAU), son grand rival. Abu Dhabi qui apporte un soutien au maréchal libyen Khalifa Haftar, détient deux bases navales à Berbera au Somaliland et à Assab en Erythrée. Pour sa part, Ankara a installé en Somalie, sa plus grande base militaire Outre-Atlantique. Symbole de cette guerre du soft-power, les EAU équipent les unités antiterroristes somaliennes.
Quand la Turquie veut prêter son miroir à l’Afrique
Ensuite, l’offensive turque est sans doute plus économique pour une puissance montante qui cherche des marchés pour ses entreprises réunis au sein de la puissante TUSKON, le patronat turc qui porte à bout de bras presque les déplacements du président turc. Dans la foulée du rush des puissances comme la Chine, Israël, les EAU, le Japon, les Etats-Unis, aujourd’hui le Maroc, la Turquie veut aussi sa part de marché en Afrique.
Les investissements turcs en Afrique se chiffrent aujourd’hui à plus de 5 milliards de dollars. Au Maghreb, des sociétés turques de distribution alimentent les étals avec des produits de consommation, de dérivés du bois, des produits alimentaires et textiles. Ailleurs sur le Continent, la Turquie livre du fer ou de l’acier et s’alimente en produits énergétiques, des minerais ou des produits de transformation. C’est même un consortium turc Summa &Limmak Holding qui a sauvé le nouvel aéroport international Blaise Diagne au Sénégal. Il en est le gestionnaire pour 25 ans.
Ensuite, la Turquie veut influencer l’Afrique par le soft-power. Outils redoutables de la Turquie, les missions humanitaires ou sanitaires lorsque l’Afrique est touchée mais sa compagnie nationale Turkish Airlines, qui dessert cinquantaine de destinations africaines, est en passe de conquérir le ciel africain malgré les accusations de rapatriement forcé et secret de migrants africains pour le compte de l’Union européennes.
L’influence turque se ressent aussi dans le réseau très étoffé de représentations turques en Afrique, plus de quarante ambassades et plusieurs en cours d’ouverture qui rejoignent la trentaine de chancelleries africaines dont les voix se font entendre jusqu’à Ankara. Via la Tika, son agence de développement qui a son pendant culturel, la Turquie polit son image. La multiplication d’alliés africains parfois placés en coupe réglée par la menace, permet à Ankara d’étouffer le « réseau Güllen », du nom de cet opposant-imam turc vivant aux États-Unis, par la fermeture de ses écoles qui ont fait la renommée de la Turquie en Afrique subsaharienne.
Ancienne puissance coloniale dans une partie de l’Afrique, la Turquie souhaite marquer son retour dans ses « possessions »d’influence du temps où il portait encore le nom d’empire ottoman. Pourtant, malgré ce passif colonial, Ankara veut œuvrer à l’unité africaine, comme le rappelle Recep Tayyip Erdoğan dans une interview exclusive à nos confrères d’All Africa avant l’entame de sa tournée afrciaine. Sans doute veut-elle aussi lui prêter son miroir au milieu de toutes ces puissances qui se ruent sur le Continent.
Avec latribuneafrique