Bien l’appréhender afin de mieux le consacrer dans les régions défavorisées
Personne n’ignore les difficultés économiques que connaît la Tunisie depuis plusieurs années; son entrée dans une crise structurelle sans précédent de son marché de l’emploi qui représente une menace réelle à court terme en l’absence de mesures concrètes pour relancer l’économie de manière générale et l’entrepreneuriat en particulier et son inquiétante fracture territoriale entre régions côtières et régions défavorisées de l’intérieur du pays. Ceci dit toute initiative serait concrétisée avec difficulté et pourtant le déséquilibre Nord-Sud en Tunisie selon les spécialistes, est un phénomène très ancien, antérieur même à la colonisation française de 1881.
Pour soutenir les efforts de l’actuel gouvernement d’Union Nationale, les différents acteurs dans les régions doivent maitriser le moindre détail de leurs territoires et savoir les “vendre” pour séduire ceux qui ont l’intention d’investir ou même devenir des clients.
“Le marketing territorial, c’est la construction dans le temps, par un territoire et ses partenaires, d’une offre qui puisse être, sur un positionnement particulier fruit de travaux préalables et dans un contexte concurrentiel, repérée et perçue comme attractive, crédible, unique et adaptée en permanence aux demandes des cibles visées”. Marc Thébault
La crise qui frappe actuellement la Tunisie n’est pas récente. Elle date depuis des décennies. Elle a pour origine la rareté des investissements publics et privés et l’absence de mécanismes d’accompagnement réels pour développer les différentes régions du pays.
Face à cette situation très inconfortable, le marketing territorial ne doit pas être confondu avec la pub ou la promotion commerciale. Songer “clients” n’est pas toujours aisé dans le secteur public, les objectifs doivent être réalistes et les promesses réalisables. Un entrepreneur attiré par une région quelconque est un catalyseur pour attirer ou influencer d’autres entrepreneurs tunisiens ou étrangers. Dans le monde des affaires, les témoignages ou les études de cas et le bouche-à-oreille jouent un rôle primordial.
Pour mieux servir nos régions défavorisées, il est temps de dresser une cartographie de l’écosystème tunisien, de rapprocher les différents acteurs et de communiquer sur l’importance du marketing territorial pour faire de la Tunisie un Hub économique régional, une ambition qu’on trouve dans tous les discours politiques mais inexistante sur le terrain.
“L’avenir ne se prévoit pas, il se prépare” (Maurice Blondel, Philosophe)
Je ne vous apprends rien en disant que le marketing territorial permet de passer de la volonté à la réalisation. C’est une démarche permettant de mettre en place et de manière progressive une stratégie commune et un plan d’actions efficace.
Chaque région est appelée à identifier ses atouts, ses points faibles ainsi que les menaces et les opportunités potentielles à travers une analyse SWOT approfondie en impliquant toutes les forces locales et régionales. Une fois le diagnostic est effectué en bonne et due forme, tous les acteurs concernés doivent se pencher sur l’offre territoriale à promouvoir dans le cadre d’un plan d’actions bien ficelé et dans le but de donner un vrai souffle de changement réel et mesurable.
L’objectif serait d’adopter un certain nombre d’actions à court et moyen termes pour convaincre les cibles de l’attractivité du territoire ou de la région et les convaincre d’y investir ou de les fidéliser. L’attractivité d’un territoire n’est pas le résultat d’un seul acteur, mais d’une chaîne d’intervenants et leur implication est fortement nécessaire pour changer la donne et donner de la valeur aux atouts et produits distinctifs du territoire.
Une démarche de marketing territorial réussie doit veiller à travailler en parallèle sur trois axes à savoir, mieux connaître les caractéristiques clés de son territoire ou de sa région, notamment face aux concurrents, impliquer les acteurs locaux car l’attractivité d’une région est mieux appuyée si les marketeurs ont su mobiliser les forces vives du territoire tant pour relayer les messages que pour s’impliquer de manière directe. Et enfin, il est essentiel de mieux comprendre les attentes et les critères de décision des “clients” qui sont la cible de toute action marketing.
En Tunisie, le “Festival International de Musique Classique de’El Jem” et le “Tabarka Jazz Festival” sont des exemples d’un marketing régional pouvant attirer des milliers de visiteurs locaux et étrangers en animant les régions intérieures. Nous constatons d’ailleurs que l’ex-ministre du tourisme du gouvernement Jomâa a essayé de donner une nouvelle vitalité à d’autres régions à travers le “Festival des Dunes Electroniques” à Ong Jemal, le “Pop in Djerba” et le “Festival Bulla Régia”.
Toutefois, la persévérance et l’implication permanente des différents acteurs concernés dans les régions défavorisées est absente dans ce domaine et bien d’autres. Elles dépendent du background du/des responsable(s), alors que les instances économiques, culturelles et touristiques sur les plans national, régional et local sont censées participer activement à travers une boite à outils, un “toolkit”, approprié de “Marketing territorial” afin de renforcer l’attractivité des régions tunisiennes.
De même pour les produits tunisiens à l’instar de l’huile d’olive, les dattes et les agrumes. Le potentiel marketing est énorme, mais sa valorisation demeure très faible. A titre d’exemple, l’orange Maltaise demi-sanguine (malti) est la variété qu’on associe le plus à la Tunisie qui en est le seul producteur et exportateur mondial. Réputée pour être “la Reine des Oranges”, elle est considérée par les connaisseurs comme étant la meilleure orange douce au monde. Cette variété est vieille, d’origine inconnue, qui appartient au même groupe que les oranges sanguines qui comprennent la Sanguinelle Moscata, très connue, d’Italie. Malgré la particularité de ce produit et son importance pour la région du Cap Bon, son appellation à l’échelle nationale et internationale porte confusion; pourquoi “Maltaise” en référence à notre voisin Malte.
Je dirais que tout programme de valorisation des produits de référence requiert un cadre juridique national adapté, des acteurs qui s’engagent volontairement dans le processus et des institutions capables d’accompagner la démarche et d’appuyer les concernés par des actions diverses et ciblées.
Qu’on est-il de l’entrepreneuriat territorial?
L’entrepreneur, à la quête d’une opportunité, réalise des études de marché et un business plan approfondis avant d’investir afin de s’assurer de la faisabilité et de la rentabilité de son projet.
L’existence de ressources quasi-similaires conjuguées au facteur “imitation” dans plusieurs régions d’un même territoire ne peuvent qu’affaiblir l’attrait compétitif d’une région. Il est clair que le Tunisien de manière générale adore imiter.
Un cas très illustrant qui refait surface aujourd’hui est celui du projet de port en eaux profondes d’Ennfidha. Nous savons tous que l’idée est née bien avant 2008 suite à des études portant sur plusieurs sites potentiels en l’occurrence la région de Bizerte ou celle de Sfax. Or, aujourd’hui on revient à la charge en mettant en doute la crédibilité des études effectuées et les décisions prises et qui font toujours l’unanimité auprès des décideurs. La compétition entre les différents territoires est hautement sollicitée, toutefois elle ne doit en aucun cas mettre en péril l’ensemble des priorités nationales.
Le fait d’instaurer une économie compétitive à l’intérieur du pays et rendre chaque région singulière par rapport à une autre est une nécessité vitale pour diminuer les disparités entre les régions tunisiennes et calmer les revendications sociales aux alentours des zones d’exploitation des richesses minières et agricoles.
Il est aussi important de dire que l’entrepreneur local ou étranger a besoin de “sentir”la transparence et de protéger son investissement; deux aspects logiques et légitimes mais qui échappent encore à la réalité tunisienne. Ce constat est récemment confirmé par le nouveau classement “Doing Business de 2017” relevant de la Banque Mondiale où nous sommes au 77ème rang mondial et 6ème au niveau africain en matière de facilité de faire des affaires “Ease of Doing Business”.
Idem pour la création d’entreprises, la Tunisie est classée au 103ème rang et au 101ème rang concernant les délais d’obtention des crédits bancaires. Les jeunes entrepreneurs et porteurs de projets tunisiens n’arrivent pas à accéder à la sphère de l’économie réelle et trouvent refuge dans le marché parallèle pour fuir la complexité des mesures en place. Raison pour laquelle le marché parallèle tunisien pèse actuellement près de 50% du PIB, soit près de 40 milliards de dinars et qui réalise selon les experts en la matière une croissance à deux chiffres ces dernières années.
L’administration tunisienne, tant considérée par certains en tant que frein à l’investissement, doit être plus proactive non seulement à travers les différentes réformes prévues au nombre de 19 à ce jour, notamment la nouvelle loi de l’investissement, la loi sur les PPP, la loi sur les Energies Renouvelables, et celles en cours et en particulier la loi fiscale, mais aussi par le biais du comportement de ses fonctionnaires et leur réactivité dans le traitement des dossiers d’intérêt national et régional.
Il ne faut pas s’attendre à ce que l’investisseur étranger débarque et plus précisément dans nos régions défavorisées et déconnectées de son propre gré afin de contribuer à l’attractivité de nos territoires en investissant dans des conditions difficiles, insoutenables qui ne semblent pas préoccuper les différents gouvernements qui se sont succédé. Il faut agir et agir en toute urgence.
“Quand c’est urgent, c’est déjà trop tard” (Talleyrand)
Avec huffpostmaghreb