Tribune d’Abdoul Salam Bello, sur le problème de la multiplicité des organisations économiques régionales en Afrique.
Les échanges du continent avec le reste du monde ont connu une croissance remarquable au cours des deux dernières décennies, passant de 210 milliards de dollars en 1996 à 1 200 milliards de dollars en 2015. Mais sa part dans le commerce mondial a peu évolué. Tout comme les échanges intra-africains. Lestés par la faible diversification des économies africaines, les barrières tarifaires et non tarifaires sur les corridors, mais aussi par la faiblesse des infrastructures de transport, ceux-ci sont passés de 11 % des exportations totales en 2002 à 15,7 % en 2014. Pourtant, le continent compte nombre d’institutions censées promouvoir l’intégration régionale et lever les obstacles à l’essor du commerce.
Plusieurs raisons expliquent ce paradoxe. D’abord la multiplicité, justement, et la superposition des organisations régionales et sous-régionales, générant des difficultés dans la lecture des priorités et dans leur mise en œuvre. À ce titre, le rapport Kagame sur la réforme de l’Union africaine (UA) est édifiant. Il fait état d’un manque de clarté dans la division du travail entre la Commission de l’UA, les communautés économiques régionales (CER), les autres mécanismes régionaux et les États membres.
Le problème de la multiplicité des organisations régionales
Par ailleurs, de nombreux pays appartiennent à plusieurs organisations à la fois. À une exception près, ceux de la Cedeao sont aussi membres de la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD). Le Soudan a adhéré à trois communautés et le Kenya fait partie à la fois du Censad, du Comesa [Marché commun de l’Afrique orientale et australe], de l’Igad [Autorité intergouvernementale pour le développement] et de l’EAC [Communauté est-africaine].
Une situation qui rappelle le syndrome du « bol de spaghetti » de l’économiste indo-américain Jagdish Bhagwati. Les chevauchements nuisent à l’efficacité de ces CER, ils entraînent une foule de réglementations, parfois contradictoires.
Dans de nombreux cas, la coopération régionale ne va pas au-delà de la signature de traités et de protocoles, qui n’ont aucune articulation concrète avec les programmes de développement nationaux
Quant aux États, ils doivent arbitrer les questions de l’allocation des ressources pour le financement de ces organisations et de la mise en œuvre efficace des règles approuvées au niveau des différentes CER. Résultat: dans de nombreux cas, la coopération régionale ne va pas au-delà de la signature de traités et de protocoles, qui n’ont aucune articulation concrète avec les programmes de développement nationaux.
Ce qui pose la question de l’appropriation par les États et les citoyens des enjeux et opportunités de l’intégration régionale.
Quelles solutions ?
Il convient de rationaliser les fonctionnements des institutions, d’identifier les synergies potentielles, d’appliquer les principes de subsidiarité (déterminer à quel niveau hiérarchique doit être conçue une action publique), réduire le nombre de structures afin de tendre vers des CER plus efficaces et mieux financées.
Il est aussi important d’instaurer un mécanisme de suivi des engagements au niveau régional qui puisse assurer leur traduction dans les stratégies nationales.
L’intégration ne peut être laissée entre les seules mains des organisations supranationales, les sociétés civiles doivent s’approprier ce sujet et participer aux mécanismes de consultation
Le dialogue de l’intégration devrait mieux associer le secteur privé. La production n’est plus du ressort exclusif de l’État : il faut dépasser l’approche qui ne consiste qu’à informer – dans le meilleur des cas – ce secteur à l’issue de négociations.
L’intégration ne peut être laissée entre les seules mains des organisations supranationales. Les sociétés civiles doivent s’approprier ce sujet et participer aux mécanismes de consultation. La vision de l’UA est celle d’une Afrique intégrée, prospère et pacifique, animée par ses citoyens et représentant une force dynamique dans l’arène internationale.
Enfin, il faudra accélérer l’intégration régionale fonctionnelle grâce à de nouveaux projets.
Nous avons des sources d’inspiration et d’optimisme en Afrique de l’Est avec l’ouverture en 2016 de la ligne ferroviaire de 750 km qui permet de relier Addis-Abeba au port de Djibouti en une dizaine d’heures à peine, contre trois jours par la route. Fin mai 2017, c’est le Kenya qui inaugurait une ligne de 470 km entre le port de Mombasa et Nairobi. À moyen terme, ce projet devrait rapprocher le Soudan du Sud, le Rwanda, le Burundi et l’Éthiopie de l’océan Indien.
L’Afrique doit résolument avancer dans son processus d’intégration économique. Nous ne pouvons plus attendre Godot…
Avec jeuneafrique