Alors qu’elle traverse de graves turbulences, dans un contexte turc particulièrement difficile, la compagnie s’efforce de poursuivre son expansion africaine avec l’ouverture d’une 51e destination.
Istanbul-Conakry aller-retour deux fois par semaine, à partir de 699 dollars (651 euros). Maintes fois annoncée puis reportée depuis 2014, l’ouverture de cette ligne, 51e destination africaine de Turkish Airlines, est effective depuis le 30 janvier.
La compagnie, remarquée ces dernières années pour sa croissance ultrarapide (+19,8 % de sièges par an entre 2012 et 2016), semble poursuivre son expansion africaine alors même qu’elle traverse de graves turbulences dues à un contexte turc particulièrement difficile : des attentats en série (près de 350 morts et de 1 millier de blessés depuis janvier 2016), dont celui qui a ensanglanté l’aéroport d’Istanbul, le 28 juin, une tentative de coup d’État en juillet, ou encore des tensions diplomatiques et géopolitiques croissantes qui auront fait fuir les touristes russes et européens.
Affecté par la crise
Conséquence de ce climat pesant, d’après les propres chiffres de la compagnie, dont l’état-major a récemment été entièrement renouvelé, le taux d’occupation global des sièges a reculé sur un an de 3,1 points, à 74,6 %. « Bien en deçà des 80 % de remplissage à partir desquels une compagnie trouve en général son équilibre », commente Julien Lebel, chercheur à l’Institut français de géopolitique, spécialiste des stratégies des compagnies aériennes. Résultat, Turkish Airlines, détenue à 49 % par l’État, n’aura transporté que 62,8 millions de passagers à travers le monde en 2016, loin de son objectif initial de 72 millions. Surtout, elle aura accumulé des pertes financières colossales : 644 millions de dollars rien qu’au premier semestre de 2016.
Sa stratégie : un développement par escales, moins chères à exploiter. »
De quoi peser lourd sur les ambitions de la compagnie à l’international. Pour la période qui s’étend de décembre à mars, elle a ainsi suspendu dix-sept routes. Et c’est grâce à son modèle d’expansion qui permet de faire pression sur les coûts que la compagnie a réussi à juguler en Afrique (elle n’y a fermé que trois liaisons : Batna et Tlemcen, en Algérie, et Kano, au Nigeria) la crise qu’elle connaît par ailleurs.
Nouvelles lignes
Cette stratégie s’est caractérisée jusque-là par un développement par escales, moins chères à exploiter. « Turkish Airlines teste d’abord des nouvelles routes puis ouvre de nouveaux points en continuation de ces routes, créant ainsi des routes triangulaires, à l’instar de Conakry, en continuation de Ouagadougou. Avant de monter en puissance, elle commence par deux ou trois vols hebdomadaires.
Peu de destinations africaines sont desservies par des vols quotidiens. Sauf pour Alger, Casablanca, Lagos, Le Cap ou encore Johannesburg, où elle fait voler des gros-porteurs, Turkish Airlines n’utilise que des avions monocouloirs, plus petits (150-200 places) et plus facilement rentabilisables », détaille Julien Lebel, qui note que les fréquences et les capacités sur les lignes déjà ouvertes n’ont pas progressé par rapport à la fin de 2015 et au début de 2016.
C’est grâce à de nouvelles lignes que le nombre de passagers africains a augmenté de 300 000 (pour atteindre environ 2 817 000) par rapport à 2015. Entre septembre 2015 et septembre 2016, la compagnie tirait 9 % de ses revenus de ses activités sur le continent. Cette proportion était de 7 % en 2013.
Carrefour des continents
Appréciée par les voyageurs africains pour son vaste réseau de 296 destinations, qui offre des liaisons avec les grandes capitales, et la géographie de son hub d’Istanbul idéalement situé au carrefour de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique, la compagnie l’est aussi pour ses tarifs plus attrayants que ceux de ses concurrentes. Reste que si proposer des prix compétitifs « peut s’avérer payant au départ pour se faire connaître, c’est une pratique difficilement tenable à long terme car elle ne permet pas d’amortir les coûts de revient », juge Cheikh Tidiane Camara, président du cabinet Ectar et ancien président Europe d’Air Afrique.
« Volet le plus éclatant de l’ouverture de la Turquie à l’Afrique », comme la décrit l’ambassadeur Ahmet Demirer, le « Monsieur Afrique » du ministère turc des Affaires étrangères, Turkish Airlines a décuplé ses dessertes africaines ces dernières années au point de rivaliser avec les plus grandes, telles Air France ou Ethiopian Airlines. La compagnie s’est toujours implantée parallèlement à l’ouverture des représentations diplomatiques et commerciales d’Ankara sur le continent pour accompagner les nouvelles opportunités d’affaires.
« Entre 2003 et 2014, Turkish Airlines a augmenté le nombre de ses destinations en Afrique en moyenne de 24 % par an, suivant un volume d’exportations de la Turquie vers l’Afrique qui croissait au même moment de 22 % », ajoute Ahmet Olmustur, directeur du marketing de Turkish Airlines.
Ambitions à la baisse
En 2014, l’ancien PDG Temel Kotil visait la desserte de 100 aéroports africains à l’horizon 2022. Mais, en raison d’un nombre moins important d’ouvertures d’ambassades, c’est un ralentissement de la dynamique d’expansion de nouvelles lignes qui s’est opéré par rapport à la période faste du début des années 2010. « De plus, ajoute le diplomate, la baisse du prix des matières premières a eu un impact négatif sur les exportations, et certains entrepreneurs turcs ont revu leurs ambitions à la baisse. »
Turkish Airlines ne sera ainsi pas parvenue à ouvrir toutes les lignes promises, comme Djouba ou Lomé, qui se font attendre. Ou encore Luanda, où les autorités locales accordent difficilement des droits de trafic. Par ailleurs, en octobre 2016, la direction de la compagnie, un temps citée comme potentiel partenaire de la nouvelle Air Sénégal, annonçait être en discussion avec un transporteur africain pour développer des vols régionaux. Un projet resté pour l’instant sans suite.
BILAL EKSI PREND LES COMMANDES DE LA COMPAGNIE
En novembre 2016, après la démission de Temel Kotil, c’est un homme du sérail qui a été nommé PDG de Turkish Airlines. Ingénieur en électronique, Bilal Eksi a intégré la compagnie en 2003 et y a occupé les postes de chef des ateliers de réfection et directeur des opérations au sol. Il quitte Turkish Airlines en 2009 et y revient en 2011 pour s’occuper de sa partie aviation civile.