Le Tramadol, nouvelle star d’une jeunesse africaine envoûtée par les stupéfiants. Dans plusieurs pays du continent, ce puissant antidouleur principalement venu de l’Inde et de la Chine s’est fait une place de choix sur les étals des vendeurs de “faux médicaments”.
Une saisie de tablettes de Tramadol estimée à 50 millions d’euros menée en novembre dernier par la douane italienne. Les produits confisqués partaient de l’Inde vers la Libye. Six mois auparavant, les autorités italiennes avaient saisi un envoi d’une valeur de 75 millions d’euros.
En 2015, ce sont 40 millions de comprimés de Tramadol qui ont été saisis dans le port de Cotonou au Bénin. L’année suivante, le département d‘État des États-Unis a déclaré le Bénin, un pays de seulement 11 millions d’habitants, la deuxième plus grande destination du monde pour le Tramadol indien.
Depuis ce port, en effet, le Tramadol de l’Inde et de la Chine – qui se sont positionnés comme les deux principaux pôles du trafic illégal de ce médicament – inonde le marché africain. De Lagos (Nigeria) à la Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, en passant par le Gabon et le Cameroun, le phénomène prend de l’ampleur.
Star des faibles bourses
Anti-inflammatoire proche de la codéine et de la morphine, prescrit en cas de traumatisme ou après une opération, l’usage du Tramadol a été transgressé à des fins récréatives, et même auprès des plus jeunes.
“On se demande qui n’en consomme pas dans nos établissements publics”, racontait début février Chantal (nom d’emprunt) à un correspondant de l’AFP dans un reportage sur l’envergure de l’utilisation du Tramadol dans les établissements scolaires. Dans son établissement, à Libreville, la capitale gabonaise, la consommation du “kobolo”, nom d’emprunt, passe pour un effet de mode. Et le phénomène n’est pas qu’une réalité gabonaise.
Dans les ruelles du célèbre marché du Forum d’Adjamé, à Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, trouver du Tramadol est une simple formalité. Sous les étals des vendeuses de “faux médicaments”, se trouve une large gamme des pilules rouges et vertes, et à des prix dérisoires.
Au Burkina Faso, il ne faudra pas dépenser plus de 100 francs CFA pour acquérir du Tramadol. Ce qui lui vaut le surnom de “cocaïne du pauvre” dans les rues du pays.
Son utilisation est aujourd’hui motivée dans certains milieux par la sensation de courage et de puissance qu’il procure à partir d’une certaine dose. Si la recommandation dans le cadre d’un usage légal est de 50 mg, certaines plaquettes vendues au noir vont jusqu‘à 400 mg. Associé à de l’alcool ou à des boissons sucrées, le “missile” comme on le surnomme dans les rues de Ouagadougou fait effet.
“Ça réveille les sens endormis, quand tu en prends tu deviens chaud ! Tu ne te contrôles plus, tu te prends pour un super-héros, tu perds les sentiments”, confiait un consommateur à l’AFP.
Absence de législation
Un succès garanti certes par son accessibilité et les effets qu’il procure, mais également pour le manque de législation qui entoure sa consommation et son commerce. Contrairement au cannabis, à la cocaïne ou encore à l’héroïne dont l’usage est formellement interdit par la loi sur la majeure partie du continent, le trafic de Tramadol bénéficie de circonstances atténuantes.
Par exemple, la prise de ce produit sans ordonnance n’est pas illégale dans de nombreux pays. À ce jour, seul les vendeurs frauduleux peuvent être punis par la loi.
Aussi, le médicament n’est toujours pas inscrit sur la liste des opiacés réglementés au niveau international par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Une position soutenue par le fait que le Tramadol reste très efficace dans le cadre d’un usage légal, contre les douleurs. L’OMS craint donc que l’inscription du produit sur cette liste puisse par inadvertance limiter son utilisation licite, et par ricochet faire souffrir ceux qui en ont le plus besoin.
Les autorités africaines à l‘épreuve du terrain
À l’heure ou la zone du libre-échange est promue sur le continent, le défi de la sécurisation des frontières est doublement élevé. Il revient aux douanes locales de redoubler d’ardeur dans l’identification des différents produits qui franchissent leurs frontières. Et cela passe évidemment par une coopération approfondie avec leurs homologues d’autres pays.
La sensibilisation locale et ciblée devrait également faire partie des options des gouvernants. Des campagnes de sensibilisation et la mise en place d’une réglementation stricte autour de l’utilisation du Tramadol pourraient être une ébauche de solution.
Passé cette étape, il s’agira pour les autorités d’affronter la prise en charge médicale des toxicomanes, qui, une fois tombés dans la spirale de ce médicament peuvent subir une perte d’appétit, du sommeil ; des démangeaisons, des crises d’épilepsie, les troubles de la mémoire…
Car, pour l’heure, la désintoxication relève généralement d’une volonté personnelle. Mais sans un régime structuré de réhabilitation, il est difficile de voir à quel point cette démarche solitaire puisse avoir un impact positif à long terme sur le sujet.