Après deux mandats à la Maison Blanche, Barack Obama fait ses adieux à la vie politique américaine. Le premier président noir des États-Unis qui cédera le pouvoir le 20 janvier au milliardaire républicain Donald Trump, laissera-t-il une trace indélébile derrière lui? A-t-il suffisamment réformé son pays? A-t-il fait face à l’opposition la plus forte de l’histoire américaine récente? L’analyse de Vincent Michelot, professeur des Universités à Sciences Po Lyon et spécialiste de l’histoire politique des États-Unis.
Quelle place Barack Obama va-t-il occuper dans l’histoire politique américaine?
C’est bien trop tôt pour évaluer cela. Pour George Bush, on commence à en avoir idée, et cela fait huit ans qu’il a quitté la Maison-Blanche. On va pouvoir déterminer la trace qu’Obama laissera quand on saura ce que sont devenues ses réformes. Par exemple, si le Congrès déconstruit sa réforme sur l’assurance-santé et ne la remplace pas, la trace qu’il laissera sera moins importante. C’est la même chose en matière de politique internationale. Si l’accord sur le nucléaire iranien, qui est très fragile, est mis en pièce, on révisera à la baisse son bilan. On peut aussi citer la normalisation des rapports avec Cuba même si dans ce cas, compte-tenu des forts enjeux économiques pour les entreprises américaines, on ne devrait pas assister à un revirement.
Avec la radicalisation du Parti Républicain et l’apparition du Tea Party, Obama a-t-il fait face à l’opposition la plus forte de l’histoire américaine récente?
Le Tea Party a été important mais pas déterminant. C’est surtout le “Freedom Caucus” qui rassemble entre 70 et 80 députés à la Chambre des Représentants qui aura mené la vie dure à Barack Obama. Ils ont fait preuve d’une opposition systématique et rejeté tout ce qui était progressiste. Mais ce qui a surtout était historique, est qu’en 8 ans de présidence, Obama n’en a effectué que deux avec un Congrès à majorité démocrate, entre 2009 et 2011. Puis les quatre années suivantes, il n’a disposé que du Sénat. Et d’aucune des deux chambres durant ses deux dernières années de mandat. C’est très rare. Il a vécu en cohabitation durant six ans. Les Républicains ont d’abord eu comme objectif d’empêcher Obama de faire un deuxième mandat. Puis, après la défaite présidentielle de Mitt Romney en 2012, ils ont tout mis en oeuvre pour que son second mandat ne serve à rien.
En 8 ans, le Parti Républicain et le Parti Démocrate ont beaucoup changé. Comment analysez-vous ces évolutions?
Il y a eu une forte polarisation. Les Républicains sont devenus plus conservateurs et les démocrates plus progressistes. Dans le même temps, les élus centristes ont disparu. Les clivages ont donc été plus importants. On l’a constaté en 2013 lorsque démocrates et républicains ne sont pas parvenus à s’entendre sur un budget pour l’exercice 2014. On a alors assisté au “shutdown” (“fermeture”), c’est-à-dire l’arrêt de plusieurs administrations et services fédéraux. L’opposition a également été très rude s’agissant du relèvement du plafond de la dette en 2015 qui aurait pu déboucher sur un défaut de paiement.
Barack Obama a-t-il suffisamment recherché le compromis avec les Républicains? Était-ce tout simplement envisageable?
Il y a eu un décalage entre sa rhétorique de campagne et sa gouvernance. En 2004, lors de la Convention démocrate de Boston, il avait déclaré: “Il n’y a pas une Amérique progressiste et une Amérique conservatrice. Il y a les Etats-Unis d’Amérique. Il n’y pas une Amérique noire, une Amérique blanche, une Amérique latina et une Amérique asiatique. Il y a les Etats-Unis d’Amérique”. Mais quand il arrive au pouvoir, il doit faire face à une crise sans précédent. L’économie américaine perd 600.000 emplois par mois, le taux de chômage en mai 2009 est de 10%. Il doit agir vite. Et sa première grande loi est le plan de relance de l’économie américaine de mars 2009. Un plan de 800 milliards de dollars. Les arbitrages pris sont brutaux. L’affrontement avec les Républicains va alors s’enclencher et s’amplifier lors de l’Obamacare. Les Républicains pratiqueront ensuite une opposition systématique et brutale.
Obama aurait-il pu faire davantage de réformes, notamment s’agissant de la régularisation des armes à feu?
On pense souvent que la présidence américaine est un outil magique, mais c’est totalement faux. Il y a par exemple aux États-Unis, 52 législations sur le port d’armes. La régulation de celui-ci dépend très largement des états fédérés. On ne peut pas penser une seconde que le président des États-Unis puisse intimer l’ordre à la Californie par exemple de changer sa législation. Mais il dispose de certains leviers. Par exemple entre 1994 et 2004, le Congrès avait voté l’interdiction de la vente de certains types d’armes comme les fusils d’assaut. Le Congrès n’a ensuite plus renouvelé cette interdiction.
Barack Obama est souvent décrit comme un intellectuel de la politique. A quel point cela a-t-il joué sur son mandat?
Cela a eu un impact très fort, notamment sur sa politique étrangère. Obama est un cérébral, il a besoin de contrôler au maximum les conséquences des choix qu’il prend. S’il n’est pas sûr de lui, il s’abstient. Il a souvent dit: “Don’t do stupid shit” (ne fais pas de connerie). Et sur le plan international, sa principale erreur aura été de fixer une ligne rouge sur l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Damas. Son regret n’est pas de ne pas être intervenu en Syrie, mais d’avoir parlé de ligne rouge. Il n’a pas voulu y aller car fort du précédent irakien, il n’a pas voulu être le président qui a mis la main dans un engrenage qu’il ne maîtrisait pas.
Sur le plan intérieur, ce côté cérébral lui a aussi joué un très mauvais tour. Obama aura été l’un des présidents les moins intéressés par la mécanique partisane alors que c’est capital aux États-Unis. Il s’est désintéressé de son parti, n’a pas mis les mains dans le cambouis de la machine démocrate, contrairement à George Bush avec le parti Républicain par exemple. Cela ne l’intéressait pas. Mais le résultat est qu’il laisse un parti démocrate en totale déshérence.