La tuile. Vous envisagiez votre existence comme une litanie de voluptés et de plaisirs épicuriens, havre de paix au sein duquel vous auriez batifolé sans cesse, le sourire aux lèvres, le compte en banque rempli et apte à satisfaire vos désirs les plus égoïstes. Mais non. Vous voilà avec un mioche sur le dos, parce que vous avez copulé au moment où justement, il ne fallait surtout pas copuler. Et encore, s’il n’y avait que le mioche. Mais il y a aussi son éducation à conduire, et un choix à faire : soit vous faites de votre marmot un esprit brillant et philanthrope apte à gérer sa vie d’adulte d’une main de maître, ou alors vous vous vengez de ce terrible coup du destin en faisant en sorte de foirer son éducation. Bingo. Quelques conseils pour ce faire, ici :
- Répétez-lui sans cesse et sans cesse, et sans cesse et sans cesse, qu’il est un accident, c’est-à-dire qu’à la base, Papa et Maman ne voulaient pas de lui
Et que s’il n’était pas venu au monde, Papa aurait pu se payer la Renault Mégane dont il a toujours rêvé. Et aurait par conséquent, eu moins de temps libre pour taper sur Maman. Bonjour tristesse. - Montez vos enfants les uns contre les autres
À coups de : “celui qui frappe le moins fort aura la part de gâteau la moins grosse” ou de “mais tu sais, ton grand frère, en fait, il ne t’aime pas du tout. Mais pas du tout hein.” Discuter ouvertement devant eux de la préférence que vous pouvez avoir pour l’un ou pour l’autre, en explicitant précisément pourquoi, peut également considérablement faire de vos gosses des névrosés chroniques en devenir. Le capitalisme contemporain est un monde de concurrence exacerbée sauvage, ils y seront préparés. - Culpabilisez-le en lui mettant sur le dos tout et n’importe quoi
Et en lui reprochant à titre d’exemple des fautes plus ou moins contestables : “C’est parce que tu n’as pas terminé tes épinards l’autre soir que Mamie est morte, vilaine fille !” ou “Tu te rends tout de même compte que depuis ta naissance, tu nous a fait dépenser l’équivalent du prix d’un bel appart’ dans le Ve ?” Au lieu de ça, vous vivez dans un HLM. Dieu bénisse la pilule. Et maudisse les capotes bas de gammes qui craquent dès qu’on y va un peu fort. - Ne mettez votre vie conjugale de côté sous aucun prétexte
Et n’hésitez pas, dès lors que le désir s’en fait sentir, à embrasser langoureusement votre moitié dans le cou, à la serrer de manière sensuelle contre vos attributs virils ou proprement féminins, et à placer vos mains à proximité de ses zones les plus érogènes. Marquez votre territoire, et faites bien sentir à votre marmot que c’est celui qui a la plus grosse paire de seins/de couilles qui a le plus de pouvoirs. En plus, c’est toujours une meilleure initiation à la vie sexuelle que les documentaires vidéos que les profs de SVT font passer en cours… - Faites de sa vie nocturne un calvaire infini
Enregistrez des bandes sonores sur lesquelles circuleraient sans cesse des bruits de planchers qui craquent, de portes qui grincent, des hurlements lointains de loups-garous, des bruits caverneux de l’ensorcelée de “the Grudge”…Et faites la passer toute la nuit. Arrangez-vous de même pour lui faire visionner sporadiquement des grands classiques du cinéma d’angoisse et d’horreur qui le poursuivront toute sa vie, comme “le Projet Blair Witch”, “Shining”, “REC” ou “Massacre à la tronçonneuse”. Un cri dans la nuit émanant de sa petite gorge après une tracasserie nocturne ? N’intervenez jamais, sous aucun prétexte, ou précisez-lui que, dépeceur de Montréal sous le lit ou pas, la nuit, il la terminera seul sa nuit. Seul. - Décrédibilisez-le sans cesse
Éclatez d’un rire condescendant et moqueur dès lors qu’il émet le moindre avis personnel ou qu’il fait preuve d’un semblant d’originalité, mettez en avant le vide abyssal qui émane de sa personne, et ce dès qu’il a fait son entrée à l’école primaire, ainsi que l’absurdité retentissante de sa vision de l’amour, de la famille et de l’amitié. Profitez-en également pour mettre en avant les incapacités intellectuelles flagrantes de sa mère/de son père devant lui. Et mettez-lui une bonne claque dans la gueule tient, ça lui apprendra à l’ouvrir. Avec ça, il devrait devenir un spécimen clinique taciturne aussi passionnant pour la communauté scientifique que l’ “Elephant Man” de Lynch. - Faites-lui comprendre que ses dessins, c’est vraiment de la merde
En arguant qu’un soleil de cette taille représenterait un danger mortel pour l’humanité entière, qu’une maison aussi bancale et mal dessinée n’aurait qu’une existence potentielle d’une demi-seconde, et qu’une maman aussi laide que celle qui se présente sur cette feuille de papier mal découpée, n’aurait eu aucune chance de faire bander Papa, et que par conséquent, il ne serait jamais venu au Monde. Un bon traumatisme en construction, et une aliénation totale d’une quelconque créativité artistique : “Ne me fait plus jamais de dessins s’il te plaît, ils sont vraiment trop laids. Et enlève ceux que tu as accroché sur le frigo, on a des invités ce soir.“ - Punissez-le de manière complètement injuste, et sans raison apparente
Votre gamin rentre de l’école, le sourire aux lèvres parce qu’il vient d’avoir son premier 10/10 en maths ? Décollez-lui spontanément, et sans lui laisser le temps de dire “ornithorynque”, une torgnole monstrueuse dans sa face, en le privant de dessert et de jeux-vidéos pour les 15 prochains jours. Revenez le voir quelques heures après, le temps que sa joue ait dégonflé et que ses larmes aient séché, en lui expliquant qu’il est très malsain de faire du mal aux animaux. Puis repartez, en mettant au passage un coup de pied au gentil petit chaton qui dormait tranquillement sur la dernière marche de l’escalier. Si vous ne perturbez pas l’intellect de votre gosse avec ça, recommencez. Encore, et encore, et encore. - Écrasez-le en comparant vos mérites à sa médiocrité
Répétez-lui qu’au même âge, vous étiez premier de la classe, alors que lui végète dans le ventre mou du peloton scolaire. Que vous aviez un succès dingue avec la gente féminine, alors qu’il est encore puceau à 9 ans. Que vous aviez déjà commencé à rédiger vos mémoires, alors qu’il n’a eu que 6 sur 10 à sa dernière rédaction en français. Que vos parents et vos amis vous aimaient, alors que lui, personne ne peut l’encadrer. Un bon complexe d’infériorité en préparation. Et une tentative de suicide foireuse à l’adolescence à venir.
Ancrez-lui dans son crâne un conformisme réducteur
Inscrivez votre garçon dans le club de foot local, privez-le de sommeil et de nourriture s’il n’y est pas performant rapidement, retirez votre ceinture en croco dès lors qu’il verse une larme, apprenez-lui à conduire dès l’âge de 7 ans et enseignez-lui l’art de se battre et de terrasser l’ensemble de ses adversaires à l’école. Inscrivez votre fille à la danse, menacez-la de l’immoler si elle a le malheur de vouloir exprimer une idée originale, achetez-lui l’intégralité de “Martine” et des robes rose bonbon, et faites la participer dès son plus jeune âge aux tâches ménagères aux côtés de Maman. Le parfait beauf machiste alcoolique fan de “Fast and Furious” et la parfaite pétasse soumise écervelée et aseptisée, fan de son mari. Félicitations, vous avez créé de bons petits Français.