Au pays de la voiture reine et de l’avion roi, le TGV va enfin faire ses premiers tours de roue. Vendredi 26 août, Joe Biden, le vice-président des Etats-Unis en personne, a dévoilé un investissement de 2,45 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros) afin de moderniserla ligne à grande vitesse (LGV) reliant, sur la côte Est, Boston à Washington. Financée par un emprunt, la dépense consiste essentiellement en un contrat de 2 milliards de dollars au profit d’Alstom, qui fournira les trains et réalisera la maintenance.
« C’est un grand jour pour Alstom et la grande vitesse française », s’est réjoui Jérôme Wallut, vice-président senior d’Alstom pour l’Amérique du Nord. La nouvelle a d’ailleurs eu droit aux honneurs gouvernementaux. Elle a été annoncée en présence du secrétaire adjoint aux transports, Victor Mendez, par M. Biden depuis la gare qui porte son nom, à Wilmington (Delaware).
Outre l’achat des trains, 450 millions de dollars seront consacrés à une mise à niveau des voies pour la grande vitesse, à la sécurité et à des rénovations de gares.
L’événement est une petite revanche pour l’administration Obama qui, à ses débuts, portait l’ambition d’entrer dans l’histoire comme la « présidence TGV ». En 2009, le projet de « donner à 80 % des Américains l’accès au train à grande vitesse » visait un double objectif écologique et de stimulation économique. Mais les obstructions des républicains, foncièrement anti-train, ont eu raison du plan d’investissement de 10 milliards de dollars, qui fut rayé des lignes du budget 2011.
Le « high-speed train » a demodé l’avion
Le contrat signé par Alstom avec Amtrak, la compagnie ferroviaire publique américaine, stipule que l’entreprise française construira 28 nouveaux trains chargés de remplacer, à partir de 2021, les 23 rames qui desservent aujourd’hui le « Corridor nord-est » (CNE). Cette liaison entre Boston et Washington, longue de 730 kilomètres, est la seule voie ferrée à grande vitesse fonctionnant aux Etats-Unis. Le terme de grande vitesse doit toutefois être relativisé : les trains ne dépassent pas 240 km/h en vitesse de pointe et parcourent le trajet à une allure moyenne de 170 km/h.
Les trains Avelia Liberty, derniers-nés de la gamme du groupe français, se substitueront aux rames actuelles fabriquées par un consortium composé d’Alstom et du canadien Bombardier, et dominé à 75 % par ce dernier. Exclusivement produits par Alstom, ils transporteront 35 % de passagers en plus et seront capables de hausser les cadences et la vitesse maximale (257 km/h) sur l’infrastructure existante. Ils passeront ensuite à 300 km/h lorsque la ligne aura augmenté ses capacités.
Ce saut qualitatif était devenu une nécessité car le CNE, qui dessert une conurbation presque aussi peuplée que la France, a vu sa fréquentation passer de 2,4 millions de voyageurs en 2002 à 3,5 en 2014. Fait inouï aux Etats-Unis, le « high-speed train » a démodé l’avion sur ce tronçon : le secteur aérien y a perdu 75 % des parts de marché depuis 2000.
Un marché très compétitif
Cette tendance n’a pas échappé aux décideurs américains du transport. Presque trente ans après le premier projet avorté d’un TGV au Texas, la grande vitesse frémit enfin outre-Atlantique. Une ligne reliant les villescaliforniennes de San Diego, Los Angeles et San Francisco est en cours de construction et deux autres sont à l’état de projet : entre Los Angeles et Las Vegas (Nevada) et, au Texas, entre Houston et Dallas.
Cerise sur le gâteau, Alstom bénéficie d’un contrat de maintenance lui assurant quinze ans d’activité. Les outils innovants et prédictifs (un portique truffé de capteurs scanne les rames et identifie les composants à yréparer) mis en avant par le groupe lors des négociations commerciales ne sont pas étrangers à cette réussite.
Cette commande est une belle victoire pour la société française. « Elle est d’autant plus méritoire que le marché mondial de la grande vitesse est devenu très difficile », explique Bertrand Mouly-Aigrot, consultant pour le cabinet Archery. Evalué à 6 milliards d’euros en 2017, il est fragilisé par la raréfaction des investissements publics et compliqué par une concurrence accrue. En plus de ses habituels compétiteurs – Bombardier et l’allemand Siemens – Alstom doit ferrailler avec des groupes japonais, sud-coréens, espagnols et chinois.
Pas un emploi industriel français
Vitrine pour la technologie française, ce contrat tombe à point nommé. Alstom a connu ces dernières années quelques cuisantes déconvenues, ratant un appel d’offres saoudien en 2011 et laissant, en 2015, le marché du train rapide indien au Shinkansen nippon.
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Vu de France, il y a quand même une ombre au tableau. Le financement étant fédéral, le Buy American Act s’applique au contrat. Tout le matériel roulant sera produit sur le site américain d’Alstom à Hornell, dans l’Etat de New York.
Pas un emploi industriel français ne profitera donc de ce marché. Seuls les bureaux d’études des sites hexagonaux du groupe enregistreront un surcroît d’activité. « Alstom est déjà américain, explique M. Wallut. Nous employons 2 000 personnes aux Etats-Unis. » La création de 400 emplois directs, de 1 000 indirects et l’appel à 350 sous-traitants ont motivé le Congrès des Etats-Unis dans son soutien décisif au projet.
avec lemonde