Les déchets des uns font le bonheur des autres. Aya Kishko ne dira pas le contraire, qui, à 26 ans à peine, a fondé Basata Up, une entreprise de surcyclage florissante. Son idée ? Transformer en mobilier de valeur des caisses en bois mises au rebut. Chaque jour, plus de 200 camions chargés d’environ 24 caisses de marchandises chacun entrent dans Gaza. Une fois les biens distribués, les caisses sont en général abandonnées sur place, dans la rue. En plus d’être laids, ces amoncellements présentent un risque pour l’environnement dans cette petite ville densément peuplée.
Ingénieure en architecture, Aya fait partie de cette poignée de femmes vivant dans les Territoires palestiniens, toujours plus nombreuses, qui n’hésitent pas à innover et à ouvrir ainsi de nouvelles perspectives dans des domaines non traditionnels à fort impact. Une étude récente de la Banque mondiale, réalisée avec le soutien du gouvernement norvégien et consacrée à la main-d’œuvre palestinienne, révèle l’ampleur d’un vivier inexploité. Et ce sont essentiellement les talents et le capital humain des femmes et des jeunes qui sont encore inutilisés.
« Mon ambition, c’est de créer des débouchés et de redonner de l’espoir aux jeunes de Gaza, sachant que la plupart de ceux que j’ai recrutés n’avaient jamais travaillé auparavant », explique Aya. « J’aimerais surtout inciter davantage de femmes à se lancer dans ce secteur. J’envisage par exemple de créer un centre de formation pour elles dans mon atelier afin qu’elles apprennent non seulement à concevoir et à vendre des meubles mais aussi tous les aspects de fabrication et de logistique, souvent accaparés par les hommes. »
Dans les Territoires palestiniens, trois jeunes femmes diplômées sur quatre font partie de la population active mais près de la moitié d’entre elles sont sans emploi. Si le taux d’activité des jeunes hommes instruits est lui aussi élevé, leur taux de chômage est nettement plus faible, à 18 %. Et les écarts entre régions sont profonds : ainsi, 60 % des femmes économiquement actives ayant fait des études supérieures sont au chômage à Gaza, contre seulement 28 % des hommes ayant le même niveau d’instruction (figure 1).
Un certain nombre de raisons expliquent que les hommes ayant fait des études soient privilégiés sur le marché du travail, en particulier dans le secteur privé. Les femmes se heurtent à de nombreuses contraintes, dont le risque de discrimination à l’embauche. Si les données ne permettent pas d’établir clairement à quel moment de la carrière d’une femme la discrimination devient l’obstacle principal, des recherches montrent qu’elle intervient dès l’entrée sur le marché du travail. Des enquêtes qualitatives révèlent que les employeurs ont en général tendance à considérer que les hommes méritent plus un emploi.
Les discriminations salariales également présentes dans le secteur privé peuvent constituer un obstacle supplémentaire. Le rapport montre que si le travail d’une salariée palestinienne était rémunéré au même niveau qu’un homme présentant les mêmes qualifications et la même expérience professionnelle, sa rémunération serait supérieure de 68 à 76 % à celle qu’elle touche actuellement. Les discriminations à l’encontre des femmes peuvent aussi résulter de la concentration d’hommes dans les postes de direction. En 2013, le pourcentage de femmes accédant à des postes de direction dans le secteur privé formel n’était que de 1,2 %, à comparer à une moyenne de 5,1 % dans la région MENA et de 19 % à l’échelle mondiale .
Le rapport souligne en outre que la plupart des pratiques discriminatoires à l’encontre des femmes découlent de l’absence de lois susceptibles de les protéger contre des formes implicites et explicites de discrimination. La législation actuelle n’impose pas de rémunération égale à travail de valeur égale, ne rend pas obligatoire la non-discrimination à l’embauche fondée sur le sexe et n’interdit pas aux employeurs de s’enquérir de la situation de famille. Et les textes qui obligent les employeurs à rémunérer totalement les congés de maternité, sans imposer de prestations de paternité équivalentes, contribuent à dissuader les entreprises de recruter des femmes.
Les femmes qui ont fait des études peinent aussi à trouver des débouchés : en 2015, 48 % d’entre elles étaient enseignantes, contre seulement 15,2 % pour les hommes de même niveau, alors que le taux de chômage dans cette profession ressortait à 68 %. De nombreuses femmes peuvent effectivement aimer enseigner, mais leur concentration dans certains domaines révèle d’autres obstacles, comme l’absence de prise en charge bon marché et de qualité pour les enfants, l’absence de mesures condamnant le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, les restrictions de déplacement imposées par Israël et le manque de fiabilité des réseaux de transport.
L’entrepreneuriat n’est bien évidemment pas une solution miracle, mais le fait d’investir dans les femmes qui innovent contribue à créer davantage d’emplois à des postes plus élevés pour les femmes des Territoires palestiniens comme du reste du monde. Les femmes chefs d’entreprise tendent à recruter davantage de femmes comme employées et à des postes de direction.
« Pour la Norvège, la promotion des droits des femmes et de l’égalité des sexes est et restera une priorité, dans l’absolu et dans les actions de coopération que nous menons ici, dans les Territoires palestiniens », rappelle Hilde Haraldstad, représentante de la Norvège auprès de l’Autorité palestinienne. « Malgré les mesures prises par les autorités pour faire progresser les droits des femmes à l’échelon national, les effets tangibles de ces initiatives sur le terrain peinent à se concrétiser. Il faut adopter et mettre en œuvre de nouvelles politiques ciblées afin d’accroître la participation des femmes à la population active. »
La Banque mondiale s’attache à créer des débouchés productifs pour les femmes dans les Territoires palestiniens en encourageant les investissements dans les entreprises féminines, en promouvant le travail à distance chez les jeunes de Gaza dans le but d’améliorer leurs futures possibilités d’emploi et en officialisant les activités à domicile, qui ont en général la préférence des femmes à cause des freins à la mobilité encore plus présents dans les situations de fragilité, de conflit et de violence.
À terme cependant, l’égalité durable entre les femmes et les hommes exige, pour se concrétiser, de démanteler de manière globale tous les obstacles identifiés. La première étape consiste à réformer immédiatement les lois qui n’imposent pas un traitement égal des femmes et des hommes et à mettre en place un environnement de travail dans le secteur privé débarrassé de toutes formes de discrimination.
avec : banquemondiale