Conforté par ses bénéfices en hausse, le premier opérateur téléphonique kényan souhaite se diversifier en se lançant dans la vente en ligne. Et enfin étendre ses activités au reste du continent.
Safaricom, le numéro un des télécoms au Kenya, prépare sa première expansion à l’extérieur de ses frontières. Le groupe entend s’appuyer sur ses bons résultats : sa capitalisation a atteint 10,5 milliards de dollars (près de 8,8 milliards d’euros) le 29 août, quand le prix de l’action a touché un plus haut historique à 27,25 shillings kényans (22 centimes d’euro) – même si ce dernier a baissé de 9 % depuis, à la suite de l’annulation de l’élection présidentielle par la Cour suprême. En mars, la société avait annoncé une croissance de 27 % de ses bénéfices avant impôt pour l’année écoulée, soit 70,6 milliards de shillings. De belles performances liées à la progression de 32 % des revenus de son service de paiement par téléphone mobile M-Pesa.
Par ailleurs, Vodafone, la maison mère anglaise, a cédé en août 35 % de ses parts dans Safaricom à sa filiale Vodacom, basée en Afrique du Sud et regroupant ses actifs africains. « Cela nous libère totalement, explique Bob Collymore, le directeur général de Safaricom, dans une interview au Financial Times. Jusqu’ici, tout ce qui se passait en dehors du Kenya était le territoire de Vodacom. Désormais, Safaricom peut gérer d’autres services sur de nouveaux marchés. » Vodafone a conservé une part minoritaire de 5 % dans Safaricom, dont 35 % appartiennent par ailleurs au gouvernement kényan – le reste du capital est flottant.
S’implanter en terres inoccupées
Les projets de Safaricom se concentrent sur une offre alliant commerce en ligne et paiement par téléphone mobile, des services encore peu répandus dans les pays voisins. « Certains États pourraient nous voir comme une menace si nous nous installions en tant qu’opérateur mobile. Mais nous voulons au contraire aller dans les espaces encore inoccupés. Comme l’e-commerce », explique Bob Collymore, à la tête de l’entreprise depuis 2010 et récemment reconduit pour deux ans. Si ce patron n’exclut pas de s’implanter en Afrique de l’Ouest, la première cible de l’opérateur sera l’Afrique de l’Est.
C’est l’Éthiopie qui représente le plus grand potentiel pour Safaricom, notent les analystes, ce pays de 100 millions d’habitants ayant cette année dépassé le Kenya en tant que première économie de la région. Mais les embûches restent nombreuses, les entreprises étrangères – opérateurs de télécoms, mais aussi banques et distributeurs – n’étant pas autorisées à exercer dans le pays. « Il y a eu une légère amélioration dans l’attitude du gouvernement éthiopien envers le secteur privé cette année. Certes, la situation ne va pas changer du jour au lendemain, commente Ahmed Salim, analyste de Teneo Intelligence. Mais si une entreprise peut y arriver, c’est bien Safaricom. »
La vente en ligne au Kenya
Nommé Masoko, le nouveau produit de Safaricom sera plus proche du chinois Ali Baba que de l’américain Amazon. « Ce dernier fait de la logistique et possède des stocks. Nous ne souhaitons pas en avoir », poursuit le patron. Il voudrait plutôt créer une plateforme connectant les vendeurs aux consommateurs mais aussi à leurs homologues. Plusieurs sociétés de commerce en ligne sont déjà actives au Kenya, comme Jumia ou encore Kili Mall et OLX – reproduisant majoritairement le modèle Amazon –, mais le secteur reste limité. Les ventes représentent moins de 1 % des paiements par téléphone mobile, selon l’Autorité des communications du Kenya.
Plus qu’un simple opérateur télécoms, Safaricom est maintenant une plateforme regroupant plusieurs activités » prétend Francis Mwangi
Bob Collymore souhaite lancer Masoko au Kenya d’ici à la fin de l’année pour en « tester le concept ». « Puis, dans deux ou trois ans, nous serons présents dans quatre ou cinq pays d’Afrique, affirme-t-il. Mais nous n’irons pas au-delà du continent, c’est un défi trop important. » Pour Francis Mwangi, analyste à Standard Investment Bank, à Nairobi, ce développement en Afrique est une « évolution naturelle ». « Plus qu’un simple opérateur télécoms, Safaricom est maintenant une plateforme regroupant plusieurs activités. La grande question est : va-t-il réussir ? explique-t-il. Beaucoup de leurs projets ont très bien fonctionné, mais pas tous. »
Consulter les données
Le groupe commence par ailleurs à s’intéresser à la valorisation des deux térabytes de données que génèrent chaque jour ses utilisateurs. Une mine de ressources qu’il avait jusqu’ici négligée. « Pour le moment, c’est un peu comme une gigantesque bibliothèque où tous les livres seraient éparpillés par terre. On ne peut pas y trouver ce que l’on cherche », explique Bob Collymore. Une nouvelle équipe consacrée à l’analyse de ces données va être formée et dirigée par Kamal Bhattacharya, un ancien responsable d’IBM Labs. Selon Francis Mwangi, les informations des 19 millions d’abonnés de M-Pesa pourraient notamment être vendues aux agences de contrôle de crédit.
Mais tous ces projets sont menacés par une procédure en cours auprès du régulateur du secteur, l’Autorité des communications, qui doit dire si l’entreprise, qui contrôle 71 % de part de marché dans la téléphonie mobile, a abusé ou non de sa position dominante. Pour Bob Collymore, le pire scénario serait un « contrôle des prix et une obligation de séparer les activités de détail et les opérations ». Il admet toutefois que cette option reste improbable, le ministre de l’Information et de la Communication étant « défavorable à la séparation pour la séparation ». Le régulateur n’a pas encore fixé de date pour l’annonce de sa décision.
Navire amiral
En transférant ses 35% dans Safaricom à Vodacom, l’objectif de Vodafone est de regrouper ses actifs africains dans un seul navire amiral. Grâce à cet opérateur présent en Afrique du Sud, en Tanzanie, au Lesotho, en RD Congo, au Mozambique et au désormais Kenya, le groupe britannique pourrait conquérir de nouveaux marchés.
Avec jeuneafrique