Dans les années à venir, la 5G sera un important facteur de compétitivité pour l’économie du futur. Face à l’activisme des États-Unis et de la Chine pour déployer cette technologie au plus vite, l’Europe et la France sont confrontées à un risque de déclassement.
Il n’y a plus de temps à perdre. Même si la 5G ne devrait pas, en France, voir le jour avant 2020, tout se joue maintenant. Pour de nombreux observateurs, l’Hexagone et l’Europe ne doivent pas se laisser davantage distancer dans la course mondiale au développement et au déploiement de la prochaine génération de communication mobile. Pour beaucoup, la 5G sera un puissant accélérateur de la numérisation de l’économie. Outre des débits plus importants (multipliés par dix par rapport à la 4G), la 5G permet de développer de nouveaux usages. Sa très faible latence – la réactivité du réseau lorsqu’on le sollicite -, constitue, sur le papier, un atout essentiel pour la voiture autonome ou le trading à haute fréquence. Cette technologie est aussi conçue pour gérer, de manière massive, les objets connectés – ce qui en fait un puissant catalyseur de l’industrie du futur.
Le grand changement par rapport aux générations précédentes, c’est que la 5G n’est pas uniquement façonnée pour le grand public. Elle est aussi – et surtout destinée à doper l’activité des entreprises dans des secteurs aussi variés que l’immobilier, l’énergie, les transports ou la santé. Pour les États-Unis et la Chine, qui investissent des milliards pour être les premiers à déployer la 5G, cette technologie constitue la fondation indispensable à l’essor des géants économiques de demain. Au pays de l’Oncle Sam, on justifie souvent cette conviction par l’histoire récente. De nombreux analystes arguent que si les Facebook, Apple, Google, Amazon et autres géants américains du Net ont connu un essor aussi fulgurant, c’est notamment parce que les États-Unis ont été parmi les premiers à déployer la 4G. Au contraire du Vieux Continent, qui est devenu pour sa part un grand consommateur de ces plateformes.
La France à la traîne
Sous ce prisme, l’enjeu pour la France et l’Europe est justement d’éviter que l’histoire se répète en ratant le coche de la 5G. Dans l’Hexagone, certains estiment que le pays a pris un retard préoccupant. En témoigne une étude publiée début octobre par l’institut Xerfi. Celui-ci souligne, en premier lieu, que les fréquences 5G, qui sont indispensables aux opérateurs pour proposer leurs services, n’ont toujours pas été attribuées. « Même si la vente aux enchères des fréquences 5G pourrait avoir lieu à la mi-2019, la France est en retard par rapport à ses voisins européens, affirme l’étude. Au Royaume-Uni, la vente des fréquences 5G a eu lieu en avril 2018. La Suisse et l’Italie avaient également finalisé leur processus d’appel d’offres en septembre 2018. » En second lieu, le « plus préoccupant », juge Xerfi, est que « les entreprises françaises ne semblent pas s’approprier la 5G ».
« L’Autorité de régulation des télécoms (Arcep) a fait part de sa déception face à la teneur des expérimentations en cours, précise l’étude. Outre un nombre limité de tests, les demandes émanent à 80 % des opérateurs télécoms. Les pouvoirs publics attendaient aussi des acteurs de l’industrie, de l’énergie, ou encore des infrastructures comme des ports ou des hôpitaux qui visiblement ne sont pas au rendez-vous. »
Les opérateurs nient le retard
Interrogé par La Tribune, Sébastien Soriano, le président de l’Arcep, s’est montré inquiet. En septembre dernier, il a critiqué le peu d’engouement, selon lui, de certains opérateurs nationaux pour la 5G. Avant d’estimer que la 5G sera un « saut technologique » à ne pas rater. « Il est certain que ce sera un facteur de compétitivité essentiel pour l’attractivité des capitaux, des talents, a-t-il insisté.
Pour l’Europe, il y a un risque évident de déclassement. » Une crainte partagée par le think tank Idate. Selon Jean-Luc Lemmens, son directeur du pôle médias et télécoms, « le retard que prend l’Europe est grave ». Et difficile, pour ne pas dire impossible à rattraper, étant donné que, d’après ses calculs, l’investissement par habitant dans les télécoms s’élève à 194 euros aux États-Unis, contre 92 euros en Europe. Résultat, aux dires de Jean-Luc Lemmens, « il manque 50 milliards d’euros d’investissement par an dans l’Union européenne » pour que le Vieux Continent fasse jeu égal avec le pays de l’Oncle Sam.
Partageant le point de vue de Xerfi, le spécialiste estime qu’à terme c’est tout le tissu économique européen qui pourrait pâtir d’un retard dans la 5G. « Si demain l’Internet des objets, via la 5G, devient un “must have”, les grands groupes industriels iront s’installer là où les infrastructures se trouvent », insiste Jean-Luc Lemmens. Avant d’en remettre une couche : « Est-ce que, aujourd’hui, vous iriez vous installer dans une ville où il n’y a pas d’électricité ?
Bien sûr que non. » Les grands opérateurs français, eux, estiment au contraire qu’ils ne sont pas en retard dans la 5G. Ainsi, mi-décembre, la Fédération française des télécoms (FFT), le lobby du secteur, a argumenté : « Les fréquences 5G n’ont pas encore été attribuées aux opérateurs, a déclaré Didier Casas, le président de la FFT. Donc, à ce stade, je récuse l’idée selon laquelle nous serions en retard. »
Avec weforum