EXCLUSIF. Le projet de la cité Mohammed VI Tanger Tech est relancé grâce à la signature d’un mémorandum d’entente entre SATT et le Chinois CCCC. Le Maroc exige des garanties, la société chinoise aussi. Pas de contrat si les exigences des deux parties ne sont pas satisfaites.
Le 26 avril dernier, une nouvelle venant de Pékin braque à nouveau les projecteurs sur l’un des projets les plus attendus de la prochaine décennie : la Cité Mohammed VI Tanger Tech.
En effet, Othmane Benjelloun, président de la Société d’Aménagement de Tanger Tech (SATT), Weng Gang, vice-président du conglomérat public chinois CCCC, et Sun Yao Guo, vice-président de China Road and Bridge Corporation (CRBC) ont signé un mémorandum d’entente relatif à la Cité Mohammed VI Tanger Tech.
Pour tout le monde, il s’agit de la relance du projet qui a souffert de plusieurs péripéties depuis son annonce, dont la plus importante reste le retrait du précédent partenaire chinois Haite, qui avait signé devant le Roi un mémorandum d’entente pour la réalisation de la cité en partenariat avec la partie marocaine.
Le retrait de Haite avait porté un coup dur à un projet qui, depuis son lancement, a laissé beaucoup d’observateurs dubitatifs tant son ampleur est inédite au Maroc.
Le projet promet une nouvelle ville de 2.000 ha, la création d’environ 100.000 emplois pour une population environnante de 300.000 habitants. Un investissement d’un milliard de dollars (9,5 MMDH) qui permettra de drainer un investissement industriel de 10 milliards de dollars (96 MMDH) sur 10 ans.
Des chiffres qui donnent le tournis, mais le Maroc semble déterminé à sortir ce projet de terre. “La Chine a compris que passer par le Maroc est un atout pour renforcer sa position sur le continent. Il y a une convergence des politiques qui peut rapporter au Maroc des milliards de dollars au regard du volume des échanges entre la Chine et le continent”, nous assure une source proche du projet.
Pour notre source, la Cité Tanger Tech fait partie de la stratégie marocaine qui vise à capter une part des flux chinois sur le continent.
Cela dit, l’ambition affichée n’est pas toujours évidente à concrétiser surtout avec un partenaire aussi particulier que la Chine, dont les codes du business et des affaires ne sont pas les mêmes que ceux pratiqués par les Marocains, habitués aux partenaires européens.
Haite, de 100 à 2.000 hectares
“Haite est un “petit” acteur chinois privé qui était très intéressé par le Maroc pour ses nombreux accords de libre-échange. Il a compris qu’avoir une base industrielle au Maroc lui permettrait d’exporter plus librement qu’à partir de la Chine. C’est pour cela que Haite a commencé sa prospection au Maroc”, nous raconte un proche du dossier. Pour notre source, la recherche de Haite se limitait à 100 hectares pour installer son industrie.”
“Les responsables de Haite ont fait le tour et ont fini par décider de s’installer à Safi. Puis l’affaire s’est emballée, on leur a dit qu’on veut davantage et les 100 ha sont devenus 2.000 ha”, poursuit notre source. “Et cela s’est passé dans un délai tellement court qu’ils se sont dits pourquoi pas. S’en est suivie la signature d’un mémorandum d’entente. Mais après, quand ils ont étudié les choses en détail, ils ont pris conscience que cela dépasse leurs capacités et ils se sont retirés”, ajoute-t-elle.
C’est ainsi que s’est terminée l’aventure Haite poussant les Marocains à devoir chercher un nouveau partenaire, en s’assurant cette fois-ci qu’il sera à la hauteur des ambitions marocaines pour la future ville industrielle.
CCCC, le public comme garantie ?
L’expérience avec Haite a permis aux Marocains de tirer plusieurs enseignements dont le principal est qu’un projet comme celui de Tanger Tech, porté au plus haut niveau du côté marocain, devait également l’être du côté chinois.
“Le comité central du projet a conclu que si nous voulons faire ce projet avec la Chine, il faut le faire avec une entreprise étatique”, nous confie notre source.
Donc l’approche a complètement changé. C’est ainsi que le gouvernement marocain à travers son ministère des Affaires étrangères est entré en scène pour discuter avec son homologue chinois. Les prises de contact et les discussions ont été confiées à Mohcine Jazouli, ministre chargé des Affaires africaines.
“Le ministre a fait une tournée auprès de tous les grands industriels étatiques chinois. Ils sont tous venus au Maroc pour visiter le site et avoir plus de détails sur le projet. Après, nous avons effectué une sorte de classement des différents acteurs où CCCC est arrivé en tête et c’est là que nous avons démarré les discussions avec ses responsables”, nous confie notre source.
Ce processus a duré presque 8 mois. Il a été enclenché en septembre 2018 pour aboutir au MoU, signé ce 26 avril.
Malgré cette approche nouvelle, il est tout à fait légitime de se demander si ce partenaire sera le bon, comme le laisse entendre notre confrère LeDesk. Quelle assurance le Maroc a-t-il que CCCC ne jettera pas l’éponge comme Haite ?
“Tout d’abord, il convient de rappeler que nous sommes en présence d’un mémorandum d’entente, ce n’est pas un contrat. C’est un mémorandum où chaque partie s’engage sur un certain nombre de choses dont la concrétisation permettra d’aboutir à la signature du contrat définitif”, nous précise notre source. Donc rien n’est encore acté.
“Le MoU prévoit les conditions dans lesquelles nous allons travailler ensemble dans les prochains mois et surtout quels points nous devons étudier et que nous allons détailler pour pouvoir transformer le MoU en contrat”, assure notre interlocuteur.
Le MoU détaille les exigences de part et d’autre. Chaque partie s’attellera à leur réalisation avant de passer à la signature du contrat proprement dit.
La partie marocaine a exigé ce qui suit :
– Les volets relatifs à la construction de la cité (routes, autoroutes, infrastructures) seront assurés par des entreprises marocaines.
- CCCC devra attirer des industriels chinois au Maroc.
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La main-d’œuvre employée dans la cité industrielle doit être à 90% marocaine.
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Les industries attirées doivent comporter de la R&D pour un transfert de technologie.
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CCCC doit s’engager en tant qu’actionnaire de Tanger Tech et inscrire le projet dans le cadre des projets financés par l’initiative chinoise de la route de la soie qui prévoit des financements à des conditions intéressantes pour les entreprises qui s’y inscrivent.
De l’autre côté, les Chinois exigent de :
- Finaliser la convention selon laquelle l’Etat s’engage à réaliser les différentes infrastructures hors site (connexion aux réseaux autoroutiers, électriques, de distribution d’eau, d’assainissement …). Les 100 hectares de la première tranche nécessiteront un investissement de 120 MDH. Sur les 2.167 ha de toute la cité, ce sont ainsi plus de 2,4 milliards de DH qui doivent être investis par l’Etat.
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Accorder des incitations et des avantages aux industriels qui vont s’implanter dans la zone. Le partenaire chinois veut un package similaire à celui accordé à Renault ou Peugeot. Ici la balle est chez le gouvernement marocain.
Les deux partenaires se donnent un délai de 6 mois pour préparer les garanties exigées de part et d’autre avant de passer à la signature du contrat. Si les conditions ne sont pas réunies, il n’y aura pas de contrat, selon notre source.
Première usine pour 2020, première habitation pour 2021.
Même si les tractations avec les partenaires chinois se poursuivent, les Marocains ont déjà démarré le travail.
Les différentes études relatives au projet sont prêtes (les masters plans, le phasage, le planning, les études urbanistiques, les schémas de transport…)
“Nous avons notre planning détaillé pour la première phase qui s’achève en 2024 et sur lequel nous avançons comme prévu”, nous confie-t-on. “En 2019, nous devions aménager 62 hectares. Cet objectif sera dépassé et avant fin 2019, nous aurons 90 ha aménagés”, ajoute notre source.
La première phase concerne 650 hectares sur les 2.167 de la cité Tanger Tech. La moitié de cette superficie concerne les espaces verts. La partie résidentielle (2.200 unités) sera érigée sur plus de 125 ha. Le reste sera consacré aux activités industrielles. Il s’agit d’industries d’engins roulants, aéronautique, d’ingénierie logistique de textile et une zone généraliste.
“On ambitionne d’avoir 63 ha d’industrie opérationnelle en 2020. En 2021 on ajoutera 40 ha et on poursuivra ainsi jusqu’en 2024 pour boucler la première phase. Pour le résidentiel, nous aimerions avoir 2.200 unités prêtes pour 2021”, assure notre source.
Zone inondable
La cité Tanger Tech doit également faire face à un autre problème lié à la nature du terrain sur lequel elle sera érigée. En effet, le terrain est inondable ce qui rend tout investissement risqué.
“Il est vrai que toute la zone est inondable. C’est une des particularités du nord. Sa topographie n’est pas favorable. Mais nous avons fait des études d’inondabilité avec des simulations qui nous ont permis de faire ce qu’on appelle le réalignement des Oueds”, assure notre source. En d’autres termes, un chemin de circulation de l’oued présent dans la zone a été redessiné tout en élargissant ses berges de circulation pour pouvoir écouler beaucoup plus d’eau que ce soit les eaux pluviales ou les eaux du barrage.
“Ces mesures ont été décidées après avoir fait des études qui simulent les inondations centennales. On a pris les statistiques des crues sur 100 ans… et on a fait des simulations”, ajoute notre source.
En plus de cette mesure qui rend, selon notre interlocuteur, le terrain viable, le comité de pilotage a décidé de rehausser la hauteur du terrain.
Une troisième mesure de précaution est prise : agrandir les superficies des espaces verts qui couvriront désormais la moitié du terrain. “Ces espaces verts ont été positionnés autour de l’oued. Donc même s’il déborde un peu ça sera sur les zones vertes”, nous assure notre source qui affirme que la conjonction de ces différents facteurs réglera définitivement le problème de l’inondabilité du terrain.