« On ne règle pas un problème en utilisant le système qui l’a engendré. Ce n’est pas avec ceux qui ont créé les problèmes qu’il faut les résoudre. » A .Einstein
L’accord sur le nucléaire iranien, signé le 14 juillet 2015 par l’Iran et le groupe 5+1, est-il susceptible de créer les conditions propices à la résolution politique des conflits qui déchirent le Moyen-Orient ?
Certains experts en géopolitique répondent à cette question par l’affirmative en avançant le fait que, d’une part, l’endiguement économique et militaire de l’Iran n’a pas donné les résultats escomptés. D’autre part, ils soulignent que les cinq années, au moins, de financement et d’armement de milices dont l’ Organisation de l’Etat islamique (Daech) et le Front El Nosra-El Qaïda n’ont pas permis de mettre à bas le régime syrien, pièce maîtresse à abattre pour remodeler la Syrie et isoler l’Iran. Enfin, loin d’affaiblir l’influence iranienne en Irak avec’’ l’instrument terroriste Daech’’, la présence militaire iranienne en Irak est plus que jamais nécessaire pour combattre cette organisation et stabiliser l’Irak. Sans oublier les conséquences désastreuses sur le plan humanitaire avec son corollaire, l’immigration vers les côtes européennes. De plus, aux zones de conflits militaires irakiens et syriens, s’est ajouté le front yéménite avec la catastrophe humanitaire qu’on connait. Et par conséquent, une approche politique appuyée par le rapport de l’envoyé spécial de l’ONU, faisant le constat que le Président Bachar El Assad fait partie de la solution, est la seule voie raisonnable. Mais pour emprunter un tel chemin, encore faut-il réduire au silence les organisations terroristes dont les majeures, Daech et le Front El Nosra. Ces analystes affirment que les Etats-Unis convaincront l’Arabie Saoudite, du bien-fondé d’un tel changement de braquet stratégique. Cet optimisme s’appuie, entre autres, sur les déclarations des principaux acteurs tels les présidents russe et iranien. Pour le premier, l’Iran et le groupe 5+1 « ont fait un choix décisif pour la stabilité et la coopération ». Pour le second, Hassen Rohani, cet accord « va créer un nouveau climat pour un règlement politique plus rapide. » des crises régionales, Irak, Syrie et Yémen.
A ce stade de la situation régionale, aucun signe tangible ne permet d’affirmer que les concepteurs de Daech et du Front El Nosra, d’hier, américain, wahhabite et néo-ottoman, vont se muer en leurs ennemis irréductibles. En revanche, ils peuvent ‘programmer une mutation de ces organisations du terrorisme à la modération’. Une mutation qui légitimerait des négociations sur une nouvelle architecture territoriale de l’Irak et la Syrie.
‘Nouvelle Syrie’ : un terrorisme ‘’modérée’’ pour légitimer une intervention militaire
En tout état de cause, l’optimisme suscité par l’accord sur le nucléaire iranien est tempéré par le secrétaire d’Etat américain John Kerry, présent à Doha pour une réunion exceptionnelle des ministres des Affaires étrangères du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Tout en rassurant ses homologues du CCG sur les bienfaits de l’accord international, John Kerry a annoncé l’accélération des ventes d’armes à ces pays qui disent s’inquiéter « des ambitions régionales » de l’Iran. A l’issue de cette réunion, John Kerry révéla que Etats-Unis, CCG et sans doute Israël sont » tombés d’accord pour accélérer certaines ventes d’armes qui sont nécessaires et qui ont pris trop de temps par le passé. » avec les formations militaires particulières qui en découlent.
Trois données nouvelles ne plaident pas non plus en faveur d’une quelconque coopération politique et militaire des USA et CCG pour combattre les organisations terroristes.
1°) La mise en garde américaine, prévenant que Damas « ne doit pas interférer » avec les actions des insurgés de ‘Nouvelle Syrie’, formés par les Américains pour combattre, soit disant, l’organisation wahhabite Daesh (Etat islamique-EI). (1)
2°) Selon le journal britannique du Sunday Express daté du 2 Août, « plus de 120 membres appartenant au régiment d’élite se trouvent actuellement dans le pays ravagé par la guerre, secrètement déguisés en noir et faisant flotter les drapeaux de l’EIIL”, ils sont engagés dans ce qui est appelé l’Opération Shader : attaquer des cibles syriennes sous le prétexte de combattre l’EIIL. »
3° ) Suite à la coordination militaire entre les forces kurdes de Syrie et l’armée syrienne, la Turquie est entrée en scène sous le prétexte de combattre Daesh et le PKK. Pour appuyer la Turquie, les Etats-Unis lui ont accordé une zone tampon en Syrie.
D’où la question : l’un des prix à payer par les Etats-Unis aux Monarchies du Golfe et à …Israël en contre- partie de l’accord sur le nucléaire n’est-il pas une future intervention en Syrie rappelant le scénario libyen ?
L’évolution des derniers évènements en Syrie où l’armée syrienne avec le soutien de la résistance libanaise marque des points sur le plan stratégique et en Irak où les milices chiites pro-gouvernementales, avec l’aide de l’Iran, consolident leurs avancées face à Daech, renforce cette hypothèse. Tout indique que les Etats-Unis sont en train de créer une réalité fictive en Syrie, l’existence d’une organisation ‘’modérée’’ luttant contre le pouvoir syrien.
En effet, l’administration américaine a autorisé des frappes aériennes pour défendre les combattants de ‘Nouvelle Syrie’ au cas où ils sont la cible de l’armée syrienne. Une prise de position critiquée par le Kremlin qui estime que le projet des Etats-Unis de fournir, avec la Turquie, une couverture aérienne à des rebelles syriens, est de fait un soutien aux organisations terroristes opérant en Irak et en Syrie.
Aussi, loin d’entrevoir, une coopération militaire de la Communauté internationale contre les organisations terroristes sévissant au Moyen-Orient, les faits semblent pencher plutôt vers une intervention militaire directe des Monarchies du Golfe, de la Turquie, soutenues par les Etats-Unis et leurs subordonnés européens et Israël. Ce dernier apporte déjà sa contribution militaire au Front El Nosra sur sa frontière avec la Syrie. Le but de guerre étant évidemment l’effondrement du régime syrien. Par conséquent, une confrontation militaire directe en Syrie est plausible, ceci d’autant plus qu’aux yeux des Monarchies du Golfe et d’Israël, l’accord du 14 juillet 2015, renforce sur le plan économique et financier, l’Iran et ses alliés régionaux. Et il ne faut pas en douter, Arabie Saoudite et Israël convergent sur ce point et collaborent contre ce qu’ils considèrent être l’ennemi commun. Comme l’a souligné récemment le directeur général des Affaires étrangères israélien, Dore Gold, qualifiant le régime iranien comme « un véritable rouleau compresseur qui essaie de conquérir le Moyen-Orient » tout en ajoutant que « les nations arabes sunnites sont les alliés d’Israël. » (2)
Si une telle opération militaire à la libyenne est entreprise avec à la clef, l’effondrement de l’Etat syrien, l’hétéroclite sainte alliance aurait à résoudre deux autres problèmes.
Le premier est libanais.
Sur ce point, Saoudiens et Israéliens convergent militairement et politiquement sans état d’âme. Afin de parachever la besogne supposée accomplie en Syrie, on peut, sans risque de se tromper, émettre l’hypothèse que la sainte coalition chargerait l’armée israélienne de ‘pacifier’ le Liban en s’attaquant à la résistance libanaise avec à sa tête le Hezbollah. Une sorte de revanche accordée à Israël. Déjà, est en ligne de mire l’aide financière iranienne à la résistance libanaise. Sur ce point, Israéliens et Américains convaincus que « les Iraniens continueront de fournir de l’aide financière au Hezbollah et aux mouvements Hamas et Jihad islamique », coordonneront dès septembre les services concernés « pour saboter toute tentative de transfert de fonds iraniens aux groupes terroristes » . (3)
Toujours est-il, quelle que soit l’issue de ‘’l’opération’’ en Syrie, le second problème pour la coalition est la question palestinienne. Cette dernière constitue une contradiction au sein de cette alliance. Une contradiction que le CCG et principalement l’Arabie Saoudite ne peuvent pas mettre sous la table. Et pour cause, la monarchie wahhabite se présentant aux yeux des ‘’peuples sunnites’’ comme l’ultime rempart du ‘’ Vrai Islam’’ ne peut légitimer sa collaboration sans des ‘’concessions israéliennes en faveur’’ du peuple palestinien et notamment sur la question de Jérusalem-Est (El Qods), certes, moyennant une mise au pas du Hamas et du Jihad islamique. Cependant, il est fort à parier que, malgré la collaboration des « Etats sunnites alliés », la politique de colonisation de la Cisjordanie et la judaïsation de Jérusalem-Est continueront leur cours.
A n’en pas douter, indépendamment de l’issue syrienne, l’épée de Damoclès est désormais suspendue sur la tête du Royaume wahhabite.
La constante stratégique occidentale : la suprématie d’Israël
Il n’est pas superflu de rappeler que ces conflits qui ébranlent le Moyen-Orient de Sykes-Picot, obéissent, avant tout, à une géopolitique du gaz et du pétrole, du Golfe à l’Asie centrale. Comme le souligne Alexandre Del Valle dans son article fort intéressant intitulé « Genèse et actualités de la stratégie pro-islamiste des Etats-Unis », « si l’on prend en compte les réserves du Golfe, d’Afrique du Nord et d’Asie centrale, ce sont près de 75 % des réserves mondiales prouvées qui sont entre les mains du monde musulman. » (4)
A toute cette richesse, il faudrait ‘’ajouter le gaz qui dort encore sous le sol’’ syrien, libanais et gazaoui. Il va de soi que la maîtrise de l’exploitation et de l’acheminement de cette richesse est d’une valeur stratégique inestimable face à la Russie, la Chine et l’Iran. C’est pourquoi, cette guerre militaro-économique menée par ‘les laïques’ sous l’étendard des droits de l’homme et autres balivernes démocratiques et par les wahhabites sous le drapeau de ‘ l’islam de la pureté’, n’est rien d’autre qu’une guerre pour la domination du marché mondial. Un enjeu stratégique où les Etats-Nations tels la Russie, l’Iran, la Chine, la Syrie…refusent d’être encerclés et marginalisés par l’Empire néo-libéral occidental.
Cependant, il faut noter une exception dans cette règle de guerre contre les souverainetés étatiques, à savoir, garantir, non pas la sécurité, mais la souveraine suprématie d’Israël au Moyen-Orient. Les Monarchies wahhabites y collaborent espérant, par là même, sauvegarder leurs propres existences. Ignorant sans doute que les Etats-Unis, désormais, seuls maîtres à bord du monde néo-libéral n’ont pas la même lecture des alliances étatiques.
Avec Israël, les Etats-Unis ont construit une alliance idéologique, quasi-religieuse. Une telle alliance supporte les divergences d’ordre politique. En un mot, ce n’est pas une alliance de circonstance. A Contrario des Monarchies wahhabites qui ne sont les protégées du monde occidental que pour des raisons de circonstances géopolitiques et financières. Et sachant que la géopolitique et la finance sont changeantes comme le climat, cette alliance contre nature n’est pas durable comme on dit.
En somme, malgré les apparences, les Monarchies wahhabites ne sont qu’une variable d’ajustement dans la géostratégie états-unienne à l’inverse de l’Etat d’Israël qui en est une constante et de taille. C’est pourquoi encore une fois, l’épée de Damoclès est suspendue sur la tête du Royaume wahhabite… et au-delà.
Avec Reseau International