« Oh, quelle inextricable toile nous tissons, lorsque nous commençons à nous exercer au mensonge. »
Walter Scott, 1771-1832, « Marmion »
L’entrée en scène de la Russie en Syrie dévoile au grand jour à la vitesse de l’éclair tous les mensonges exercés par la « communauté internationale » en général et par les États‑Unis et le Royaume-Uni. en particulier.
Prenons le cas du premier ministre du Royaume-Uni David Cameron. Le 24 septembre de l’an dernier, lors de son allocution aux Nations Unies, il a signifié son intention de recourir à l’aviation pour bombarder l’EI/EIIL/EIIS en Irak, en ajoutant sans ambiguïté qu’il ne ferait rien de tel en Syrie et qu’il n’y aurait absolument pas de « présence sur le terrain ». (1)
À propos de l’Irak, il a poursuivi en disant que l’Occident ne devrait pas rester les bras croisés suite aux « erreurs passées ». Si ce qui s’est passé en Irak est une « erreur », imaginez ce que serait une catastrophe!
Cameron maniait évidemment la vérité avec parcimonie. En 2013, le Parlement a voté en faveur d’une non-intervention en Syrie. C’était la première fois en 200 ans qu’un premier ministre perdait un vote de guerre au Parlement. L’intervention aurait été illégale de toute façon, car elle n’avait pas reçu l’aval du président ou du gouvernement syrien et n’était pas mandatée par l’ONU. Cependant, en juillet de cette année, il s’est avéré que des pilotes de l’armée de l’air britannique ont été « intégrés » à des escadrilles aériennes étasuniennes et canadiennes engagées dans des « missions aériennes de collecte de renseignements, de surveillance, de reconnaissance et de frappe (…) », selon le ministère de la Défense. (2)
Le 7 septembre, Cameron a également annoncé qu’une frappe de drone britannique avait tué deux combattants de l’EIIS de nationalité anglaise. L’ironie de la chose, c’est qu’après que le Royaume-Uni se soit joint à l’annihilation de nations entières en accusant leurs dirigeants de « tuer leur propre peuple », terroristes ou non, Cameron tue maintenant « ses propres ressortissants » en recourant à des « assassinats ciblés », pour reprendre les mots de Michael Clarke, directeur général du belliciste Royal United Services Institute de Londres.
Ceux qui ont été tués étaient « (…) ciblés dans un secteur que le Royaume.-Uni ne considère pas, du point de vue juridique, comme un théâtre de guerre opérationnel des forces armées britanniques », a signalé M. Clarke, pour ensuite ajouter ceci : « Le gouvernement a soutenu que contrairement aux drones de la CIA, ils n’ont jamais été utilisés pour des assassinats ciblés dans des territoires où nous n’étions pas militairement engagés ». (3) Un autre mensonge gouvernemental épinglé.
La dénégation de toute « présence sur le terrain » semble être un autre gros mensonge. Comme l’a rapporté Stephen Lendman (4) : « Le 2 août, dans un article intitulé ˊDes membres du SAS [NdT : Special Air Service, unité des forces spéciales des forces armées britanniques] s’habillent comme des combattants de l’EIIS dans une guerre secrète contre les djihadistesˋ, le Sunday Express révélait ceci :
« Plus de 120 membres du régiment d’élite se trouvent actuellement dans le pays ravagé par la guerre, vêtus de noir et arborant des drapeaux de l’EIIS, dans le cadre de ce qui est appelé l’opération Shader, qui s’en prend à des cibles syriennes sous le prétexte de combattre l’EIIS. »
C’est l’image réfléchie de ce qui s’est passé à Bassora, il y a exactement dix ans, en septembre 2005, lorsque la police irakienne a arrêté des membres des forces spéciales britanniques habillés comme des Arabes à l’intérieur d’une voiture bourrée d’explosifs. Si la voiture avait explosé, ce sont évidemment les « insurgés irakiens » qui en auraient porté le blâme. Des militaires britanniques ont démoli le poste de police afin de libérer les poseurs de bombe en puissance. (5) Combien d’autres ne se sont pas fait prendre dans cette « insurrection fabriquée en Grande-Bretagne » et aux USA au cours de laquelle tant d’Irakiens ont été accusés, torturés et tués, et qui se répète aujourd’hui en Syrie?
En août, on a rapporté que des membres du SAS « portant des uniformes étasuniens ont joint les rangs des forces spéciales étasuniennes » quand le bailleur de fonds présumé de l’EIIS Abou Sayyaf a été assassiné et sa femme capturée (The Independent, 10 août). On dirait bien que le gouvernement britannique agit seulement conjointement avec les États-Unis ou encore à sa demande, en court-circuitant son propre parlement.
De plus, « environ 800 Royal Marines et 4 000 de leurs collègues étasuniens étaient prêts à intervenir très rapidement si on leur en donnait l’ordre », de poursuivre M. Lendman.
Pas étonnant que les Russes soient réprimandés pour ne pas viser les bons terroristes. Car en plus de ne faire aucune distinction et de considérer un terroriste pour ce qu’il est, ils pourraient aussi penser que les soldats du SAS agitant le drapeau noir sous leur déguisement sont aussi des terroristes. Une « inextricable toile » en effet!
La semaine dernière, le ministre des Affaires étrangères russe Serguei Lavrov a été tout sauf sélectif à l’endroit des monstres coupeurs de têtes et destructeurs de culture qui assiègent la Syrie (qu’ils soient formés par la CIA ou non) quand il a dit : « Si quelqu’un ressemble à un terroriste, s’il agit comme un terroriste, s’il marche comme un terroriste, s’il se bat comme un terroriste, c’est un terroriste, n’est-ce pas? » (6)
Dans une réponse qui faisait ressortir de façon magistrale la position sélective de Washington à l’égard du terrorisme, le secrétaire d’État des États-Unis John Kerry a déclaré ce qui suit : « Ce qui importe, c’est que la Russie ne s’engage que dans des activités ne visant que l’EIIL et personne d’autre. C’est très clair. Nous avons été très clairs là‑dessus. » Une affirmation stupéfiante quand on sait que c’est le gouvernement syrien qui établit les paramètres.
Les États-Unis et le Royaume-Uni bombardent et soutiennent tous les deux des insurgés en toute illégalité en Syrie, car ils n’ont pas été mandatés par l’ONU et n’ont pas été invités par le gouvernement du pays. Kerry a même rougi quand Lavrov a indiqué, en réponse à la question tacite qui était sur toutes les lèvres, à savoir si la Russie allait étendre sa couverture aérienne à l’Irak, que ce n’était pas dans ses plans : « Nous sommes polis et ne rendons visite à personne sans invitation », a-t-il pris soin de préciser.
Vladimir Poutine a renchéri : « Nous avons (…) une invitation et notre intention est de lutter contre les organisations terroristes et seulement contre elles », peut-être en référence aux allégations voulant que les États-Unis prennent pour cible des sites du gouvernement et du personnel militaire syriens.
Les envoyés diplomatiques de la Russie ont été assez polis envers les États-Unis aussi. Avant de lancer leurs frappes aériennes, comme l’a signalé le porte-parole du département d’État des États-Unis John Kirby : « Un responsable russe à Bagdad a informé le personnel de l’ambassade étasunienne ce matin que des avions militaires russes entreprendraient aujourd’hui des missions contre l’EIIL au-dessus du territoire syrien. »
« Il a demandé aussi que les avions étasuniens évitent de survoler l’espace aérien syrien pendant ces missions. » La Russie a en effet donné un préavis d’une heure aux Étasuniens pour qu’ils quittent le ciel syrien. Les États-Unis ont rapidement répliqué avec un rapport selon lequel les attaques russes causaient de nombreuses victimes civiles. Malheureusement pour eux, il s’est avéré qu’à l’heure des attaques rapportées, les avions russes étaient toujours au sol. Le 2 octobre, il semble que la panique se soit installée au sein de la ˝coalition dirigée par les États-Unis˝ qui a ˝(…) rapidement publié une déclaration commune appelant Moscou à cesser immédiatement ses attaques contre l’opposition syrienne et à se concentrer sur la lutte contre l’EIIS˝. » (The Guardian, 2 octobre 2015)
Les signataires de la déclaration étaient la France, la Turquie, les États-Unis, l’Allemagne, le Qatar, l’Arabie saoudite et la Grande-Bretagne.
Sauf que le chat étasunien était déjà sorti du sac du Pentagone et était réapparu rien de moins qu’à la une du Wall Street Journal (WSJ) de la veille, qui titrait : « Les frappes russes en Syrie ont pris pour cible des rebelles soutenus par la CIA, selon des responsables étasuniens. »
« Un des secteurs touchés est une position tenue principalement par des rebelles financés, armés et entraînés par la CIA et les alliés. » Oups!
Michel Chossudovsky a expliqué de façon succincte (7) le bourbier infâme que forment les divers groupes impliqués, en établissant un parallèle avec l’article du WSJ :
« Le front Al-Nosra, qui est effectivement affilié à Al-Qaïda, est une organisation terroriste « djihadiste » responsable d’innombrables atrocités. Depuis 2012, Al-Qaïda en Irak et le front Al‑Nosra, avec le soutien des services secrets des États-Unis, travaillent de concert à diverses menées terroristes à l’intérieur de la Syrie.
Ce qui ressort des nouveaux développements, c’est que le gouvernement syrien a fixé ses propres priorités en vue de la campagne aérienne antiterroriste russe, qui consistent essentiellement à frapper le front Al-Nosra, qui est décrit comme le bras armé terroriste de l’Armée syrienne libre (ASL).
Washington a qualifié le front Al-Nosra d’organisation terroriste au début de 2012. Ce qui ne l’a pas empêché de soutenir Al-Nosra et les soi-disant « rebelles modérés » en leur fournissant des armes, un entraînement, un soutien logistique, des recrues, etc. Ce soutien était fourni par l’intermédiaire de ses alliés du golfe Persique, dont le Qatar et l’Arabie saoudite, et entrait par la Turquie et Israël.
Fait ironique, dans une décision du Conseil de sécurité de l’ONU rendue en mai 2012, « le front Al-Nosra en Syrie a été mis sur la liste noire en tant qu’alias d’Al-Qaïda en Irak », autrement dit, de l’EIIS (…). »
Au moment de l’intervention russe, l’ambassadrice des États.-Unis auprès de l’ONU Samantha Power a lancé ceci sur Twitter : « Nous appelons la Russie à cesser immédiatement ses attaques contre l’opposition et les civils syriens. » Pareille chose, a-t-elle averti, « favorisera encore plus l’extrémisme et la radicalisation. » Des propos qui ne manquent pas de culot quand on sait qu’avant 2003 et la guerre éclair menée par les États.-Unis et le Royaume‑Uni, il n’y avait pas d’aliénés mangeurs d’organes et démembreurs parrainés par l’oncle Sam. La Syrie et l’Irak comptaient parmi les pays les plus profondément laïcs de la région.
La Syrie, en proie d’abord à un tissu de mensonges, puis à un déchirement et à une destruction culturelle, est devenue le microcosme d’une « guerre contre le terrorisme » ridicule et démente. Les mensonges et les subterfuges employés pour justifier l’horreur sont devenus des tentatives désespérées, mais seuls les plus obtus d’entre nous n’ont pas encore remarqué que la franchise « Terrorists R US » se porte très bien merci.
Avec Mondialisation