Les supporteurs de l’équipe de France ont-ils perdu leur ardeur? Ou c’est le déplacement en Russie qui ne les a pas séduits? Alors que les fans des Bleus sont rares dans l’océan des amateurs de foot venus pour le Mondial, nous sommes partis à la recherche des motifs de cette relativement faible présence.
La question s’est pour la première fois posée après le match avec l’Australie, puis a resurgi après France — Pérou. Où sont les supporteurs des Bleus?, s’interrogeaient les habitants des villes hôtes, s’évertuant à trouver des fans français dans la masse multicolore des amateurs de foot venus des quatre coins du monde. La polémique s’est aussi enflammée sur la Toile, les internautes pointant du doigt ce grand absentéisme de leurs compatriotes dans les tribunes de Kazan et d’Iekaterinbourg.
Même constat amère quelques jours plus tard, après le match contre le Pérou, suivi cette fois par une vague d’incompréhension encore plus forte.
Cet internaute était d’ailleurs loin d’être le seul à dénoncer l’absence des Français.
Une goutte dans l’océan
Les supporteurs français sont en effet minoritaires en Russie lors de ce Mondial. Selon la FFF et la FIFA, ils seront au total entre 17.000 et 20.000 à soutenir les Bleus sur le sol russe durant toute la période de la compétition.
Force est de constater que la rencontre avec le Pérou figurait d’emblée parmi les moins populaires côté français, avec seulement 2.000 billets achetés. Pour France — Danemark, le 26 juin, les perspectives sont un peu plus glorieuses: environ 5.000 fans venus de l’Hexagone sont attendus à Moscou. Ils seront donc ainsi deux fois plus nombreux qu’à Iekaterinbourg. Une avancée tout de même très discrète, car dans un stade d’une capacité de 80.000 personnes, ce ne sera qu’une goutte dans l’océan.
La France n’est pas un pays de foot?
Face à ces chiffres, il faut se rendre à l’évidence: la plupart des Français ont préféré rester chez eux, laissant la fête du football passer à côté. Déjà au Brésil, quatre ans plus tôt, ils n’étaient pas très enthousiastes, comme en témoignent les 35.000 billets achetés. Depuis, la situation s’est encore dégradée. En cause, estiment de nombreux supporteurs que nous avons interrogés, la passivité générale en Europe, tout comme la culture du foot qui ne serait pas assez forte.
«Les Français sont un peu plus habitués à ce que leur équipe soit qualifiée pour le Mondial, ils vont supporter leur équipe mais depuis la France en famille ou entre amis», nous explique Johann Bollier, qui n’a pourtant pas hésité à venir suivre les matchs des Bleus dans les tribunes russes.
«Le Pérou est un pays qui vit football alors que la France n’est pas un pays de foot ce qui explique le nombre peu important qu’on est en Russie…», ajoute de son côté Thomas Otalora après le match des Bleus contre les Péruviens.
Les supporteurs latino-américains, dont les Péruviens qualifiés au Mondial pour la première fois depuis 36 ans, sont effectivement les plus représentés en Russie. Le Brésil, la Colombie, le Mexique, l’Argentine et le Pérou ont acheté au total près de 300.000 billets.
Il serait pourtant erroné de penser que tous les Européens se sont montrés aussi peu intéressés. Quatrième dans le top des pays les plus demandeurs de billets, l’Allemagne s’est procurée 62.000 sésames pour suivre sa Mannschaft sur le terrain. Plus de 30.000 fans sont d’ailleurs attendus en provenance d’Angleterre.
Qu’en est-il de la France? Sa spectaculaire ascension jusqu’à la finale de l’Euro, deux ans plus tôt, ainsi que son équipe, reconnue comme étant la plus chère au monde, n’ont apparemment pas jusqu’ici suffisamment inspiré les fans.
La faute à la FFF?
Comme autre cause de cette grande absence, on peut relever le manque d’aide de la part de la FFF aux supporteurs de l’équipe nationale, estime Olivier. Blogueur et auteur du projet Baroud4sports, il parcourt les continents en quête d’événements sportifs et n’a pas manqué l’occasion de venir au Mondial en Russie. Le jeune homme dénonce le coût des voyages à la Coupe du Monde et le faible soutien informationnel à ceux qui cherchent une alternative moins chère aux packages officiels.
«Nous ne sommes pas aidés par notre fédération qui ne nous a même pas placés ensemble. Déjà que nous ne sommes pas beaucoup et en plus nous sommes dispersées. Les prix pratiqués par les agences françaises qui vendent des packages sont exorbitants», nous explique-t-il.
Et de poursuivre: «Il est possible d’assister à la Coupe du Monde avec un petit budget, mais les personnes ne sont pas assez informées. Il y a un manque de communication et de clarté pour la billetterie ».
Merci, les médias!
On en vient finalement au contexte dans lequel se déroule la Coupe du Monde. Cet événement sportif a été précédé d’un minutieux travail de sape mené par la presse mainstream sur fond de tensions diplomatiques avec Moscou. «Malheureusement, la Russie fait peur aux Français avec l’image dégagée par les médias», nous dit Thomas. «C’est mon premier Mondial donc je suis dans un rêve, de plus ça aide à avoir une autre idée de ce qu’est la Russie», ajoute-t-il.
Le jeune homme n’est d’ailleurs pas le seul à l’estimer. «Le jeu des médias et la peur suscitée a également joué, c’est sûr alors que la réalité sur place est toute autre», renchérit Olivier, qui dresse un parallèle avec les Jeux olympiques d’hiver en Corée du Sud.
En effet, à la veille du Mondial, toute une armée de journalistes européens et américains a fait ses choux gras en effrayant ses lecteurs avec du racisme, des hooligans, des agents secrets chargés de surveiller les étrangers, la morosité des Russes, tout en prédisant que les stades ne seront jamais construits et que personne ne viendra au Mondial.
Ont-ils produit l’effet recherché? À vous de juger. N’oubliez juste pas de jeter un œil sur le top 10 des pays qui ont acheté le plus de places pour le Mondial. Là, en tête du classement, vous serez peut-être étonné de retrouver… les États-Unis. L’absence de leur équipe à la compétition ainsi que l’amour tendre nourri par leur presse envers Moscou n’ont pas dissuadé 89.000 personnes de se procurer un billet en vue de rejoindre le pays des ours. Même chose pour l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Alors les Français ont-ils eu peur de venir? «Non je ne pense pas. Ou alors une minorité», affirme Johann Bollier. «Je pense que ce n’était simplement pas dans leurs projets de se déplacer pour la Coupe du Monde», dit-il en ajoutant que «pour nous en tout cas, on a pas eu peur de venir et tout se passe bien».
«Ne pas s’arrêter aux idées reçues»
Ces Français qui sont tout de même venus n’ont pourtant pas l’air déçu. «En aucun cas je regrette, c’est quelque chose d’exceptionnel de vivre ça», dit Olivier.
«Il y a une très bonne ambiance entre supporters, et les Russes nous ont bien accueillis même si c’est parfois dur de se faire comprendre car on ne parle pas russe», ajoute Johann.
Le supporteur appelle ceux qui sont restés chez eux à «ne pas s’arrêter à ce que peuvent dire les médias ou aux idées reçues et de venir voir par eux-mêmes».
Thomas Otalora dit lui aussi ne pas regretter son déplacement. «Les Russes sont des gens très ouverts. Ils m’ont rappelé les vendéens en France. Après, la sécurité est tellement grande dans le Mondial qu’il y a pas de soucis à se faire», confie-t-il.
Alors que la Coupe entre dans sa phase la plus chaude, il reste encore plus de deux semaines pour en profiter. Et si les billets pour les matchs sont déjà vendus, pourquoi ne pas venir respirer cet air de fête qui flotte en cette période dans toutes les rues des villes russes.
«On a la chance de pouvoir voyager plus facilement qu’avant, il faut en profiter pour aller à la rencontre des gens et sortir des sentiers battus et des destinations plus classiques. Pour nous, ce voyage en Russie est une réussite et peut être qu’on reviendra», conclut Johann.