Le président rwandais Paul Kagame, chargé de plancher sur une restructuration de l’UA, a présenté les grandes lignes de son projet à Addis-Abeba.
Il aurait pu faire sensation avec son projet de réforme de l’Union africaine (UA), mais le président rwandais Paul Kagame n’a pas soulevé grand enthousiasme lors du huis clos des chefs d’Etat et de gouvernement du continent, dimanche 29 janvier, au siège de l’institution à Addis-Abeba, en Ethiopie.
Si le texte a fait consensus sur la quasi-totalité des sujets, les homologues du président rwandais demandent plus de temps pour évaluer les propositions de réforme de l’organisation panafricaine. Cela ne les a pas empêchés d’adopter formellement le projet de réforme, lundi matin, en ouverture du 28e sommet de l’UA. Le texte devrait être mis en application dans les prochains mois par la nouvelle Commission, qui doit être élue à Addis-Abeba.
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Pourquoi cette réforme institutionnelle ?
Depuis sa création en 2002, l’Union africaine (UA) est sévèrement critiquée. Héritière de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) créée après la grande vague de décolonisation du début des années 1960, on lui reproche ses lourdeurs bureaucratiques, sa dépendance financière aux bailleurs internationaux, les problèmes de mise en œuvre des décisions, ainsi que sa faible capacité à se remettre en question.
En juillet 2016, lors du 27e sommet de l’UA à Kigali, au Rwanda, les chefs d’Etat et de gouvernement africains avaient chargé Paul Kagame de réfléchir à une réforme institutionnelle de l’UA.
Ce projet était dans les cartons de la Commission depuis plusieurs années, porté notamment par l’ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des nations unies (CEA), le Nigérian Adebayo Adedeji, en 2007. Mais la réforme « piétinait, bloquée par les ambassadeurs des Etats membres qui souhaitaient intervenir à tous les niveaux », confie un fonctionnaire de la Commission de l’UA.
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Qui conduit le projet ?
Un temps pressenti pour mener la réforme, le Tchadien Idriss Déby Itno, président sortant de l’UA, en avait confié la tâche à Paul Kagame, vite adoubé par ses pairs africains. Le président rwandais avait une exigence : personne de la Commission ne devait être impliqué dans la réforme, pour éviter que « des intérêts internes protègent telle ou telle partie de l’institution », justifie un proche du président.
La présidente de la Commission, la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, a donc été reléguée au rang de « conseillère ». Son vice-président, le Kényan Erastus Mwencha, qui planchait sur le dossier depuis plusieurs années, notamment sur la question du financement de l’institution, est même été accusé par Paul Kagame d’être « une partie du problème », selon une source bien informée.
Celui-ci s’est entouré d’une équipe de neuf personnalités africaines indépendantes, dont le Camerounais Acha Leke, associé du cabinet McKenzie, le Bissau-Guinéen Carlos Lopes, qui était à la tête de la CEA jusqu’en octobre 2016, la Nigériane Amina J. Mohammed, récemment nommée vice-secrétaire générale de l’ONU, et le Rwandais Donald Kaberuka, ancien président de la Banque africaine de développement (BAD), et haut représentant pour le Fonds de la paix de l’UA.
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Que dit le rapport Kagame ?
Intitulé « L’impératif de renforcer notre union », le rapport Kagame, que Le Monde Afrique a pu consulter, dresse un bilan sévère : « Nous avons une organisation dysfonctionnelle, dont la valeur pour nos Etats membres est limitée, qui a peu de crédibilité auprès de nos partenaires internationaux, et en laquelle nos citoyens n’ont pas confiance. »
Il dénonce « l’échec constant des décisions de l’UA » qui a entraîné « une crise de mise en œuvre ». C’est notamment le cas du financement de l’institution, assurée aux trois quarts par des aides extérieures. L’ensemble produit une « capacité de gestion limitée, une absence de responsabilité pour le rendement, à tous les niveaux » et des « méthodes de travail inefficaces ».
Le rapport avait pour but de « secouer le cocotier », selon une source très proche du dossier. « Ce ne sont que des déclarations d’intention », regrette cependant un diplomate d’Afrique du Nord.
Parmi les propositions de l’équipe de Paul Kagame pour restructurer l’UA et redéfinir ses priorités : une meilleure division du travail entre la Commission, les communautés économiques régionales et les Etats membres ; la transformation du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) en agence de développement de l’UA ; le renforcement des compétences du président de la Commission ; la mise en œuvre immédiate de la « taxe Kaberuka » de 0,2 % sur les importations – dont le principe a été adopté lors du sommet de juillet – et le renforcement des sanctions pour les pays qui ne paient pas leur contribution, entre autres.
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Ce qui va changer concrètement
Les chefs d’Etat et de gouvernement sont d’accord. L’UA doit être réformée, et vite. Mais ils ont exprimé leur volonté de bénéficier de plus de temps pour évaluer les propositions du rapport Kagame. Certains ont regretté un document « trop condensé ». « Les présidents se sont mis d’accord sur ce qui ne les fâchait pas… Ils voulaient obtenir un consensus sur la réforme », analyse un fonctionnaire de la Commission, qui rappelle que les enjeux du sommet sont plutôt le retour du Maroc au sein de l’institution et l’élection d’une nouvelle Commission.
La question polémique du mode de désignation des commissaires – pour l’instant élus par les chefs d’Etat et de gouvernement, mais que l’équipe de M. Kagame aimerait voir nommés par le président de la Commission – a été balayée et reportée à d’autres discussions. Un tel changement nécessite en effet une modification de l’Acte constitutif de l’UA. « C’est aussi pour ne pas reporter l’élection à la tête de la Commission », souffle une source. Un tel report a déjà eu lieu en juillet 2016, à Kigali.
Pour certains, l’analyse du texte à la veille d’un sommet décisif était une stratégie du président Kagame. « C’est passé comme une lettre à la poste », selon un observateur, malgré des sujets controversés. Un comité de haut niveau, rassemblant vraisemblablement plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement, pourrait être nommé prochainement pour piloter la mise en œuvre.
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Que s’est-il passé lors du huis clos ?
Le chef de l’Etat guinéen, Alpha Condé, qui devient président de l’UA à compter de lundi, a regretté le manque de sérieux et d’engagement des dirigeants du continent.
De son côté, le président sénégalais Macky Sall aurait évoqué la nécessité d’accepter « de donner une partie de (sa) souveraineté à la Commission de l’UA ».
A propos de la « taxe Kaberuka » qui ne fait pas l’unanimité, notamment chez les Tunisiens, les Egyptiens et les Mauriciens, le président tchadien Idriss Déby Itno a tranché : « Le sujet a déjà été évacué ! » Traduction : il faudra s’y conformer.
Les interventions de Paul Kagame ont été saluées par certains témoins. Il se serait ainsi moqué des conseils de prudence de son entourage. Celui qui est trop prudent est « soit paresseux, soit pas convaincu », a-t-il déclaré, provoquant une salve d’applaudissements.
Avec lemonde.fr