S’injecter du sang prélevé sur des individus jeunes pour rajeunir soi-même ? Dans la Silicon Valley, biotechs et laboratoires multiplient les pistes pour repousser le vieillissement.
D’étranges rumeurs, à la limite de la science-fiction et de l’épouvante, ont circulé cet été dans la Silicon Valley. Les plus riches d’entre les maîtres de l’économie numérique se feraient transfuser du sang de jeunes hommes ou femmes, n’hésitant pas à payer plusieurs milliers de dollars l’injection. Et ce, dans l’espoir que ce “sang neuf” les aidera à rester eux-mêmes jeunes et en bonne santé le plus longtemps possible !
Ainsi, ceux qui possèdent déjà tous les biens matériels dont on puisse rêver, du jet privé à l’île déserte, consacreraient le reste de leur fortune à s’offrir ce qu’on tenait jusqu’ici pour la seule chose hors d’atteinte du pouvoir de l’argent : du temps de vie supplémentaire, un sursis indéfiniment prolongé vis-à-vis de la mort.
8.000 $ pour recevoir du sang
Simples fantasmes alimentés par la technophilie débridée des uns et la paranoïa des autres ? Pas tout à fait. Un article paru début août dans le mensuel américain “Inc” et consacré à Peter Thiel est venu donner quelque crédit à cette croyance. Le milliardaire et cofondateur de PayPal s’intéresserait en effet de très près – mais sans la pratiquer lui-même, du moins pour l’instant – à la parabiose, nom savant de cette transfusion sanguine d’un genre un peu particulier.
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Son médecin personnel et directeur de la branche médicale de Thiel Capital, Jason Camm, aurait même contacté le Pr Jesse Karmazin, fondateur d’Ambrosia, une société de biotech basée à Monterey (Californie) proposant à de riches particuliers de débourser 8.000 dollars pour recevoir du sang de donneurs de moins de 25 ans, dans le cadre d’essais cliniques 100 % privés.
Le gène du vieillissement
De ce côté de l’Atlantique, de telles pratiques inquiètent mais ne surprennent pas les spécialistes du vieillissement. “Peter Thiel n’est pas le seul en Californie à vouloir utiliser une partie de sa fortune pour repousser la mort, et la parabiose n’est que l’une des pistes explorées pour y parvenir”, commente Hugo Aguilaniu, directeur de recherche au CNRS en poste à l’ENS Lyon, qui ajoute à titre d’exemple : “Google a recruté Cynthia Kenyon, la chercheuse qui a découvert en 1993 le premier gérontogène , pour lui confier la direction scientifique de Calico, sa biotech créée dans le but de prolonger la vie humaine.
Les laboratoires privés de ce type sont en train de changer la donne ; ils disposent de moyens financiers sans commune mesure avec ceux des laboratoires publics, attirent des talents et obtiennent des résultats, mais leurs recherches visent moins à l’augmentation des connaissances qu’à l’obtention d’applications thérapeutiques.”
Des preuves scientifiques
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L’idée de se faire injecter du sang jeune pour rajeunir soi-même peut paraître totalement fantaisiste ; cependant, souligne ce spécialiste français du vieillissement, elle s’appuie bel et bien sur de vrais résultats scientifiques, obtenus dans le cadre d’expériences effectuées, dès les années 1950, sur des souris. Mais il ne s’agissait pas, et de loin, d’une simple transfusion. Une souris âgée était ouverte sur tout un côté, et ses artères et ses veines suturées à celles d’une souris jeune également fendue sur toute la longueur du corps. Ainsi, les deux systèmes sanguins ne faisaient plus qu’un.
Et, de fait, les laborantins ayant effectué cette expérience ont pu constater qu’au bout de quelques jours de ce traitement, certains paramètres vitaux de la souris âgée s’amélioraient. Par exemple, sa cataracte, si elle en avait une, se résorbait. “Mais on voit difficilement comment une telle co-circulation serait praticable sur l’homme, sourit Hugo Aguilaniu. Et de plus, on ne sait pas si les effets constatés sont durables ou réversibles : la souris vieille retrouverait-elle son âge réel sitôt les deux systèmes sanguins déconnectés ? ”
Remède miracle ?
Si la parabiose possède incontestablement un pouvoir rajeunissant, c’est que certaines molécules contenues dans le sang, se diffusant de façon systémique dans la totalité de l’organisme, permettent en effet à toutes les cellules de conserver ou retrouver une certaine vigueur, qu’il s’agisse de celles composant les tissus musculaires, des cellules nerveuses du cerveau, de la moelle épinière ou des nerfs.
Problème : malgré des recherches très pointues réalisées par les meilleurs scientifiques du domaine, à Stanford et Harvard notamment, on n’a pas encore réussi à identifier le ou les responsable(s). “Si cette quête est si difficile, c’est qu’il ne s’agit probablement pas d’une substance unique, mais plutôt d’un ensemble de facteurs moléculaires, chacun présent dans le sang à des doses infimes”, avance Hugo Aguilaniu.
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Mais les recherches sur le vieillissement, loin de se cantonner au sang et à ses constituants, se mènent sur plusieurs fronts à la fois. Chez Calico, Cynthia Kenyon et son équipe étudient les moyens de détruire les cellules sénescentes (du latin « senex », grand âge). Quand les cellules qui composent tous nos tissus arrivent en fin de vie, elles cessent de se diviser et entrent en sénescence. Ce faisant, elles se mettent à produire des substances biochimiques, parmi lesquelles des interleukines, qui ont un effet inflammatoire sur les tissus : de là les “douleurs” généralisées qu’éprouvent bien souvent les personnes âgées, mais aussi la venue avec l’âge de cancers, ce processus inflammatoire participant de la carcinogenèse.
Depuis quelques années, l’accumulation dans les tissus de ces cellules sénescentes apparaît comme le phénomène majeur caractéristique du vieillissement, et leur destruction comme la véritable clef qui permettra aux humains de demain de le repousser. D’où les efforts engagés par Calico et d’autres pour trouver des «”molécules sénolytiques”, des médicaments capables de distinguer les cellules sénescentes des cellules saines et de tuer exclusivement les premières.”A court terme, on va sans doute voir apparaître sur le marché quelques molécules sénolytiques intéressantes, pronostique Hugo Aguilaniu. A plus long terme, nous disposerons de cocktails de molécules sénolytiques dont les effets combinés seront vraiment puissants.”
Plusieurs laboratoires se sont mis en quête
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Calico n’est pas le seul laboratoire lancé dans cette course. A Rochester, Minnesota, la prestigieuse et richissime Mayo Clinic a également mobilisé ses chercheurs. Ceux-ci ont notamment découvert que certains gènes, présents par définition dans toutes les cellules, ne s’activaient que dans les cellules sénescentes. Utilisant les méthodes d’édition du génome, ils ont en quelque sorte couplé ce gène spécifique à un autre, appelé “gène suicide” car produisant une protéine tuant la cellule. Une récente publication dans la revue “Nature” est venue montrer que cette autodestruction programmée des cellules sénescentes permettait aux souris transgéniques de la Mayo Clinic de vivre 25 % plus longtemps – et en bonne santé – que leurs congénères naturelles.
avec lesechos