Comment se réinventer et devenir l’une des villes les plus tendances d’Asie ? Les ambitions d’un maire devenu depuis président de la République de Corée ont permis à Séoul ce second miracle : transformer une capitale autrefois perçue comme triste et grisâtre en un modèle urbain pour l’ensemble du continent…
Le phénomène peut, de prime abord, surprendre le voyageur occidental peu au fait des tendances qui agitent l’Asie. Car, de Bangkok à Singapour, de Hanoi à Manille, la jeune génération n’a d’yeux que pour la K-pop ou les K-sitcoms. Par “K”, on entend tout ce qui est originaire de Corée. Une véritable invasion qui s’inscrit dans tous les domaines de la vie quotidienne, allant des vêtements aux produits cosmétiques, de la nourriture au high-tech. Car aujourd’hui, un bon tiers de la planète Asie rêve “coréen” après avoir été longtemps subjugué par le Japon, en d’autres temps l’incarnation de la réussite et de la créativité.
Comment expliquer un tel phénomène ? Pendant des années, on n’a connu de la Corée que ses côtés peu attirants : les gigantesques chaebols – ces conglomérats d’entreprises comme Samsung, LG ou autres Hyundai qui dominent la vie économique du pays –?, une passion pour le travail, un peu suspecte pour les Français, mais si dévorante chez les Coréens qu’elle les empêche même de prendre des vacances ! –?, et enfin, les frictions avec l’autre Corée, celle du Nord, à la fois intrigante et pathétique, avec son leader agitant à tout propos la menace nucléaire, quand ce n’est pas celle d’une éventuelle famine…
Rien, donc, de bien riant… Quant à Séoul, la capitale coréenne dégageait jusqu’à présent l’image d’une ville grise, tentaculaire, chaotique. Une métropole ravagée par la guerre de Corée, bouleversée par une croissance désordonnée en raison de la multiplication par cinq de sa population, passée de deux millions en 1980 à dix millions aujourd’hui.
Métamorphose radicale
La reconstruction de la ville après 1953 s’est fondée sur l’industrialisation massive et son triste cortège d’urbanisme désastreux, de pollution urbaine et de destruction de l’environnement. “C’est vrai que Séoul n’avait rien d’une ville glamour il y a encore une quinzaine d’années. Sa renaissance est spectaculaire”, reconnaît volontiers Maureen O’Crowley. Vice-présidente du Convention Bureau de la capitale coréenne, cette Américaine y a passé son enfance et a vécu toutes les transformations de la métropole.
Et quelles transformations ! Du Séoul des années 80, plus grand-chose ne semble subsister aujourd’hui. Et c’est tant mieux pour les visiteurs, qui seront surpris à la vue de grandes avenues arborées, avec des buildings étincelants et d’abondants espaces verts. Surtout, en déambulant au cœur de la ville, ils découvriront que le chic est dans l’air du temps et que le kitsch peut même flirter avec le surréel. Comme cet air de La Norma, dont les notes sortent de deux fontaines lumineuses devant le nouveau centre de conférences COEX et qui font la joie des passants.
Dans le quartier piétonnier d’Insadong, les galeries d’art exposent les dernières créations de jeunes designers locaux. Les objets les plus cocasses y côtoient des vêtements aux lignes épurées. Au pied de la station de métro Gwanghwamun, au cœur de la ville, Alleh Square, show room de l’opérateur téléphonique K T, donne aussi ce ton nouveau. Hommes d’affaires, étudiants, employés de bureau s’y retrouvent chaque fin d’après-midi. Cet espace fait office de café internet et abrite également un auditorium, où chaque soir se produisent des musiciens de jazz. Sur la pelouse plantée devant l’hôtel de ville, on pique-nique, on discute… et l’on y dresse aussi des piquets de grève avec des sit-in de plusieurs jours. Tous les signes d’une ville qui, finalement, semble avoir enfin trouvé ses marques, son identité.
Métropole à visage humain
Le principal artisan de cette profonde mutation est certainement Lee Myung-bak. En son temps plus jeune PDG de la multinationale Hyundai, il a été maire de Séoul entre 2002 et 2006. Avec l’idée bien arrêtée de transformer radicalement cette mégalopole et de lui rendre un visage humain. Lui et son successeur Oh Se-hoon s’y appliqueront avec succès. Ville verte, ville écologique, ville au service de ses citoyens et enfin ville design, la renaissance de Séoul est bien réelle depuis une bonne décennie. Car les milieux politiques ont senti l’aspiration au mieux vivre de la société civile. À l’apologie de la croissance du PIB a succédé un besoin de profiter, enfin, de tous les bienfaits générés par une prospérité économique quasi ininterrompue depuis les années 70.
Tout a commencé par une décision symbolique – d’aucuns l’auraient considérée comme insensée – : détruire les voies d’une autoroute surélevée. Depuis les années 60, le bruit du flot ininterrompu de voitures avait remplacé le murmure de la rivière Cheonggyecheon. Pour près d’un milliard de dollars, son lit a ressurgi, l’eau a été purifiée et ses abords ont été convertis en espaces verts.
Aujourd’hui, les habitants de Séoul déambulent sur 8,5 km de promenade avec des refuges pour oiseaux, des cascades, ainsi que des expositions sur les quais et, chaque soir, des spectacles sons et lumière. Accueillie d’abord avec scepticisme, la réhabilitation du Cheonggyecheon est plébiscitée par le public. Elle a renforcé une tendance écologique désormais bien ancrée à Séoul.
? D’autant que le résultat de cette politique est probant. La température a baissé en moyenne de deux degrés au centre-ville, notamment grâce au recul du nombre de voitures dans les rues.
Promotion du design
Ce succès a conforté le credo “art de vivre” du maire, lui permettant de donner un coup d’accélérateur à la rénovation de la ville, élue par l’Unesco capitale mondiale du design 2010. “Il s’agit en fait d’un aboutissement. Dès la fin des années 60, le gouvernement avait créé un centre de promotion du design afin d’améliorer la qualité de vie et de renforcer la fonctionnalité de nos produits industriels. Séoul a récupéré l’idée de soutenir ce domaine au bon moment alors que l’intérêt du gouvernement national s’émoussait. La désignation de Séoul comme capitale mondiale lui a permis d’enclencher la vitesse supérieure”, raconte Ken Nah, professeur de gestion du design à l’université de Hongik et ancien responsable de “Séoul, capitale mondiale du design 2010.”
D’un design industriel, la Corée a mobilisé ses forces vives pour engendrer un design inséré dans son quotidien. “Nous sommes en fait passé du concept de “design habillage”, qui ne servait qu’à mettre en exergue des produits industriels, à celui d’un design conçu avant tout pour favoriser le bien-être du citoyen. C’est le but que poursuit notre fondation, tout comme le centre coréen de design. Cette prise de conscience a bien entendu atteint son paroxysme en 2010”, décrit Paul Kang, directeur de la Seoul Design Foundation.
Jean Nouvel et JCDecaux
Pour la capitale coréenne, ce fut un formidable coup de projecteur à l’échelle mondiale avec des projets dans tous les districts, des conférences, et aussi… des contrats sur les marchés mondiaux. “Il s’agissait, pour le gouvernement, de tirer le made in Korea vers le haut de gamme par le biais du design. Urbanisme, luxe, mode… Les Coréens ont agi dans tous ces domaines. Ce dont ont également profité les entreprises françaises”, raconte Cyril Pillard, responsable du pôle infrastructures et transports pour UbiFrance à Séoul. JC Decaux a, par exemple, remporté un contrat pour des abribus et Jean Nouvel a été finaliste du concours en 2004 pour l’un des bâtiments du Leeum Samsung Museum of Art.
“Nous avons quelques belles réussites franco-coréennes. À l’image de ces Français présents dans l’architecture ou la mode”, ajoute Cyril Pillard. On trouve ainsi Christian Barde, présent depuis 1995 à Séoul et co-fondateur de Parafe, cabinet de design et d’architecture ; David Pierre Jalicon, à la tête du cabinet D.P.J. & Partners, mais également président de la chambre de commerce et d’industrie franco-coréenne. Paul Mathieu, ancien d’Ubi France, y est allé aussi de sa création d’entreprise avec PBM, un studio de design d’intérieur qui a aussi travaillé sur des projets d’un autre genre, dont une ligne de produits de maroquinerie pour Louis Quatorze, designer coréen comme son nom ne l’indique pas !
“Il y a près de 35000 personnes qui sont en rapport plus ou moins étroit avec ces activités, dont 15000 architectes et 25000 étudiants en design quittant chaque année l’école. On a assisté une véritable prise de conscience dans la population, mais aussi dans les PME qui bénéficient du soutien de la municipalité”, raconte encore Ken Nah. Et d’ajouter : “le design, c’est en fait notre capacité à améliorer notre vie et à rendre agréable ce qui ne l’est pas forcément dans notre quotidien. Ce qui a vraiment changé, c’est que le design nous permet également de visualiser l’invisible.”
L’invisible, ce sont par exemple, dans le métro, ces larges écrans ultra-plats qui donnent une multitude de renseignements, carte satellite Google et liste d’adresses à l’appui. Ou encore tous les taxis de Séoul équipés de GPS. Ou bien encore des factures d’électricité qui changent de couleur en cas de surconsommation. À travers le design, on sent bien que les Coréens sont férus d’innovation et qu’ils ne rechignent pas à prendre des risques. Un avantage qui devrait plaire aux PME françaises : “Séoul est une ville idéale pour faire ses armes dans le Nord-est asiatique. On y trouve une audace encore plus importante qu’au Japon et une plus grande flexibilité qu’en Chine”, dit Édouard Champrenault, directeur de la chambre de commerce et de l’industrie franco-coréenne. Une équation quasi parfaite…
Avec : voyages-d-affaires