Les premières élections sénatoriales de la Côte d’Ivoire indépendante ont débouché, samedi, sur une victoire de la coalition au pouvoir du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), face à des candidats indépendants qui ont cependant créé la surprise dans certaines circonscriptions. Décryptage.
C’est l’enseignement du scrutin de samedi. Si, sans surprise, la majorité présidentielle a remporté une écrasante victoire, la percée de listes « indépendantes » dans huit circonscriptions, dont celles de Bouaké et Yamoussoukro, interpellent.
Les chiffres officiels publiés par la Commission électorale indépendante (CEI), le jour du scrutin, donnent le RHDP vainqueur, avec cinquante sénateurs (soit vingt-cinq circonscriptions remportées) contre seize (huit circonscriptions) pour les listes conduites par les indépendants, pour un taux de participation qui s’élevait à 63,92%.
Seulement huit femmes siègeront au sein du futur sénat, qui devrait être présidé par Jeannot Ahoussou-Kouadio, 67 ans, vice-président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, d’Henri Konan Bédié). Pour cela, ce dernier devra renoncer à son portefeuille ministériel et à la présidence du Conseil régional du Bélier (centre).
Une surprenante percée des « indépendants »
Avec seize postes de sénateurs, soit huit circonscriptions remportées (Agnéby-Tiassa, Gboklê et Grands Ponts dans le sud, Béré et Boukani dans le nord, Gbêkê et Yamoussoukro dans le centre et Guémon dans le centre-ouest), les indépendants sont crédités de près de 25% des voix, ce qui est assez élevé, surtout que la quasi-totalité des 7 010 grands électeurs sont issus des rangs des partis membres du RHDP ou assimilés à ceux-ci.
Derrière ce score honorable de candidats indépendants – issus pour la plupart du PDCI ou du Rassemblement des républicains (RDR, parti d’Alassane Ouattara), dans ce scrutin qui a été boycotté par l’opposition -, se cache des enjeux politiques locaux et nationaux, à court et moyen terme.
A court terme, le PDCI et le RDR se livrent à une bataille de positionnement, en vue des futures élections municipales et régionales qui devraient se tenir cette année, mais dont les dates n’ont pas encore été fixées.
Dans la circonscription du Gbêkê, dont la capitale est Bouaké (ancien quartier général de l’ex-rébellion des Forces nouvelles de Guillaume Soro), la victoire surprise de l’ex-ministre (PDCI) Alain Cocauthrey et de son colistier, devant les candidats officiels du RHDP (issus à la fois du PDCI et du RDR) découle, notamment, de la bataille pour le contrôle de la mairie de Bouaké dominée par le RDR et pour celle du Conseil régional, dirigé par le PDCI.
À Bouaké, tout comme à Yamoussoukro, tous les grands électeurs avaient sans doute en tête, au moment où ils glissaient leur bulletin dans l’urne, le bras de fer entre le PDCI et le RDR à propos du parti unifié. Ce projet politique majeur du président Alassane Ouattara est farouchement combattu par des caciques du PDCI proches d’Henri Konan Bédié.
Conséquences des tensions autour du parti unifié
« Les sénateurs élus à Bouaké ont battu campagne autour du refus du parti unifié, qui équivaudrait à la mort du PDCI, dans la perspective de la présidentielle de 2020, révèle un grand électeur de Bouaké. Dans une région où les différents conseils municipaux, à part celui de Bouaké, sont dominés par le PDCI, ce discours a fait mouche».
Ironie de l’histoire, c’est ce discours anti-parti unifié qui a causé la perte de Jean Kouacou Gnrangbé, maire sortant (PDCI) de Yamoussoukro et de son colistier (PDCI) qui représentait le RHDP.
Ces deux caciques du PDCI ont perdu face à deux candidats indépendants issus à la fois du PDCI et du RDR. « La liste dite indépendante du district (de Yamoussoukro) qui vient de gagner est la véritable liste RHDP, exulte Joël N’Guessan, vice-président du RDR. Les autres ont emprunté le nom de Felix Houphouët-Boigny pour tenter de tromper les grands électeurs du district. Cela n’a pas marché ».
S’ils n’ont pas trop multiplié les sorties contre le parti unifié, les sénateurs élus sur la liste indépendante de la circonscription du Boukani, ont, quant-à eux, surfé sur le talon d’Achille du pouvoir : la mauvaise répartition des fruits de la croissance, dans un contexte où celle-ci est pourtant en hausse. Les deux candidats officiels du RHDP – issus du RDR – ont été battus par deux candidats indépendants, issus du PDCI.
Certains pensent qu’il suffit d’être choisis à Abidjan pour qu’ils soient élus. Ils se trompent d’époque
Outre le fait que les candidats portant les couleurs de la coalition au pouvoir ont mordu la poussière dans un nombre non négligeable de circonscriptions, ce scrutin aura également été marqué par l’arrivée au sénat de personnalités ayant été battues dans la course au Parlement, à l’image de Sarra Sako Fadiga, ex-première vice-présidente de l’Assemblée nationale.
Au RDR, comme au PDCI et même à l’Union pour la démocratie et la paix (UDPCI d’Albert Toikeusse Mabri, qui présentait deux candidats dont l’une a été défaite par un indépendant), « certains pensent qu’il suffit d’être choisis à Abidjan pour qu’ils soient élus dans leurs localités. Ils se trompent d’époque », commente le politologue Sylvain N’Guessan.
Avec jeuneafrique