Après Satao, le vénérable éléphant kényan, c’est donc Cecil, le lion zimbabwéen, qui a été la victime de braconniers. Deux icônes de la vie sauvage, deux des plus beaux spécimens de la faune africaine, abattus en quelques semaines. Des disparitions qui témoignent des difficultés des gouvernements concernés à contenir la demande sans cesse croissante en «produits dérivés» d’animaux exotiques (ivoire, poudre de corne, etc.), ou encore de l’attrait morbide pour les trophées de chasse spectaculaires. Et ce, alors que la Convention internationale censée protéger les espèces menacées fête cette année les 40 ans de son entrée en vigueur.
« Une grande vie perdue pour que quelqu’un, au loin, puisse avoir un bibelot au-dessus de sa cheminée », commentait tristement le communiqué de la Tsavo trust, une organisation de protection de la nature, peu après la découverte du cadavre de Satao, le vieil éléphant kényan âgé de 45 ans, en juin dernier.
Une grande vie perdue, mais qui a rapporté des milliers de dollars aux braconniers qui l’ont abattu et dépouillé de ses défenses. Tout comme leurs deux compères zimbabwéens qui ont aidé le chasseur américain Walter J. Palmer à abattre le lion Cecil, pour une somme évaluée à 50 000 euros, ils ne sont que les premiers rouages d’un énorme trafic international, qui ne cesse de s’amplifier.
Le commerce des animaux sauvages ou des produits dérivés atteint en effet aujourd’hui selon les sources entre 8 et 10 milliards d’euros, le trafic le plus lucratif, après ceux de la drogue, des êtres humains et des armes. Une manne qui attire bien des convoitises, et menace désormais de nombreuses espèces en voie de disparition.
L’impossible défense des rhinocéros
À titre d’exemple, l’année 2014 aura été une année record en Afrique du Sud – sur le territoire duquel sont concentrés près de 80% de la population mondiale de rhinocéros noirs – , où près de 1 200 animaux de cette espèce ont été abattus pour leurs cornes. Ce chiffre pose problème, car il dépasse celui du nombre de naissances, et les spécialistes estiment que le seuil critique est atteint, menant à terme à une nouvelle baisse de la population (estimée à 25 000 individus au niveau mondial).
Le cas du rhinocéros est emblématique, car il témoigne par son irrationalité, du danger encouru par ces grandes espèces. En 2011 – année record – , la poudre de corne de rhinocéros atteignait les 70 000 euros le kilo. Et si ce chiffre a baissé depuis à près de 40 000 euros le kilo, une corne peut aujourd’hui se négocier sur le marché noir entre 25 000 et 200 000 euros, selon l’office de police criminelle européen Europol.
En dépit de la multiplication des études qui démontrent sans cesse l’innocuité totale de cette substance, que ce soit en matière de performance sexuelle ou de guérison hypothétique du cancer, la clientèle d’Asie et du Moyen Orient continue de manifester un intérêt absurde pour la corne de rhinocéros – pour la plupart des scientifiques, absorber une telle poudre, constituée essentiellement de kératine, revient peu ou prou à se ronger ses ongles -, sans que les Etats concernés – longtemps restés passifs – ne puissent réagir avec suffisamment de force. À titre anecdotique, le trafic est si juteux que des musées de pays européens possédant des exemplaires de cornes ont pu être pillés, et que la célèbre réserve de Thouary a mis en place un système vidéo pour surveiller ses spécimens.
Si la population des éléphants est quant à elle estimée à plus de 500 000 individus, le prélèvement s’est considérablement accentué ces dernières années. 25 000 éléphants en moyenne sont ainsi abattus chaque année pour leurs défenses, 2011 ayant là encore constitué une année record, avec quelque 40 000 pachydermes tués. En trois ans, 2010 à 2012, c’est environ 1/5e des effectifs mondiaux d’éléphants qui ont disparu. Une hécatombe qui pourrait bien conduire, là encore, à une raréfaction, voire à une extinction de l’espèce d’ici à 2025, selon de nombreux spécialistes.
Impact de la chasse légale
Une situation d’autant plus complexe à analyser, pour ce qui concerne ces derniers animaux, que leur chasse n’est considérée comme illégale qu’au sein des réserves naturelles. En dehors de ces zones, il est permis – contrairement aux rhinocéros, totalement intouchables – de tirer les éléphants tout comme les grands fauves.
Certains tours operators spécialisés, travaillant par exemple en Tanzanie ou en Afrique du Sud proposent même des forfaits de chasse variables allant de 10 000 à 40 000 euros, précisant à chaque fois les espèces visées (gnous, lions, léopards, éléphants, phacochères, etc.), et le nombre exact de prélèvements autorisé. Selon l’ONG LionAid, 1 166 lions ont été tués et importés en Europe entre 2008 et 2012, dont 434 en Espagne. Si ces organismes se défendent en affirmant prendre des précautions et pratiquer une « chasse responsable » (interdiction de tirer sur un animal au sein d’une meute, respect des périodes de reproduction et des quantités prélevées…), ces safaris se développent de plus en plus et menacent selon les ONG de nombreuses espèces. Surtout lorsque ces pratiques sont détournées, comme cela a été le cas pour le lion Cecil. Le lion a en effet été attiré avec une carcasse en dehors de sa zone de protection par les braconniers zimbabwéens, pour être ensuite abattu, visiblement par un citoyen américain, amateur de tir à l’arc.
Les autorités zimbabwéennes ont par ailleurs officiellement demandé aux Etats de l’Union européenne d’interdire toute importation de têtes ou de peaux de lion, afin de protéger les populations. Une interdiction qui concerne déjà le Bénin, le Cameroun et le Burkina Faso. L’interdiction totale de la chasse, pour cette espèce, pourrait cependant s’avérer contre-productive, estiment certains spécialistes, car elle obligerait les pays concernés à trouver d’autres sources d’exploitation de leurs territoires, restreignant d’autant les territoires naturels de ces fauves.
Une riposte mondialisée
Lions, rhinocéros, éléphants : ces espèces qui font partie des animaux protégés par laConvention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Citès, ou Convention de Washington), qui a fêté le premier juillet dernier les 40 ans de son entrée en vigueur. Quelque 5000 espèces animales (ainsi que 30 000 espèces végétales) sont ainsi protégées à des degrés divers de la surexploitation, visant à alimenter le commerce international. L’organisme en charge du suivi de la Citès a déjà passé de nombreux accords avec les 181 Etats qui en font partie pour limiter au mieux la menace qui pèse sur ces espèces.
Nombre d’entre eux ont pris des dispositions, comme l’Afrique du Sud, qui a mis en place, dans le parc Kruger, une brigade canine chargée de lutter contre les braconniers. Un tribunal a même été créé dans l’enceinte même du parc pour juger ces derniers. D’autres Etats, comme le Kenya, ou le Botswana ont procédé ces dernières années à des cérémonies de destruction de stocks d’ivoire saisi, afin de marquer les esprits. Ils ont été rejoints cette année par le Mozambique, qui a vu sa population d’éléphants baisser de 48% ces cinq dernières années.
Menée en mai 2015, l’opération Cobra III, a aboutit à près de 250 saisies d’animaux ou de produits issus du trafic illégal d’espèces protégéeswww.cites.org
Mais c’est surtout au niveau régional et international que la coopération a montré ses fruits, selon la Citès. L’opération Cobra III, menée en mai dernier, conjointement avec Interpol, Europol, et 62 pays sur quatre continents, a abouti en mai 2015 à 247 importantes saisies à travers le monde. 12 tonnes d’ivoire, et 119 cornes de rhinocéros ont ainsi été trouvées, ainsi que des milliers de tortues, reptiles, etc., tous faisant partie d’espèces classées dans la Convention de Washington. Près de 140 arrestations ont en outre été opérées, dont celle d’importants trafiquants d’ivoire.
Pas sûr que cela suffise à stopper le trafic, mais pour la Citès, la riposte au trafic international passe par une mondialisation du contrôle et de la répression.
Avec RFI