Les entreprises vont mieux et les salaires aussi. C’est ce qui ressort clairement, même si la prudence reste de rigueur pour l’avenir, de trois études sur les rémunérations publiées successivement depuis le 29 août par le cabinet Deloitte, le professionnel de l’intérim Expectra et, ce mardi 6 septembre, par le cabinet Aon Hewitt. « 2016 marque une embellie, analyse Vincent Cornet, responsable rémunération chez ce dernier. C’est la première année depuis 2013, qu’au lieu de réviser les budgets rémunération à la baisse, les augmentations réalisées sont supérieures au prévisionnel. C’est une inversion sensible de la courbe. »
En 2016, le taux d’augmentation global des salaires de base a été de 2,7 % au lieu des 2,4 % prévu, indique Aon Hewitt, qui a interrogé les directions des ressources humaines de 306 entreprises de tous secteurs et toutes tailles du 6 juin au 22 juillet sur l’évolution de leur budget alloué aux rémunérations. Une hausse à même de nourrir l’augmentation de pouvoir d’achat des Français, estimée par l’Insee à 1,7 % pour 2016 contre 1,6 % en 2015. Et ce dans un contexte de croissance faible, à 1,5 % attendu pour cette année.
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Les entreprises dont le siège est situé en France sont un peu moins bien loties que les autres mais profitent quand même de la tendance. Leur budget est en hausse de 1,9 % en 2016 et devrait l’être d’autant l’année prochaine, quelle que soit la faiblesse de l’inflation. Le budget rémunération des entreprises étrangères ayant des activités en France est prévu, lui, à 2,4 % pour 2017. Soit un budget prévisionnel pour l’ensemble de ces entreprises annoncé à + 2,3 % pour l’an prochain.
La situation des entreprises s’améliore. « L’origine de l’embellie n’est pas macroéconomique mais microéconomique », analyse Vincent Cornet. Pour deux raisons : la première tient dans le fait que « c’est le résultat de l’entreprise qui influe le plus sur la politique de rémunération, or la situation des entreprises s’est améliorée » ; la seconde est que « l’inflation est actuellement à des niveaux trop bas [à 0,2 % en 2016] pour jouer un rôle sur les politiques salariales ».
Le cabinet Deloitte a fait le même constat sur le changement de tendance et partage l’analyse sur l’impact de l’inflation après avoir étudié les rémunérations fixes 2016 de quelque 500 entreprises françaises dans les secteurs de la grande distribution, l’assurance, l’industrie, l’énergie et les services. « Les budgets prévisionnels d’augmentations salariales ont arrêté de baisser », remarque Jean-Philippe Gouin, associé capital humain chez Deloitte. Depuis 2011, ces budgets étaient en repli constant d’une année sur l’autre jusqu’àatteindre 1,8 % en 2015. « C’était un plancher, souligne-t-il. En 2016, la baisse a marqué une pause. »
« Pour 2017, les entreprises restent prudentes avec une prévision à 1,8 %, mais au final, elles distribuent plus que ce qu’elles prévoient », souligne-t-il. En 2016, dans les entreprises interrogées par Deloitte, les salariés concernés par l’enveloppe globale de hausse de la masse salariale ont perçu chacun une augmentation allant de 2,7 % (pour les cadres et non-cadres) à 2,9 % (pour les cadres supérieurs) de leur salaire.
La différence de traitement entre les salariés s’accentue. L’étude Aon indique que si les augmentations générales (communes à tous les salariés) restent au même niveau depuis 2015 (1 %), l’enveloppe consacrée aux hausses individuelles progresse (de 2,1 % en 2015 à 2,5 % en 2016). Or, près d’une entreprise interrogée sur deux (46,8 %) n’a pratiqué que des augmentations individuelles.
« Il y a moins de saupoudrage que les années précédentes, explique M. Gouin. D’une part, après plusieurs années de prudence, les entreprises tiennent à fidéliser leurs meilleurs talents et d’autre part, elles sont engagées dans une politique de réduction des inégalités salariales. Nous constatons dans les budgets, des enveloppes spécifiques pour réduire les écarts de rémunération homme-femme »,précise-t-il.
Sur son panel, Deloitte constate un nombre plus important de salariés ayant perçu une hausse de salaire supérieure à 10 %.
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La différenciation entre les salariés profite aux cadres. Deloitte qui a analysé les parts fixe et variable des rémunérations versées en 2016 au titre des résultats 2015 note que « pour les cadres, les parts variables ont augmenté de plus de 10 % ».
La 14e édition du baromètre Expectra des salaires des cadres, publiée le 29 août, souligne « qu’ils bénéficient de la plus forte revalorisation depuis 2012 ». Il ne s’agit pas d’un sondage, mais de l’analyse de 74 520 feuilles de paie entre mai 2015 et juin 2016 de cadres de tous secteurs qui travaillent sur les métiers dits « transverses » : informatique, télécommunication, ingénierie, comptabilité, finance, ressources humaines et juridiques. Le baromètre révèle « une vraie reprise pour les cadres. Ce ne sont pas des niveaux d’augmentation historiques. A 1,7 %, la progression moyenne reste modeste, mais c’est la sixième année de hausse consécutive », souligne Christophe Bougeard, directeur général d’Expectra, qui constate aussi une reprise de l’embauche en intérim, comme en CDD et CDI avec des pénuries de compétences. Il en conclut qu’« une dynamique globale de croissance s’est réinstallée. Les salaires progressent dans toutes les filières, mais les contrastes interfilières et intermétiers sont importants ».
La transformation numérique des entreprises tire certains métiers vers le haut. « En 2017, ce sont les métiers les plus moteurs qui creuseront l’écart », estime M. Bougeard. Entre deux filières, les augmentations de salaires des cadres peuvent déjà varier du simple au double : de 1 % dans le juridique à 1,9 % dans l’informatique. Entre deux métiers du même secteur informatique, le rapport est de 1 pour 4 : 6,8 % d’augmentation pour un chef de projet infrastructure contre 1,5 % pour l’analyste d’exploitation (celui qui veille au bon fonctionnement du système informatique).
Pourtant, « les différences d’augmentation selon les métiers se sont réduites depuis plusieurs années, rappelle M. Gouin, car les entreprises pratiquent la mobilité interne bien plus qu’auparavant. Mais pour les métiers du numérique qu’on ne trouve pas en interne, les écarts peuvent dépasser 10 %. » De l’informatique à la distribution, pour Vincent Cornet, « c’est d’abord le résultat des entreprises qui explique l’importance des écarts ».
Enfin, cadres ou non-cadres, les variations de hausse de salaire selon les régions ont peu varié d’une année sur l’autre. « L’écart entre l’Ile-de-France et les autres régions se maintient cette année entre 5 % et 7 %, dit M. Gouin. Toutefois lorsqu’on compare une grande entreprise parisienne de plus de 500 millions de chiffre d’affaires à une PME régionale de moins de 50 millions de chiffre d’affaires, l’écart atteint 14 % », nuance-t-il.
Plus que jamais, dans un contexte de transformation numérique des entreprises sur fond de reprise économique fragile, la fidélisation des compétences rares constitue le moteur des politiques de rémunération des entreprises, grandes et petites. Avec l’ambition d’intégrer en interne les ressources capables de faire évoluer leur modèle économique.
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