Décidément, le journal La Croix poursuit sa montée au Golgotha de la bien-pensance idéologiquement dominante. Après avoir noué un partenariat régulier avec Frédéric Encel – ancien militant du Betar (organisation de l’extrême-droite pro-israélienne) – le quotidien catholique nous gratifie d’une double page de communication de Bernard Kouchner, l’ex-French Doctor reconverti dans les affaires sans frontières1, tout spécialement avec certaines républiques africaines improbables. Sur quatre colonnes, une photo en couleurs le montre en visite à Kigali le 18 juin 1994, alors secrétaire d’Etat à l’action humanitaire dans une tenue de Tintin reporter en train d’échanger visiblement de graves propos avec un officier du Front patriotique rwandais (FPR)2.
Le chapô introductif de La Croix précise : « pendant le génocide des Tutsis au Rwanda, Bernard Kouchner s’est rendu à trois reprises à Kigali. Il dit avoir tenté, en vain, d’alerter François Mitterrand sur la nature des crimes commis par le régime hutu ». A la fin de l’entretien, une petite note précise : « la semaine prochaine La Croix publiera une interview de l’amiral Lanxade ». Comme disait Jean-Luc Godard, l’objectivité ce n’est pas une minute pour les camps et une minute pour Hitler, mais c’est un peu plus compliqué…
Toujours est-il, qu’une fois de plus Bernard Kouchner se donne le beau rôle : il savait tout, il avait tout compris et tout anticipé, résolument du côté des gentils, bien-sûr ! Extrait : « Tout cela, je le savais. Bien-sûr qu’il y a des militaires qui, sur ordre, se sont préparés à frapper le FPR. Mais quand Turquoise a commencé, le FPR avait gagné la partie ». Comme à son habitude, le French Doctor – qui n’a jamais soigné une bronchite – commence d’abord par cogner l’opération Turquoise en laissant entendre (comme plusieurs « journalistes » touchés par la grâce humanitaire) que l’armée française a couvert, sinon participé à une partie du génocide rwandais. Cette posture moralisante et idéologique qui pollue l’histoire du massacre lui-même depuis plus d’un quart de siècle compare volontiers cette tragédie rwandaise avec le génocide juif de la Seconde Guerre Mondiale. S’ensuivent les mêmes ONGs, réseaux et professionnels de l’indignation sélective avec les mêmes techniques et intimidations : la morale contre l’histoire. S’il faut être sans concession aucune avec les négationnistes – quels qu’ils soient – il convient de laisser travailler chercheurs et historiens dans la patience du concept immanent, contradictoire et ouvert.
Kouchner : « Turquoise n’a pas procédé à l’arrestation des membres du Gouvernement intérimaire rwandais, c’est gros ! Le général Lafourcade3 a beau dire à La Croix que l’ONU ne lui avait donné aucune consigne à ce sujet, il aurait pu agir autrement ». Non effectivement, ce n’était pas les ordres du général Lafourcade dont la priorité était la sécurisation des flux de réfugiés en train de fuir en direction du Zaïre voisin. Et notre bon docteur semble parfaitement ignorer de quoi l’on parle !
L’opération Turquoise a été sollicitée – le 22 juin 1994 – par la résolution 929 du Conseil de sécurité des Nations Unies alors que le génocide rwandais n’avait pas encore dit toutes ses ruses mortifères. Sa mission : « mettre fin aux massacres partout où cela sera possible, éventuellement en utilisant la force ». A travers un déploiement de 2 500 hommes Turquoise a sauvé des milliers de vies, même si – effectivement – elle n’a pas permis d’arrêter nombre de génocidaires fondus dans la masse humaine.
S’étant rendu à plusieurs reprises en différents point du déploiement Turquoise pour la télévision suisse romande (TSR), l’auteur de ces lignes peut témoigner de l’engagement et du dévouement humanitaires des soldats français qu’il a vu à pied d’œuvre accomplir leur mission avec courage et abnégation. Kouchner devrait le savoir : lorsqu’une foule de quelque 10 000 personnes traverse une forêt… après son passage, non seulement il n’y a plus de forêt, mais il est bien difficile d’installer des portiques de sécurité comme à Roissy pour détecter les porteurs d’objets métalliques !
Mais les inepties kouchnériennes s’enracinent encore plus en amont, dans l’ignorance – consciente ou non – des conditions mêmes de la prise de décision du lancement de l’opération Turquoise. Initialement, François Mitterrand et son premier ministre de cohabitation Edouard Balladur n’étaient pas favorables – l’un comme l’autre – à une telle opération sous commandement et responsabilité françaises. D’expérience, les deux savaient pertinemment qu’on leur ferait porter le chapeau quoi qu’il arrive ! L’auteur de ces lignes encore a couvert le sommet de l’OUA (on disait encore à l’époque l’Organisation de l’unité africaine) du 13 au 15 juin 1994, soit une semaine avant l’adoption de la résolution 929. Pendant la réunion et jusque dans les couloirs de l’hôtel de la délégation française, c’est Nelson Mandela lui-même qui a prié, sinon supplié François Mitterrand d’accepter le lancement d’une telle opération militaire, sachant très bien qu’un dispositif de maintien de la paix classique de l’Onu n’aurait jamais le temps et les moyens nécessaires d’être rapidement opérationnel. Pouvait-on dire non au tombeur de l’Apartheid ? François Mitterrand s’est laissé convaincre à contre-cœur, tandis que Edouard Balladur en des mots très crus qui ne lui sont pas habituels disait à qui voulait l’entendre que « ce truc est un bâton merdeux qui finirait par nous péter à la figure… » C’est fait !
Kouchner encore : « j’ai préféré me rendre à Kigali pour rencontrer Paul Kagamé. Quand j’ai retrouvé Bernard Stasi, il m’a fait cette confidence : Lafourcade sécurise la zone où se trouve le GIR (les méchants) pour lui permettre de s’échapper vers Goma ». On connaît personnellement ses basses méthodes. Kouchner n’est pas à une perfidie près comme celle de faire parler les morts. Il a fait encore mieux avec Sergio de Mello – l’ancien patron des Nations unies en Irak tué lors d’un attentat islamiste à Bagdad le 29 août 2003 – et bien d’autres ! Ces propos invérifiables constituent une véritable insulte lancée à la face de tous les soldats français et africains qui peuvent être fiers d’avoir servi dans Turquoise sous les ordres du général Lafourcade et du colonel Hogard. Ces propos sont nuls et parfaitement nuls, parce qu’ils sont faux et archi-faux !
Kouchner toujours, revient sur ses rencontres chaleureuses, sinon amicales avec le dictateur Paul Kagamé. Il ajoute sans le moindre doute : « l’entourage de Mitterrand avait une analyse simplette. Ils ont d’abord vu une opportunité pour prendre la place des Belges dans cette ancienne colonie (…) Ensuite, la montée en puissance de l’Ouganda est apparue comme une menace ». Analyse simplette : comme disent les enfants, c’est celui qui le dit qui l’est ! Le bon docteur peut consulter les archives du Quai d’Oray, de l’Elysée et les notes de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda présidée par Paul Quilès : il n’a jamais été question que la France remplace la Belgique au Rwanda et dans la région des Grands lacs de quelque manière que ce soit… Si cette affirmation avait le plus petit début de réalité, cela se saurait !
Une autre donnée géopolitique autrement plus importante – et prouvée celle-là – concerne les projets de grandes sociétés américaines et britanniques dans cette région d’Afrique riche en différents minerais stratégiques et coltan, un composant indispensable à nos téléphones portables.
Pardon de citer encore l’auteur de ces lignes, mais ayant eu l’occasion d’interviewer à plusieurs reprises Warren Christopher – devenu le 63ème Secrétaire d’Etat de janvier 1993 à janvier 1997 dans l’administration du président démocrate William Clinton – ce dernier nous avait clairement expliqué comment le Rwanda et la région des Grands Lacs s’étaient imposés comme « le laboratoire de la privatisation de la politique étrangère des Etats-Unis ». Présentes en Ouganda depuis de nombreuses années, de grandes sociétés américaines et britanniques avaient financé équipements et armements du FPR dont la « reconquête du Rwanda était un plan très ancien ».
Le secrétaire d’Etat américain ajoutait : « il s’agissait pour ces grandes sociétés d’accompagner les étapes de la progression de l’armée du FPR dans les Grands Lacs jusqu’aux innombrables richesses naturelles du Zaïre en plein délitement pour signer une multitude de contrats d’avenir et ainsi prendre pied dans une région qui, jusque-là avait complètement échappée à la diplomatie américaine ». Ignorer cela, relève soit de la naïveté, soit de la simple bêtise, ou encore pire d’une inqualifiable malhonnêteté ! Plein de ressources, ne doutons pas que Kouchner peut jouer dans les différentes catégories !
Nouvelle hallucinante : « après l’assassinat d’Habyarimana, c’est à l’ambassade de France qu’est constitué le gouvernement intérimaire rwandais ». D’habitude au courant de tout et réciproquement, Kouchner ignore-t-il tout des accords d’Arusha ? Et, relevons qu’il ne pipe pas mot sur l’assassinat des présidents rwandais et burundais dont les commanditaires sont aujourd’hui connus, au premier rang desquels… Paul Kagamé, actuel président-dictateur du Rwanda !
Et, malgré ses affaires (pas toujours très nettes en Afrique4), Kouchner reste toujours à l’affût d’un poste et d’un prompt retour sur les plateaux de télévision : « tout concourt à cela, à commencer par le rapprochement entre Emmanuel Macron et Paul Kagamé : et cette formidable proposition de nommer la ministre rwandaise des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation de la francophonie… » Quel signal en effet, lorsqu’on voit Paul Kagamé prendre soin de toujours s’exprimer en anglais pour bien montrer son indéfectible attachement à la francophonie ! En la matière, notre président n’est pas toujours exemplaire, ses conseillers à l’Elysée ne cachant plus que le mot « francophonie » est désormais banni du vocabulaire présidentiel. France is back, vraiment ?
Nous citions précédemment l’excellent ouvrage de Pierre Péan, qui pose passablement de bonnes questions sur notre Kouchner-Rastignac, ancien cadre de l’Union des étudiants communistes (UEC) – quand la mode était aux voyages à Cuba et derrière le rideau de fer -, devenu allié objectif de la mondialisation anglo-saxonne… Selon différentes sources autorisées, la prise en main par l’US-Aid et les services américains du French-Doctor remonterait aux débuts de sa présence au Biafra, dès la fin des années soixante !
Pour sa femme Christine Ockrent, les choses sont encore plus claires. Pilier du Groupe de Bilderberg5, et toujours selon les mêmes sources de plusieurs administrations françaises spécialisées, elle aurait régulièrement rédigé des notes sur la situation économique et politique de la France pour l’ambassade des Etats-Unis à Paris. On n’ose citer le montant du cachet qu’elle touche pour son « émission » de relations internationales, prestations hebdomadaires diffusées par une radio… de service public. Il est grand temps d’augmenter la redevance…
Cette obsession de l’argent est à l’origine du surnom donné au couple par quelques diplomates éclairés lorsque Kouchner prétendait être ministre des Affaires étrangères de la France : les Thénardier !!! C’est tout dire. Une bonne occasion pour lire ou relire Les Misérables.
Bonne lecture et bonne semaine.
Richard Labévière
1 La Croix, 2 juillet 2018.
2 Le FPR a été créé en Ouganda, en 1987-1988 par les exilés tutsis de la première et de la deuxième république du Rwanda. Les origines du FPR remontent à 1979, quand est fondée la Rwandese Refugee Welfare Foudation(RRWF), association caritative qui devient un mouvement politique, la Rwandese Alliance for National Unity (RANU) l’année suivante. Le FPR est issu du RANU. De 1981 à 1986, une partie des jeunes Tutsis de la RANU s’engagent dans la guérilla de Yoweri Museveni contre Milton Obote, alors président de l’Ouganda, qui entretient des campagnes xénophobes contre les Tutsis. Selon Gérard Prunier, le mouvement de M. Museveni compte, quand il prend le pouvoir, au moins trois mille tutsis, sur un total de quatorze mille hommes. Parmi ces militaires d’origines rwandaises, plusieurs occupent de hautes fonctions dans l’armée ougandaise. Ainsi, Fred Rwigema, président fondateur du FPR, est secrétaire d’État à la Défense, puis conseiller du président Museveni. Paul Kagame est chef de la Sécurité militaire. Parmi les autres exilés tutsis, se trouvent le commandant Sam Kaka, chef de la Police militaire, le Dr Bayingana, chef du service de santé de l’armée ougandaise, et le commandant Musitu, responsable du service d’entraînement.
3 En juin 1994, alors qu’il est général de brigade, adjoint à la 11e division parachutiste à Toulouse, le général Jean-Claude Lafourcade est désigné pour prendre le commandement de l’opération Turquoise, lancée par la France, avec le concours de plusieurs pays africains, sous mandat de l’ONU, afin de mener une opération humanitaire au Rwanda. Cet officier général de grande réputation opérationnelle et l’un de ses collaborateurs le colonel Jacques Hogard sont devenus les têtes de turc privilégiées des propagandistes du complot de l’armée française, responsable du génocide.
4 On lira à ce sujet le livre définitif de Pierre Péan : Le monde selon K. Editions Fayard, 2009.
5 Le groupe Bilderberg, aussi appelé conférence de Bilderberg ou club Bilderberg, est un rassemblement annuel et informel d’environ 130 personnes, essentiellement américains et européens, dont la plupart sont des personnalités de la diplomatie, des affaires, de la politique et des médias qui partagent les options libérales et néo-libérales d’une mondialisation à marche forcée.
source:http://prochetmoyen-orient.ch/rwanda-reponse-a-kouchner-et-quelques-autres/