Poutine affirme que le pays devrait être auto-suffisant en nourriture d’ici 2020, alors que les sanctions stimulent un boom de l’agriculture
Comme si cela ne suffisait pas que la Russie de Vladimir Poutine ridiculise la campagne américaine anti-ISIS en Syrie, en accomplissant davantage en six mois, pour stopper l’avance terroriste dans ce pays, que ce que le Pentagone a effectué, avec sa campagne bizarrement inefficace, durant quatorze mois. Aujourd’hui, la Russie donne une énorme gifle à la domination de l’agro-industrie américaine dans le commerce alimentaire mondial, en décidant de faire de la Russie le plus grand exportateur mondial de produits non-OGM, c’est à dire de la nourriture non-industrielle saine.
Ignoré par les médias occidentaux, comme tous les développements positifs en Russie, le président Vladimir Poutine a fait son discours présidentiel annuel à l’adresse de l’Assemblée fédérale le 3 décembre dernier. Dans son allocution, il a annoncé l’objectif national pour la Russie, d’atteindre l’autosuffisance alimentaire au cours des quatre prochaines années – d’ici 2020.
L’un des secteurs les moins commentés de l’économie russe – surtout par les économistes occidentaux superficiels, qui imaginent que la Russie est simplement un pays dépendant de ses exportations de pétrole et de gaz, comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar – est la transformation importante en cours dans l’agriculture. Aujourd’hui, moins d’un an et demi après la décision d’interdire les importations agricoles de l’UE, en représailles à ses sanctions stupides, la production agricole domestique russe connaît une renaissance remarquable, ou, dans certains cas, une naissance. En termes de dollars, les exportations russes de produits agricoles dépassent celles des armements, et représente le tiers des bénéfices de l’exportation du gaz. Voilà qui est intéressant en soi.
Le président Poutine a dit aux membres réunis du parlement, dans son discours de décembre sur l’état de la nation russe :
«Notre secteur agricole est un exemple positif. Il y a à peine une dizaine d’années, nous importions près de la moitié de nos produits alimentaires et dépendions dangereusement des importations, alors que maintenant la Russie a rejoint le club des exportateurs. L’année dernière, les exportations agricoles de la Russie ont totalisé près de $20 milliards. Ceci est un quart de plus que le produit de la vente d’armes, soit environ un tiers de nos bénéfices provenant des exportations de gaz. Notre agriculture a fait ce saut dans une période courte mais productive. Un grand merci à nos résidents ruraux.
Je crois que nous devrions fixer un objectif national – fournir pleinement le marché intérieur avec des aliments produits au pays d’ici 2020. Nous sommes capables de nous nourrir de notre propre terre, et surtout, nous avons les ressources en eau. La Russie peut devenir l’un des plus importants fournisseurs d’aliments sains, écologiquement propres, et de qualité, que certaines entreprises occidentales ont cessé de produire depuis longtemps dans le monde, d’autant plus que la demande mondiale pour ces produits ne cesse de croître.»
Comme autre mesure, le président Poutine a demandé à la Douma d’adopter des mesures pour mettre en exploitation des millions d’hectares de terres arables maintenant en jachère :
«Il est nécessaire de mettre à profit les millions d’hectares de terres arables qui sont maintenant inexploités. Ils appartiennent à de grands propriétaires fonciers, dont beaucoup montrent peu d’intérêt pour l’agriculture. Depuis combien d’années parlons nous de cela ? Pourtant, les choses ne progressent pas. Je suggère de retirer les terres agricoles mal utilisées aux propriétaires douteux et de les vendre aux enchères à ceux qui savent et veulent cultiver la terre.»
Le passage à l’agriculture
Au début de la première présidence de Vladimir Poutine, en 2000, la Russie a commencé à transformer sa production agricole. Au cours des désastreuses années Eltsine, pendant la décennie 1990, la Russie a importé une grande partie de sa nourriture. Cela a été dû en partie à une croyance erronée que tout ce qui est Made in America ou en Occident était mieux. La Russie a importé des volailles américaines insipides, produites en série dans des fermes industrielles, au lieu de promouvoir ses poulets élevés dans des conditions naturelles, dont le goût est incomparable. Le pays a importé des tomates sans saveur, artificiellement colorées, venant d’Espagne ou de Hollande, en remplacement des délicieuses tomates biologiques locales. Je connais ; j’ai goûté les deux. Il n’y a pas de comparaison. La nourriture bio russe l’emporte sur les produits industriels occidentaux, malhonnêtes, frelatés et mal étiquetés.
Ce qui n’a pas été compris à l’époque d’Eltsine, c’est que la qualité alimentaire de ces importations occidentales avait considérablement diminué, depuis l’introduction de l’agro-business américain et de la nourriture d’usine dans les années 1970. L’UE a emboîté le pas avec son imitation des méthodes industrielles américaines, seulement un peu moins extrême. En outre, l’utilisation intensive d’engrais chimiques, les herbicides, les pesticides, les antibiotiques qui passent par les animaux dans les champs, tout cela a conduit à l’appauvrissement dramatique des micro-organismes essentiels dans les sols américains et européens. De plus, cela s’est aussi produit en Chine, selon les agronomes bien informés.
Le Congrès des États-Unis, à la fin de 2015, a abrogé une très ancienne loi sur l’étiquetage du pays d’origine de la viande, qui exigeait des détaillants l’indication explicite du pays d’origine des viandes rouges. Le bœuf et le porc, aux États-Unis, ne seront plus obligés de porter une étiquette mentionnant l’origine de l’animal. L’agro-industrie des États-Unis a fait pression pour ce changement, afin de permettre l’importation de viandes de qualité douteuse des pays en développement, où les contrôles de santé et de sécurité, et les coûts, sont minimes. Dans de nombreux états agricoles américains où l’industrie a d’énormes intérêts dans des fermes d’élevage industriel, des lois locales aussi nommées Ag-gag, interdisent même aux journalistes de photographier ces exploitations agricoles industrielles, souvent de grandes laiteries, ou des fermes de volailles et de porcs. En effet, si le grand public réalisait ce qui est fait pour mettre la viande sur la table du dîner aux États-Unis, ils deviendraient tous végétariens.
D’importateur net à exportateur
Pendant l’ère soviétique, surtout après 1972, lorsque les mauvaises récoltes soviétiques ont provoqué la pénurie, l’URSS a utilisé ses dollars du pétrole pour devenir un gros importateur de céréales américaines. Les entreprises américaines du cartel du grain comme Cargill et Continental Grain, ont travaillé avec le secrétaire d’État américain Henry Kissinger pour négocier des tarifs astronomiques à la Russie, dans ce qu’on appelait le grand vol de grain. Les contribuables américains ont été volés par les subventions aux céréales américaines. Cargill était tout sourire pour sa banque.
En 2000, la Russie, ainsi que l’Ukraine et, dans une moindre mesure, le Kazakhstan, ont inversé cette dépendance à l’importation de céréales, et sont redevenus des géants dans l’exportation mondiale de céréales et en particulier de blé, comme ils l’avaient été avant la Révolution russe de 1917.
Même avant la crise des sanctions provoquée par les États-Unis, en 2011-2013, la Russie a exporté en moyenne 23 millions de tonnes (mmt) de céréales par an. Ensemble, la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan ont vendu 57 mmt à l’étranger. Les trois pays ont fourni 19% du total des exportations mondiales de céréales au cours de cette période, et 21% des exportations de blé, dépassant les États-Unis comme plus grand exportateur de blé au monde.
Maintenant, l’Ukraine étant, de facto, un état failli, suite au coup d’état à Kiev organisé par le Département d’État des États-Unis et l’Administration Obama en février 2014, l’agriculture russe devient d’une importance stratégique mondiale, en termes de nourriture et de céréales biologiques de haute qualité.
L’embargo russe sur certains produits alimentaires de l’UE a été, rétrospectivement, un tournant majeur, transformant une crise en opportunité, comme le dit le vieux proverbe chinois. Sur les $39 milliards du total des importations agricoles et alimentaires en 2013, $23,5 milliards concernaient les catégories de produits visées par l’interdiction – soit 61% de toutes les importations de produits alimentaires en Russie. La décision récente d’interdire toutes les importations de produits alimentaires turcs, comme sanction pour l’attaque perpétrée par la Turquie sur un chasseur russe Su-24 dans l’espace aérien syrien, ajoute encore à ce total des importations interdites. L’interdiction d’importer de la nourriture turque est entrée en vigueur le 1er janvier.
Alors que de nombreux économistes occidentaux ont souligné l’impact initial important sur l’inflation, de l’interdiction de l’année dernière, un facteur provoquant le maintien par la Banque centrale russe de taux d’intérêt dangereusement élevés trop longtemps, la réalité à long terme est que l’interdiction a forcé un virage spectaculaire de l’agriculture vers l’auto-suffisance. De même que les aliments importés les plus chers disparaissent des rayons des supermarchés en Russie, ce sera aussi le cas de inflation initiale des prix alimentaires de 2015.
La plus récente chute du rouble en même temps que la chute mondiale des prix du pétrole libellés en dollars à $28 le baril à la dernière cotation, permettra de réduire encore davantage la consommation russe de ce qui reste de plus coûteux dans les importations alimentaires de l’UE, en faveur du Made in Russia. Loin d’être une catastrophe comme le New York Times et d’autres médias occidentaux le proclament joyeusement, la dernière chute du rouble va se transformer en un avantage pour l’économie agricole de la Russie et même pour son économie globale. Cela va grandement augmenter les objectifs d’auto-suffisance. Les restrictions à l’importation de denrées alimentaires de la Russie ne sont près de s’arrêter avant longtemps, même si l’UE abandonnait ses sanctions. Il y a trop en jeu maintenant pour l’économie nationale, dans le développement d’une agriculture biologique non-OGM de grande qualité.
En plus de la décision de viser l’autosuffisance agricole d’ici à 2020, l’embargo russe officiel de septembre 2015 sur toutes les cultures OGM, a mis la dernière touche à la récente disposition prise par le Président de faire de nécessité vertu.
Cette belle terre noire russe
La Russie a également un avantage naturel extraordinaire pour devenir aujourd’hui le plus important producteur – et aussi exportateur – au monde d’aliments biologiques non-OGM de haute qualité.
La Russie compte aujourd’hui parmi les sols agricoles les plus riches et fertiles du monde. Parce que les contraintes économiques de la guerre froide ont dicté que les produits de l’industrie chimique soient consacrés aux besoins de la défense nationale, le sol russe fertile n’a pas été soumis à des décennies de destruction par des engrais ou des pulvérisations chimiques, comme cela s’est produit sur une grande partie des sols de l’ouest. Maintenant, cela devient une bénédiction involontaire, alors que les agriculteurs européens et nord-américains luttent contre les effets destructeurs des produits chimiques dans leurs sols qui ont largement détruit les micro-organismes essentiels. Il faut des années pour obtenir des sols agricoles riches qui peuvent être détruits en peu de temps. Lorsque le climat est chaud et humide, il faut des milliers d’années pour fabriquer quelques centimètres de sol. Les climats froids et secs ont besoin de beaucoup plus de temps.
La Russie possède une des deux seules étendues de sol au monde, connues sous le nom de ceintures Chernozem. Elle va de la Russie du Sud jusqu’en Sibérie, à travers les districts de Kursk, Lipetsk, Tambov et Voronezh. Les Chernozem, terme russe pour décrire le sol noir, sont des sols possédant un pourcentage élevé d’humus, des acides phosphoriques, du phosphore et de l’ammoniac. Le Chernozem est un sol très fertile produisant un rendement agricole élevé. La ceinture de Chernozem s’étend aussi dans le nord de l’Ukraine et dans les Balkans le long du Danube.
Des premiers résultats très positifs
Les premiers résultats de l’accent mis sur l’auto-suffisance agricole russe domestique et le développement global sont tout à fait positifs. Depuis l’interdiction des importations alimentaires en août 2014 imposée par l’UE, la production de viande de bœuf et de pommes de terre a augmenté de 25%, celles de viande de porc de 18%, de fromage et de fromage blanc de 15%, de viande de volaille de 11%, et de beurre de 6%. La récolte russe 2015 de légumes était aussi un record, avec une croissance globale de 3%.
Les folles sanctions américaines et la guerre économique contre la Russie produisent le contraire de ce que prônent les défenseurs du libre-échange mondialiste. Ils obligent la Russie, à bon escient, à s’éloigner des accords de l’OMC en ce qui concerne l’agriculture. Cet accord avait été rédigé par Cargill [selon ses intérêts propres, NdT]. Les sanctions forcent la Russie à abandonner la libre circulation libérale occidentale des produits alimentaires dans le monde. L’exigence d’une auto-suffisance pour l’un des biens économiques les plus stratégiques de tous, sinon le plus stratégique : la qualité alimentaire de la nourriture, est fondamentale. La Russie a sagement décidé que cette approche est prioritaire par rapports aux droits d’un Cargill, d’un ADM ou d’un Monsanto de commercer librement. La révolution de l’agriculture en Russie est un exemple à observer pour le reste du monde. Il s’agit du primat de la qualité sur la quantité. La nutrition de qualité plutôt que l’obsession des rendements par hectare.
Avec mondialisation.ca