Avec plus de 80 % de ses quartiers situés sous le niveau de la mer, la ville de Rotterdam, aux Pays-Bas, est en quelque sorte le centre du monde de l’adaptation aux changements climatiques. Les délégations étrangères s’y bousculent pour s’inspirer de l’ingéniosité des solutions mises de l’avant par cette ville pour prévenir les inondations. Visite guidée de Rotterdam, ville résiliente par excellence.
Un texte d’Étienne Leblanc, envoyé spécial à Rotterdam
On l’appelle la « ville-éponge ». Un nom tout à fait approprié pour cette cité dont le destin est lié à l’eau depuis huit siècles. Plus grand port d’Europe, Rotterdam vit grâce à l’eau, mais a toujours couru le risque de périr à cause d’elle.
Ce n’est donc pas un hasard si le principal quartier des boutiques s’appelle « la Gouttière » et que le symbole touristique par excellence de la ville est, depuis quelques années, le Water Square. À quelques kilomètres de là, à l’est du centre-ville, se trouve d’ailleurs le point le plus bas des Pays-Bas, à 6,76 mètres sous le niveau de la mer.
Sur le parvis de la toute nouvelle gare de Rotterdam, Henk Ovink pointe son doigt vers le sol, vers ce qu’on croirait être un stationnement souterrain.
C’est bel et bien un stationnement pour vélos, mais entre nos pieds et le stationnement se trouve un grand bassin à la grandeur du parvis, pour retenir l’eau en cas de pluies abondantes.
Henk Ovink occupe un poste unique au monde : il est l’ambassadeur spécial des Pays-Bas pour les questions de l’eau. Le sherpa du premier ministre, en quelque sorte, qui passe trois semaines sur quatre à l’étranger afin de vanter l’expertise néerlandaise en matière de prévention des inondations.
Pour lui, Rotterdam est un modèle à adopter. Le grand bassin souterrain n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres, qui fait de Rotterdam une ville phare en ce qui a trait à la prévention des inondations.
Rotterdam : une ville refaite à neuf
Rotterdam n’a pas le charme de ses voisines Amsterdam, La Haye ou Utrecht. La ville a été complètement détruite par les bombardements allemands pendant la Deuxième Guerre mondiale. Un moment charnière pour cette cité dont les habitants sont reconnus pour être des travailleurs et des bâtisseurs.
Un passé qui n’est pas étranger au fait qu’aujourd’hui, Rotterdam est reconnue pour être une ville où l’architecture et l’urbanisme de qualité sont la norme.
C’est ce talent qui a permis à Rotterdam de devenir un exemple à suivre dans le domaine des aménagements urbains qui visent à prévenir les inondations.
« À Rotterdam, nous sommes condamnés à être des génies », dit Henk Ovink en pointant du doigt le Westersingel, un parc transformé en petit canal nouvellement refait près de la gare, dont le rôle est d’agir comme bassin de rétention d’eau quand il pleut.
Les berges du petit canal d’environ 400 mètres ont été abaissées, afin de créer un espace pour retenir les surplus d’eau. Résultat : les habitants du quartier n’ont plus à craindre les inondations dues aux averses subites.
Ils peuvent aussi profiter d’un nouvel espace public en bordure de l’eau et admirer les œuvres d’art installées par la Ville.
Water Square : le projet phare
Aucun projet n’attire toutefois autant l’attention que le l’emblématique Water Square de Rotterdam, situé en bordure du centre-ville.
Le designer urbain Dirk van Peijpe en sait quelque chose. Il ne se passe pas une semaine sans que le concepteur du projet et ses collègues de l’agence d’architecture Urbanisten accueillent une délégation d’experts étrangers venus voir la nouvelle vedette de la ville. Le lieu apparaît désormais dans les guides touristiques.
Ce jour-là, malgré le vent glacial qui arrive de la mer du Nord, un groupe de Milanais est de passage au Water Square. Ils écoutent attentivement Dirk van Peijpe, assis sur les grandes marches qui encerclent une agora construite en contrebas. Au centre, un court de basketball, situé à environ deux mètres sous le niveau de la rue. Juste à côté, dans un autre bassin transformé en planchodrome, de jeunes adeptes s’amusent.
Le Water Square compte trois agoras au total, qui ont toutes le même but : offrir aux habitants du quartier un espace public de qualité, et devenir des bassins de rétention d’eau en cas de pluies intenses.
« Les toits de toutes les tours d’habitation autour sont reliés au square par des tuyaux et des rigoles qui dirigent toute l’eau de pluie dans les trois bassins », explique Dick van Peijpe.
Le but, c’est d’éviter que l’eau se retrouve dans le réseau d’égout. C’est ça qui provoque les inondations.
Ainsi, les trois bassins du Water Square peuvent retenir près de deux millions de litres d’eau en cas de pluies abondantes. L’eau peut ensuite être pompée dans les jours qui suivent et renvoyée lentement dans le réseau d’égout dont le niveau se sera stabilisé.
Rotterdam compte deux autres squares semblables, et compte en ajouter.
Le Water Square est le projet phare de la stratégie de Rotterdam en matière d’adaptation aux changements climatiques, dont le mot d’ordre est résilience climatique et sociale. Les nouveaux aménagements urbains doivent non seulement servir à prévenir les inondations, ils doivent aussi être des outils d’intégration sociale.
Une stratégie qui a été encouragée par le responsable de la stratégie de résilience climatique de Rotterdam, Arnoud Molenaar.
Il faut développer l’espace disponible pour rapprocher les citoyens. Parce que 90 % du temps, il ne pleut pas, autant utiliser l’espace de la bonne façon.
C’est ainsi que le Water Square a été construit dans un quartier plutôt défavorisé, sur une place sans cachet, bétonnée et délaissée par la population locale. À la demande du maire de la ville, Ahmed Aboutaleb, il a été conçu avec la participation de la population locale.
Nous avons tenu de nombreuses réunions avec les gens du quartier pour recueillir leurs suggestions. Ce projet, ce sont les citoyens qui l’ont conçu, pas les experts.
Les toits verts, éponge de la ville
Que fallait-il faire de l’espace laissé vacant par une gare de triage ferroviaire abandonnée, en bordure du port de Rotterdam? Les élus de la ville se grattaient la tête. Il s’agissait de créer un projet pour revitaliser un quartier envahi par le trafic de drogue, et créer un lien naturel avec un ancien quartier industriel en plein boom, grâce à l’arrivée d’entreprises en démarrage.
Des promoteurs ont proposé de construire un centre commercial, une suggestion qui a soulevé peu d’enthousiasme.
Les urbanistes de Rotterdam ont donc saisi la balle au bond : pourquoi ne pas faire un parc sur le toit du centre d’achat ? Ainsi est né en 2014 le Dakpark, le plus long toit vert d’Europe avec ses 1000 mètres de verdure.
Le parc est construit comme un chapeau au-dessus du centre commercial, accessible par de petits sentiers en pente douce. Une fois dans le parc, on a peine à croire qu’on est sur un toit.
« C’est un lieu magique, un de mes endroits préférés en ville », dit Esther Wienese, journaliste et auteure du livre Rotterdam Roof Book, qui fait la recension des dizaines de toits verts de Rotterdam qui tapissent la ville vue du ciel.
Ces toits végétalisés sont au cœur de la stratégie de Rotterdam en matière de prévention des inondations. À la base, l’idée est la même que les places publiques inondables : éviter que l’eau de pluie se retrouve dans le réseau des égouts.
Grâce à un généreux programme de subventions qui permettait de payer près de la moitié des coûts d’aménagement, les propriétaires rotterdamois ont construit en masse des toits verts sur leurs immeubles. La ville compte aujourd’hui plus de 250 000 mètres carrés de toits végétalisés.
L’endroit le plus couru de la ville est certainement le Op Het Dak, un grand jardin de petits fruits et légumes doublé d’un café, sur le toit d’un immeuble d’appartements de six étages près de la gare centrale. Dans quelques semaines, la grande terrasse sera complètement verte. C’est aussi un arrêt obligatoire pour les experts étrangers.
« Il y aura des fraises, des cerises, des carottes, des concombres, des tomates; bref, une ambiance très agréable pour prendre un café et manger un bon repas », dit Wouter Bauman, le responsable du toit. Les subventions de la Ville ont payé environ la moitié des coûts du toit.
C’est un investissement. C’est une excellente stratégie pour retenir l’eau, et c’est une couche supplémentaire d’occupation de l’espace public.
La Ville de Rotterdam évalue à environ 12 millions de mètres carrés la superficie de toits plats sur son territoire. Son objectif est qu’à moyen terme, un million de mètres carrés soient verdis.
Déjà, plusieurs toits d’immeubles publics sont verts, dont celui de la bibliothèque municipale, des archives nationales, du musée Villa Zebra et de l’ancienne gare Hofplein. Et que dire du toit de l’Hôpital Erasmus, qui sera terminé cet été ? Avec ses 3000 mètres carrés, il permettra non seulement de retenir la pluie, mais il offrira du même coup à ses patients un environnement propice à leur guérison.
Le directeur du Bureau de la résilience de Rotterdam, Arnoud Molenaar, entend propulser sa politique sur les toits à un autre niveau, en incitant l’installation de panneaux solaires, de bassins intelligents pour la rétention d’eau et de terrasses ludiques. Mais surtout, il souhaite poursuivre cette logique de créer des espaces qui servent autant à retenir l’eau qu’à se détendre.
Il doit y avoir plus de toits verts publics, accessibles à tous.
Condamnée au génie face au défi que représente le risque d’inondations, Rotterdam n’a pas fini d’étonner. Les planches à dessin des architectes et des designers locaux sont pleines. Y naîtront bientôt des fermes flottantes et un réseau de toits verts reliés entre eux.
Arnoud Molenaar conclut la discussion en expliquant que le plus grand défi d’une bonne politique urbaine de prévention des inondations est de bien l’expliquer aux citoyens.
Avec radio-canada