Trop, c’est trop ! Débordées par le déferlement de visiteurs, certaines cités prennent désormais des mesures pour essayer d’en réduire le flux. Et tant pis si elles y perdent un peu au passage.
Ces billets d’avion sont achetés, l’hôtel réservé et les valises bouclées : dans quelques heures, vous décollerez pour Venise. Enfin ! Cela faisait trois ans que vous étiez sur la liste d’attente pour visiter la Sérénissime. Sur votre smartphone, vous avez téléchargé une application prouvant que vous avez bien réglé les 15 euros requis pour entrer dans la ville.
Avant de partir, vous vérifiez une dernière fois que vous êtes en possession de votre carte européenne touristique, qui pourra être exigée par la police. Elle lui indiquera que vous avez déjà reçu une amende à Rome pour avoir pique-niqué sur une fontaine. Si vous outrepassez une nouvelle fois les règles, vous reculerez sur la liste d’attente de Lisbonne, la prochaine ville que vous souhaitez visiter. “Buon viaggio!”, comme on dit en italien.
Rassurons les lecteurs qui souhaitent partir pour la cité des Doges, tout cela relève encore de la science-fiction. Enfin … presque ! Car la municipalité vient tout de même de lancer un grand plan de régulation des flux touristiques. “Nous avons interdit la création de nouveaux hôtels dans le centre-ville, nous allons réduire le nombre d’appartements touristiques, obliger les bateaux à ne pas tous débarquer au même endroit, proposer aux visiteurs des itinéraires alternatifs , et augmenter le nombre de policiers municipaux chargés de les surveiller”, énumère Paola Mar, adjointe chargée du sujet. Evoquées un temps, les idées d’un numerus clausus ou d’un paiement pour entrer dans certaines zones de la ville n’ont pas été retenues… pour le moment.
Le plus étonnant, c’est que Venise n’est pas la seule à en avoir ras-le-bol des touristes. De Dubrovnik à Reykjavik en passant par Berlin, Amsterdam, Bruxelles, Capri ou encore Florence, de plus en plus de villes européennes cherchent des solutions pour restreindre et maîtriser le déferlement des voyageurs.
Sur l’île de Santorin (Grèce), le nombre de débarquements a ainsi été limité. Dans les Cinque Terre (villages bordant la Riviera italienne), certains sentiers seront désormais fermés au public si l’affluence est trop grande. “Il est dangereux de laisser autant de monde se presser aux mêmes endroits, justifie Vittorio Alessandro, président du parc national. Cela dégrade l’environnement et pose des problèmes de sécurité.” Il est vrai qu’il y avait urgence, avec, sur ces petits chemins escarpés, des attroupements parfois dignes d’un jour d’ouverture des soldes !
A Rome, la municipalité a décidé de se concentrer sur les incivilités en augmentant les contrôles et les amendes pour les visiteurs qui se baignent dans les fontaines ou les dégradent, après l’ultime affront d’un voyageur espagnol retrouvé nu en train de patauger dans la fontaine de Trevi… N’est pas Anita Ekberg qui veut !
Mais que diable ont toutes ces villes contre les porteurs de sacs à dos et de perches à selfies ? A priori, ces derniers seraient plutôt une bénédiction pour les chanceux qui les attirent, car le secteur est très rentable. Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), il génère plus de 400 milliards d’euros de recettes pour les pays européens et représente plus de 10 millions d’emplois.
Pendant plusieurs décennies, les villes ont d’ailleurs tout fait pour attirer le plus de visiteurs possible, à grands coups de campagnes marketing et d’aménagements urbains. “C’est en effet une grande ressource”, reconnaît Anna Paola Concia, adjointe chargée du tourisme à Florence, qui a tout de même décidé d’arroser les marches des monuments à l’heure du déjeuner pour empêcher les touristes de s’y asseoir avec leur sandwich.
Pourtant, ces cités ont de bonnes raisons de maugréer. Grâce aux compagnies aériennes low-cost, aux sites de réservation qui bradent les prix des chambres d’hôtel et, plus récemment, aux plateformes de location d’appartements entre particuliers, le prix des séjours a baissé ces dernières années. En conséquence, la croissance des flux touristiques a explosé.
Entre 2000 et 2016, le nombre de voyageurs a ainsi augmenté de 60% en Europe, région la plus visitée au monde. Le problème, c’est que certains endroits ne sont pas adaptés à l’accueil d’autant de touristes. Comme Florence, où on en compte en moyenne 5.866 au mètre carré ! “Nous sommes sous pression car notre cité médiévale n’a pas été conçue pour ça”, se désespère Anna Paola Concia.
Résultat, les habitants fuient (comme à Venise, qui perd chaque année 1.000 résidents), pestent contre la hausse continue du prix des logements (à Berlin, la municipalité a interdit la location d’appartements complets sur Airbnb), dénoncent les multiples dégradations et incivilités ou la transformation de leurs quartiers en Disneyland pour vacanciers à valises à roulettes.
“Nous ne voulons pas que notre ville devienne une boutique de souvenirs pas chers !”, a ainsi martelé Ada Colau, maire de Barcelone, élue en 2015 avec un programme de décroissance touristique. Pour cela, la municipalité a sorti le bazooka : pas de nouveaux hôtels dans le centre-ville, ceux qui veulent faire des travaux de rénovation devront en profiter pour réduire le nombre de chambres, tandis qu’Airbnb et HomeAway ont été sommés de payer des amendes de 600.000 euros après avoir accepté des annonces pour des appartements qui ne détenaient pas la licence nécessaire.
Pour le monde économique, c’est une catastrophe. Selon la chambre de commerce, 3 milliards d’investissements devant générer 65.000 emplois ont ainsi été bloqués. Mais, pour les habitants, c’est un véritable soulagement. Selon un récent sondage, l’afflux de visiteurs est la première préoccupation des Barcelonais, devant le chômage.
Pour autant, ces politiques de contrôle des flux touristiques ne sont pas évidentes à mettre en place. A Berlin, la justice a ainsi retoqué l’interdiction de louer des appartements complets, mais seulement pour les propriétaires de pied-à-terre. A Venise, les limitations imposées aux immenses paquebots de croisière ont également été annulées par les tribunaux, et le gouvernement italien est toujours en train de réfléchir à un plan pour réduire les dégâts causés par ces monstres des mers.
Mais, surtout, il est quasiment impossible pour ces villes de se passer de cette manne financière. A Barcelone, le secteur représente tout de même 14% de la richesse municipale, tandis qu’il génère à Venise chaque année 1,5 milliard d’euros de revenus.
Finalement, la manière douce, utilisée par exemple à Amsterdam, demeure la plus efficace. “Nous ne voulons pas réduire ces flux, mais mieux les répartir et faire en sorte que notre ville demeure un lieu agréable pour ceux qui y vivent, y travaillent et la visitent”, explique ainsi Janine Fluyt, porte-parole d’Amsterdam Marketing. Comment ? En déplaçant certains événements en dehors du centre, mais aussi en incitant les voyageurs à se rendre dans des lieux délaissés, comme… le littoral néerlandais. Des vacances au bord de la mer du Nord : en voilà une idée beaucoup plus pittoresque !
Mesures prises par certaines villes contrôler le tourisme
Florence : Nombre de touristes par an : 7 millions (en 2016)
Mesure : arrosage des marches à l’heure du déjeuner pour empêcher les pique-niques.
Barcelone : Nombre de touristes par an : 30 millions (en 2016)
Mesure : amende pour les personnes et les plates-formes qui louent des appartements illégalement.
Amsterdam : Nombre de touristes par an : 17 millions (en 20016)
Mesure : utilisation du budget tourisme pour valoriser les alentours et non le centre-ville.
Venise : Nombre de touristes par an : 25 millions (en 2016)
Mesure : interdiction de construire de nouveaux hôtels dans le centre-ville.
Berlin : Nombre de touristes par an : 12 millions (en 2016)
Mesure : interdiction de louer un logement complet sur Airbnb(1).
(1) La mesure concerne les résidences principales.
Rome : Nombre de touristes par an : 25 millions (en 2015)
Mesure : amendes pour les personnes qui s’assoient sur les fontaines ou s’y baignent.
Avec capital