Président de « la 4e génération » de la CADE (Coordination de l’Afrique de demain), « do tank »* actif depuis vingt-trois ans, Roland Portella entend mettre à profit les expériences professionnelles et citoyennes de son équipe pour soutenir les talents des diasporas. Un chantier immense et multiforme.
« Je me rappelle un lointain colloque organisé à Paris, par un collectif d’universitaires et de cadres supérieurs des diasporas africaines, intitulé “État des lieux de la diaspora africaine, en France et en Europe” et auquel j’avais contribué par un travail d’analyse sur la dynamique entrepreneuriale des diasporas… c’était en février 2005, à la suite de la publication d’un rapport éponyme présenté au Sénat.
Déjà, la question de la dispersion de la diaspora était posée, déjà on constatait “la non-optimisation des ressources de la diaspora africaine dans le développement de l’Afrique, du fait de son manque d’organisation”. Notez que je ne cite pas de mémoire, j’ai retrouvé le compte rendu que nous avions écrit à l’époque, raconte Roland Portella. De plus la CADE et ENDA Tiers-Monde avaient organisé en novembre 2010 un atelier sur “Les diasporas : quels leviers de développement économique et d’investissement productif dans les pays du sud” dont le but était de faire un recensement des dispositifs privés et publics de retour dans les pays d’origines d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud… »
« Il manque l’effet de masse qui permettrait à l’Afrique de décoller »
Treize ans plus tard, le constat n’a que légèrement évolué pour les diasporas africaines, alors que les diasporas asiatiques et sud-américaines décollent fortement, il faut bien l’admettre. En revanche, la compréhension de certaines pratiques a avancé, comme l’explique le Président de la CADE, et cela peut donner des indications sur comment mieux faire pour faciliter l’implication des diasporas dans le développement de l’Afrique :
« Nous avons observé que l’investissement communautaire fonctionne plutôt bien ! Ainsi on a pu voir des migrants originaires des populations kayes du Mali ou d’autres, originaires du Sénégal, financer des écoles dans leurs villages, avec des dispositifs d’énergies renouvelables… C’est un investissement de type endogène, le plus souvent opéré par des gens modestes.
En revanche, l’investissement qui cherche à impliquer les élites de la diaspora est plus difficile à obtenir, car leur statut permet aux élites un choix plus large. Elles vont chercher à optimiser leur investissement, elles n’ont pas obligatoirement avec le pays – le village ! – d’origine un lien affectif aussi fort que les populations modestes. »
Certes, des exceptions existent, et des initiatives individuelles conséquentes ne manquent pas. « Mais, elles ne sont pas suffisantes pour provoquer un effet de masse qui permettrait à l’Afrique de décoller », ni de combler le déficit de quelque 50 milliards d’investissements en infrastructures qui lui font défaut chaque année, sur un total d’une centaine de milliards à pourvoir. D’ailleurs, pour ne rien arranger, « le dialogue entre les États et les diasporas candidates au retour est rarement structuré, on est confronté à la réalité de chaînons manquants qui font gravement défaut ».
La CADE lance en novembre un fonds de transfert de compétences des diasporas
À la CADE, qui se positionne comme « un club économique élaborant des outils d’aide à la décision pour aboutir à des projets », on a donc décidé d’approcher cette problématique sous un prisme autre que celui des transferts de fonds, explique Roland Portella.
« Nous travaillons à un projet de fonds d’expertise des diasporas, qui verra le jour en novembre. L’objectif sera d’accompagner les candidats au retour et porteurs de projets structurels, qu’ils soient scientifiques, entrepreneurs, ingénieurs ou ouvriers spécialisés, car tous ont un savoir-faire à partager ou à transférer.
Trop souvent, le candidat au retour se retrouve seul devant les autorités locales, et le contact passe difficilement lorsqu’il s’agit d’investir dans des domaines structurants et stratégiques… La CADE, qui est une plate-forme reconnue de compétences et de connaissances sur les politiques publiques, les investissements en Afrique et en Europe, assumera humblement ce rôle de facilitateur du dialogue, de tiers de confiance. »
Par exemple, la CADE va rencontrer les responsables des systèmes éducatifs de trois pays d’Afrique afin de faciliter le transfert de compétences d’innovateurs numériques, porteurs de projets de formation d’une centaine de jeunes aux technologies digitales éducatives.
Autre projet qui verra aussi le jour à l’automne : la structuration de l’offre de matériaux écologiques locaux pour le secteur du bâtiment, dans deux pays. « Les architectes et constructeurs nous disent être prêts à utiliser davantage ces matériaux, mais l’offre et les mesures publiques d’incitation sont insuffisantes ». Encore un cas de « chaînon manquant », donc.
En fait, quel que soit le projet, Roland Portella comme bien d’autres de nos interlocuteurs insiste sur un point central : on ne part pas seul entreprendre en Afrique, il est vital de se faire accompagner.
Reste un problème, de taille, pour qui voudrait travailler à fédérer les diasporas : « Il faudrait commencer par créer de bases de données pour les répertorier, estime Roland Portella. Certes, certaines organisations de diasporas ont déjà commencé à le faire, mais on se heurte à un double écueil : c’est un travail très lourd qui demande beaucoup de moyens ; certaines organisations et membres des diasporas ne veulent pas communiquer, par méfiance instinctive de tout ce qui ressemble à un recensement ethnique ou à d’éventuelles finalités politiques… »
Une raison de plus d’organiser des moments forts de rencontre et d’échanges… comme le #FDDA du 22 juin, à Paris !
AVEC AfricaPresse.Paris