Première élue noire du Parlement espagnol depuis le retour à la démocratie, cette quinquagénaire originaire de Guinée équatoriale est députée d’Alicante
Rita Bosaho Gori franchit les portes du Congrès des députés, sur la plaza de Las Cortes. Ce 13 janvier 2016, le Parlement espagnol tient sa première session après les élections législatives du 20 décembre 2015. Plus de la moitié des nouveaux députés ont moins de 50 ans (194 sur 350) et sont issus de deux jeunes partis, Podemos (gauche radicale) et Ciudadanos (centre), qui ont émergé à la faveur de la crise économique et des scandales de corruption. Rita Bosaho est à elle seule un symbole. Première députée noire du Congrès espagnol depuis 1968, la numéro un de la liste de Podemos à Alicante (Sud-Est) est originaire de Guinée équatoriale. Assise juste derrière son chef de file, Pablo Iglesias, elle était sur toutes les unes de la presse au lendemain de la session parlementaire.
Une ancienne infirmière au Parlement
Rita a une voix douce et posée, un sourire bienveillant qui la rend immédiatement attachante. Plutôt menue, elle paraît encore plus jeune que sur les photos. Si elle semble encore un peu perdue dans les grands couloirs du Congrès des députés – son bureau ne lui avait toujours pas été attribué le jour de l’interview -, cette quinquagénaire est pourtant bien décidée à s’y sentir comme chez elle puisque « c’est un lieu pour les citoyens ». C’est d’ailleurs peut-être le décalage entre cette idée et la réalité qui lui donne des ailes. « Le Parlement est un lieu fermé, gris, démesuré. C’est un lieu de pouvoir mais à la disposition d’une minorité, et cela m’a frappée dès le premier jour », explique-t-elle. En 2014, juste après la percée de Podemos aux élections européennes, la future députée décide de militer au sein du nouveau parti.
Depuis les années 2000, une quinzaine de scandales pour corruption éclaboussent les dirigeants de droite (Parti populaire, PP) de la communauté autonome valencienne, au pouvoir depuis 1995. Des réseaux entiers sont démantelés, des ex-présidents envoyés en prison. « Comment ne pas être dégoûtée ? Ils détournaient l’argent du contribuable pendant que nos étudiants avaient cours dans des préfabriqués », s’insurge Rita, pour qui Podemos s’est imposé comme une évidence, « le seul lieu d’appropriation du pouvoir par les citoyens ». Infirmière à l’hôpital universitaire d’Alicante depuis plus de vingt ans, elle est aussi très engagée dans le domaine humanitaire puisqu’elle collabore avec l’ONG Proyecto Cultura y Solidaridad (« projet culture et solidarité »), qui travaille en Amérique latine et en Afrique. C’est avec cette même organisation qu’elle est revenue en Guinée équatoriale pour la première fois, il y a sept ans. « J’ai senti un grand vide, raconte-t-elle. Mes parents n’étaient plus là et la misère m’a beaucoup frappée. » Rita Bosaho affirme se sentir entièrement espagnole et équato-guinéenne.
La suite de l’histoire équato-guinéenne, Rita Bosaho n’en garde – ou ne veut en garder – que peu de souvenirs
Celle que tout le monde appelait « l’Espagnole », lors de son séjour, est née en 1965 à Santa Isabel, aujourd’hui Malabo, sur l’île de Fernando Poo, aujourd’hui Bioko. La Guinée équatoriale était alors une colonie de l’Espagne. L’oncle de Rita, Enrique Gori Molubela, est un proche du dictateur Francisco Franco et député au Parlement. Il sera ensuite président de la Commission du gouvernement autonome de Guinée équatoriale, qui gère la transition vers l’indépendance, obtenue en 1968.
La suite de l’histoire équato-guinéenne, Rita Bosaho n’en garde – ou ne veut en garder – que peu de souvenirs. Elle mentionne des persécutions et des emprisonnements dans sa famille, mais sans entrer dans les détails. « Je me souviens de ma mère et de mes tantes qui se cachaient pour pleurer », lance-t-elle. Elle reste très pudique sur la date et les circonstances de son arrivée en Espagne, dans une famille d’accueil, « il y a plus de trente ans ». L’histoire officielle raconte que son oncle, jugé par un tribunal militaire, fut assassiné en 1972, peu après le début de la dérive autoritaire du président Francisco Macías Nguema. Rita Bosaho a toujours aimé Alicante et ses bords de mer, qui lui rappellent un peu l’île qui l’a vue naître. C’est là aussi qu’elle a donné le jour à son fils, aujourd’hui âgé de 23 ans.
Son origine africaine a fait d’elle un symbole
Lors de sa première entrée en campagne électorale – elle avait déjà été candidate six mois plus tôt lors des régionales à Valence -, son engagement politique n’a été une surprise pour personne. Seuls ses collègues de travail ignoraient son orientation de gauche radicale. « Certains n’approuvent pas Podemos, mais ils respectent mon choix », explique la députée, qui était tête de liste de Compromís-Podemos pour les législatives, une coalition entre le parti nationaliste Compromís – qui gouverne la région de Valence avec les socialistes – et le parti de Pablo Iglesias.
L’arrivée d’une élue noire au Congrès espagnol a fait sensation. Rita Bosaho comprend que son origine africaine ait fait d’elle un symbole. « C’est la première fois que cela arrive donc ça choque, c’est normal. J’espère faire bouger les choses », tempère celle qui ne se considère pas comme une immigrée bien qu’elle soit « passée par un processus migratoire ». Également diplômée en histoire à l’université d’Alicante, Rita a commencé il y a deux ans une thèse sur l’impact de la colonisation européenne en Afrique, en comparant la Guinée-Bissau et la Guinée équatoriale. Sa nouvelle vie en politique l’a obligée à interrompre son travail en doctorat, de même que celui d’infirmière, mais seulement pour un temps. « Je ne me vois pas travailler en politique toute ma vie, explique-t-elle. C’est un service à la société, pas une carrière professionnelle. »
Avec Jeune Afrique