Deux réunions d’importance géopolitique considérable ont eu lieu le week-end dernier. Elles n’auraient pu être plus dissemblables par leur ton et leur fruit. Chacune représentait à sa manière le remaniement de fond de l’ordre mondial, et chacune se réclame d’un avenir fort différent.
La première de ces réunions, celle du G7 (ou G6+1, d’après certains participants), se tenait à Québec au Canada. Les dirigeants politiques des six pays les plus importants (d’après le PIB) des pays industrialisés occidentaux et du Japon étaient présents.
Le Président Donald Trump n’a pas pris la peine de cacher son mépris naturel envers ses prétendus amis et alliés. Arrivé en retard, sa contribution ayant été quasiment nulle, il s’est pressé de repartir. Dans son avion, en route pour la rencontre à Singapour avec Kim Jong-Un de Corée du Nord, il est revenu sur le mémorandum commun censément accepté à Québec, et y a rajouté quelques amères insultes personnelles à propos de l’hôte de la réunion, le Premier ministre canadien Trudeau.
Avant d’arriver à la réunion, Trump avait jeté une bombe en suggérant qu’il est temps de réintégrer la Russie dans le groupe d’où elle a été suspendue en 2014.
Les membres européens du G7, sauf peut-être l’Italie, ont été loin d’être enthousiasmés par cette suggestion inattendue de Trump. Cela impliquait que si les autres membres étaient d’accords, la Russie réintégrerait de fait le G7. Nous voyons ici à quel point les politicards du G7 sont déconnectés des réalités géopolitiques.
La réponse russe a fait mouche directement là où ça fait mal : « nous sommes en train de nous focaliser sur d’autres formes » [de réunions au sommet, NdT].
Ces ‘autres formes’ sont un éventail d’accords multilatéraux dans lesquels la Russie est l’un des principaux acteurs. Il y a par exemple l’Association dite des BRICS, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, qui rassemble plus de 40% de la population mondiale. En 2018, trois de ses membres, la Chine, l’Inde et le Brésil, figuraient, selon le FMI, dans le top 10 des plus grandes économies du monde. Il n’est peut-être pas utile de rappeler qu’aucun d’eux n’est membre du G7.
L’Union économique eurasienne (UEE), est le second groupe central clef des ‘autres formes russes’. Son membre le plus important sur le plan économique et politique est la Russie. A fortiori, l’UEE a signé d’importants accords de coopération avec le projet Nouvelle Route de la Soie initié par la Chine. Avec l’Iran, l’UEE a aussi signé un accord de libre-échange qui entrera en vigueur en 2020. L’Iran est un pays pivot dans tous les accords multilatéraux eurasiens et au-delà, qui non seulement existent déjà, mais dont le l’impact économique et géopolitique grandit toujours.
Le troisième groupe, celui qui a tenu sa réunion au sommet annuelle dans la ville chinoise de Qingdao, est l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Ce n’est pas par hasard si la réunion de l’OCS a eu lieu là où naquit Confucius, dans la province de Shandong.
Ce n’était pas une coïncidence car, dans ses remarques liminaires à la conférence, le Président chinois Xi Jinping a précisément cité l’enseignement de Confucius sur la juste cause de la recherche du bien commun. L’insistance accordée par la philosophie confucéenne à l’unité et à l’harmonie, a été rappelée par Xi lors de son discours de 2013 à Astana, quand il a exposé sa vision de la Nouvelle Route de la Soie. Cette philosophie – confiance en chacun, profit commun et attachement envers l’égalité, la délibération et le respect pour la pluralité des civilisations – est intégrée dans ce qui est désormais connu sous le nom d’Esprit de Shanghai.
Là encore, nous constatons sans effort que le contraste avec les dispositions d’esprit régnant dans le groupe du G7, ne pourrait être plus grand.
Le Pakistan et l’Inde ont participé à la réunion de l’OCS pour la première fois en tant que membres à part entière. Ils le sont devenus en 2017. Ces deux pays ont une histoire compliquée, mais contrairement aux attentes de nombreux commentateurs occidentaux, ils ont néanmoins été d’accords pour chercher une solution à leurs différends dans le cadre de l’OCS.
Chose significative, l’Inde et le Pakistan ont aussi accepté de travailler ensemble pour résoudre la guerre qui semble au premier abord insoluble en Afghanistan. Cette guerre a été provoquée par l’intervention et l’occupation illégales des États-Unis et leurs alliés. On ne sera pas surpris par l’absence des États-Unis dans cette tentative d’imposer la paix, dans laquelle sont aussi engagées la Russie, la Chine et l’Iran.
Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale de l’ancien Président étasunien Jimmy Carter et principal architecte de l’Opération Cyclone qui a engendré Al-Qaïda, a écrit dans son livre de 1997, Le Grand Échiquier, que les États-Unis avaient l’impératif stratégique d’empêcher l’apparition de tout groupe de nations capable remettre en question leur hégémonie politique, économique et militaire. Il a expressément qualifié l’alliance Russie, Chine et ‘peut-être Iran’, de scénario le plus dangereux.
Il est évident que depuis la sortie de ce livre, la politique étrangère des États-Unis s’efforce de réaliser ce qui y est préconisé. Or, ironiquement, ils obtiennent l’effet inverse. Parmi les conséquences imprévues, un nombre toujours plus grand de nations européennes ‘se tournent vers l’Est’. Les sanctions imposées par les États-Unis, non seulement à ceux qu’ils prennent pour leurs ennemis, Russie et Iran, mais aussi à leurs ‘alliés’ Européens qui ont la témérité de tenir à l’esprit et à la lettre du JCPOA, font que les Européens réévaluent où est vraiment l’intérêt de leur nation.
Fait encore plus important, grâce à la combinaison de facteurs incluant la complémentarité des économies et des ressources, et la certitude d’être mieux à l’abri ensemble que séparées, la Chine et la Russie ont noué des relations de plus en plus étroites. Si bien qu’en fait, c’est à Qingdao que le Président Xi à honoré le Président Poutine de l’exceptionnelle médaille de l’amitié. Le Président Xi a non seulement dit que la Russie est le ‘meilleur allié’ de la Chine, mais aussi, pour la première fois lors d’un forum public, il l’a appelé ‘partenaire stratégique’.
Vingt ans après le bouquin de Brzezinski et 11 ans après le discours fondateur de Poutine à la conférence de Munich sur la sécurité, la forme du nouvel ordre politique émerge à vitesse accélérée.
BRICS, SCO et UEE sont aussi le fer de lance de la suppression du dollar dans le commerce international. Un tas d’autres pays, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud, leur emboîtent le pas. Le Yuan convertible en or, l’arrangement similaire négocié avec le London Metals Exchange, le commerce réglé en monnaies nationales et le développement de CHIPS pour remplacer le réseau de paiement international SWIFT assujetti aux États-Unis, tout cela fait partie du remaniement de fond. Le socle de l’hégémonie étasunienne s’effrite rapidement et, à moins d’une guerre désastreuse, ils ne peuvent rien faire pour s’y opposer.
Cela ne veut pas dire qu’ils n’essaieront pas. Ils causeront sans aucun doute d’immenses problèmes, sans parler du chaos inhérent au leadership étasunien aberrant et dénué de projet stratégique rationnel [ils dépeuplent et désorganisent le monde pour établir une dictature mondiale gouvernée, si l’on en juge aux souhaits de Jacques Attali, depuis Jérusalem, NdT]. Ambitionner de dicter ce que l’on attend et compter sur l’adhésion aveugle de ses ‘alliés’ ne suffit plus.
En revanche, la conférence de l’OCS a clairement montré que, quelle qu’en soit la façon, la gestion politique tablant sur la considération mutuelle, le profit commun et le respect de la souveraineté des autres, dameront le pion à l’impérialisme déclinant du groupe intéressé et querelleur qui s’est réuni à Québec.
Original : journal-neo.org/2018/06/16/the-sco-and-g7-meetings-point-to-different-worlds/
Traduction Petrus Lombard