La prestigieuse université britannique, dont sont issus douze Prix Nobel d’économie, veut attirer de nouveau les plus brillants éléments du continent.
Fin juin, l’ambiance est studieuse sur le campus de la London School of Economics (LSE), nichée au cœur de la capitale britannique, à deux pas de Covent Garden. « C’est la période des examens de fin d’année scolaire », explique la Sierra-Léonaise Syerramia Willoughby, coordinatrice du blog « L’Afrique à LSE », qui nous fait visiter l’établissement. Après les étudiants de bachelor, c’est au tour des élèves de master de plancher. Dans les couloirs de la Clement House, le principal lieu d’examen, tout comme dans la bibliothèque ultramoderne, à l’architecture futuriste, ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, des panneaux invitent les passants au silence.
« Le rythme est intensif, plus qu’à Sciences-Po à Paris, explique Marie-France Agblo, 25 ans, étudiante togolo-béninoise du master Global Politics, passée par la prestigieuse école française. Chaque semaine, les étudiants doivent lire plus de 1 000 pages avant d’en discuter avec leurs professeurs et leurs camarades. À cela viennent s’ajouter des cours plus formels, sanctionnés par des examens exigeants, et un mémoire. »
Spécialité sciences sociales
Fondée en 1894 par des intellectuels socialistes, cette branche de l’université de Londres est spécialisée depuis son origine dans les sciences sociales. On y étudie l’économie, la finance et la comptabilité, l’anthropologie, la sociologie, le droit et les sciences politiques. L’établissement s’enorgueillit de l’excellence de ses enseignements, de sa recherche ainsi que des seize Prix Nobel issus de ses rangs (douze en économie, deux en littérature, deux pour la paix).
Ses quelque 10 000 étudiants sont triés sur le volet et issus de 150 pays différents – plus des deux tiers d’entre eux ne sont pas britanniques. « La sélection est rude. En master, elle se fait essentiellement sur dossier, en fonction des notes – qui doivent être excellentes et attribuées par une bonne université -, d’une lettre de motivation et de la maîtrise de l’anglais », précise Marie-France Agblo.
Au sein de « l’école du pouvoir », les étudiants peuvent se frotter aux penseurs de la mondialisation. D’éminents professeurs comme les économistes Thomas Piketty et Paul Krugman et, le temps d’un discours, des personnalités publiques renommées de passage à Londres. Parmi les « guests speakers » africains de ces derniers mois figuraient Sanusi Lamido Sanusi, ancien gouverneur de la Banque centrale nigériane, Ngozi Okonjo-Iweala, ex-ministre nigériane des Finances et ancienne directrice générale de la Banque mondiale, John Githongo, le patron de la lutte anticorruption au Kenya ou encore Lord Paul Boateng, le premier Noir ministre d’un gouvernement britannique.
« C’est après le passage à la LSE, en 2000, de Nelson Mandela, que nous avons réalisé l’importance des ressources académiques de l’école ».
Les africains passés par la LSE
Lorsque le continent luttait pour son indépendance, l’établissement était prisé par les figures anticolonialistes. Au milieu des années 1950, les étudiants africains – surtout spécialisés en sciences politiques et en anthropologie – étaient plus nombreux sur ses bancs que les Européens non britanniques.
Avant d’accéder au pouvoir, les ex-présidents ghanéens Kwame Nkrumah, Hilla Limann et John Atta Mills, les anciens chefs de l’État kényan Jomo Kenyatta et Mwai Kibaki, ou l’ex-Premier ministre mauricien Navin Ramgoolam y ont étudié.
Mais, par la suite, l’afflux d’étudiants originaires du continent s’est tari. Notamment lorsque dans les années 1980 et 1990, la LSE a davantage mis l’accent sur les affaires européennes, l’économie et la finance de marché.
Lors de l’année 2012-2013, les Africains représentaient seulement 2 % des élèves – et moins de 1 % du corps enseignant – contre 28 % d’étudiants venus d’Asie et 13 % d’Amérique du Nord. « Malheureusement, nous sommes minoritaires. J’étais la seule Africaine de mon master parmi soixante-dix étudiants. La plupart de mes camarades de promotion étaient occidentaux, souvent issus de familles bien connectées et aisées », indique Marie-France Agblo, qui a, elle, bénéficié d’une bourse allemande.
Après un passage à vide, un retour des africains à la LSE
« C’est après le passage à la LSE, en 2000, de Nelson Mandela, qui a rappelé le passé africain de l’institution, que nous avons réalisé l’importance des ressources académiques de l’école, avec plus d’une centaine de doctorants et de professeurs travaillant sur des sujets ayant trait au continent, mais de manière non coordonnée. Nous avons réalisé que nous ne les mettions pas suffisamment à disposition des universités, des chercheurs et des étudiants d’Afrique », explique Syerramia Willoughby.
« Et cette prise de conscience est survenue à un moment où le Royaume-Uni avait un regain d’intérêt pour les questions de gouvernance et de transparence, mises en avant notamment par les gouvernements des Premiers ministres travaillistes Tony Blair puis Gordon Brown, promoteurs de l’initiative pour la transparence des industries extractives et d’une nouvelle vision du développement, en quête de résultats tangibles », note le professeur Chris Alden, spécialiste des stratégies des puissantes émergentes sur le continent.
Pour changer la donne, l’Américain Craig Calhoun a lancé dès son arrivée à la tête de la LSE en 2012 une « initiative africaine », avec pour objectif de fédérer les énergies de l’école autour du continent, d’y renforcer les coopérations et d’augmenter la proportion de ses ressortissants au sein de l’établissement. Depuis, l’économiste malawite Thandika Mkandawire (lire ci-dessous), connu pour ses travaux sur les politiques publiques en Afrique, a pris le relais, assisté de Chris Alden.
Une intégration croissante de l’Afrique à la LSE
Dans ce cadre, la LSE a institué une summer school en partenariat avec l’université du Cap. Organisée chaque début juillet dans la ville sud-africaine, elle est consacrée aux enjeux modernes du continent et assurée par les professeurs des deux établissements pour une quarantaine de participants. « Cette session de trois semaines a été l’occasion de rencontrer d’autres étudiants africains, de travailler in situ et de manière approfondie », apprécie Marie-France Agblo.
L’école a aussi mis en place un sommet africain annuel au mois de mai, au cours duquel des chercheurs du continent sont invités à s’exprimer. Enfin, en 2013, elle a créé un master concernant le développement du continent et piloté par le professeur anglais Tim Allen.
« Nous voulons multiplier les échanges entre les différents départements de l’école et les universités africaines, notamment celles du Cap, d’Ibadan, au Nigeria, de Nairobi, au Kenya et de Mbarara, en Ouganda », indique Chris Alden. Aujourd’hui, les réseaux africains les plus actifs de la LSE sont ceux du Nigeria et de Maurice. « Nous souhaitons accueillir plus de doctorants afin qu’ils gagnent une exposition à l’international avant de revenir dans leur établissement d’origine, poursuit le professeur. Notre école peut apporter beaucoup sur des thèmes comme la politique étrangère, l’émergence de la Chine, de l’Inde et du Brésil en Afrique, la relation entre croissance et inégalités, la gestion de crise ou encore le droit constitutionnel. »
En 2016, la LSE vise même l’établissement d’un centre de recherche consacré à l’Afrique, installé dans son futur institut des affaires internationales, en cours de constitution.
Thandika Mkandawire
En 2010, Thandika Mkandawire, 74 ans, est devenu le premier professeur titulaire d’une chaire sur le développement de l’Afrique à la London School of Economics. Cet économiste malawite est l’une des figures phares parmi les hétérodoxes africains. Ses positions se situent souvent à l’opposé des politiques néolibérales prônées par les institutions de Bretton Woods.
Thandika Mkandawire, professeur en développement.
Avec jeune afrique