Conseils techniques, financement, alphabétisation… Pour sécuriser ses approvisionnements en noix de cajou, le groupe singapourien soigne ses relations avec les paysans. Reportage en Côte d’Ivoire.
Sous le manguier du village baoulé de Pliké-Totokro, à 40 km de Bouaké, pas un membre du bureau de la coopérative Essoimbo ne manque à l’appel pour accueillir les représentants d’Olam. Nous sommes mi-mars, la récolte de noix de cajou a commencé depuis deux semaines, et les 300 producteurs membres de l’organisation paysanne ont déjà livré plus de 20 tonnes de fruits à la multinationale singapourienne, premier exportateur et transformateur d’anacarde de Côte d’Ivoire.
Si rien ne vient perturber leur travail, ils devraient dépasser la production de l’an dernier : 163 t. Autour des cases, les noix prennent le soleil, étalées sur des bâches pour abaisser leur taux d’humidité à moins de 10 % avant leur transformation.
En Côte d’Ivoire, Olam achète entre 15 % et 20 %, selon des sources internes (plus de 30 %, selon l’un de ses clients), des 700 000 t d’anacarde disponibles, dont 45 000 t, certifiées bio depuis cette année, seront transformées localement. Le groupe a fait du pays, où il est présent depuis 1994, son laboratoire à l’échelle africaine en matière de relations avec les producteurs.
Renforcer ses liens avec les agriculteurs est le meilleur moyen de sécuriser ses approvisionnements, qu’il s’agisse de noix de cajou, de coton ou de cacao. « Celui qui maîtrise la production maîtrise le marché », assure Partheeban Theodore, directeur général d’Olam Côte d’Ivoire.
Assistance permanente et directives précises
Reste qu’à Pliké-Totokro tout comme dans d’autres localités des environs de Bouaké, une partie des producteurs préfèrent encore vendre leur récolte à d’autres négociants. Pour les convaincre de collaborer, la firme singapourienne a décidé d’occuper le terrain. Ses hommes vont au contact des communautés pour prodiguer des conseils, qu’il s’agisse de l’espace à respecter entre deux plants d’anacardier (au moins 10 m) ou de la manière dont on sépare la pomme (le pédoncule) et la noix pour éviter que cette dernière ne pourrisse.
Environ 32 000 producteurs sont concernés par ce programme mené en partenariat avec l’ONG FairMatch Support depuis trois ans. « La qualité de notre récolte a beaucoup progressé », reconnaît Brou Konan, président de la coopérative Essoimbo.
Chaque kilo sera payé au minimum 350 F CFA (0,53 euro, contre 225 F CFA en 2014), un montant fixé avant le démarrage de la campagne par le Conseil du coton et de l’anacarde, qui réunit les représentants de l’État et ceux de la filière. Mais le manque de pluie durant la campagne fait déjà grimper les prix.
L’accompagnement des producteurs ne se limite pas à l’enseignement de techniques agricoles ou au financement de l’achat d’engrais. Olam propose aussi des cours d’alphabétisation et appuie les paysans dans la transformation des groupements traditionnels en coopératives, conformément aux directives de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada).
Mais si les membres d’Essoimbo sont attentifs aux attentes d’Olam, c’est également parce que l’industriel a récompensé leur implication ces dernières années. « En fin de campagne, nous offrons une ristourne aux producteurs en fonction du volume livré et de la qualité des noix. Et les meilleures coopératives bénéficient de financements pour réaliser un projet qui leur tient à cœur », explique Julie Greene, responsable du développement durable d’Olam en Afrique.
En 2014, le groupe a construit une aire de séchage et un magasin pour entreposer les semences et les intrants. Et l’an dernier, il a distribué 50 kits solaires permettant de brancher une ampoule ou de recharger des téléphones portables.
L’ascencion de la firme singapourienne
Ce jour-là, à Pliké-Totokro, la rencontre avec la multinationale est l’occasion pour la coopérative d’exposer ses doléances concernant la piste qui relie le village à la route goudronnée. La pluie a défoncé le sol, et seuls les petits camions peuvent rejoindre le village pour évacuer la récolte. « Ne pourriez-vous pas en parler aux représentants de la Banque mondiale ? » suggère Brou Konan avant le départ des représentants d’Olam. « Même si les revenus des agriculteurs ont augmenté depuis trois ans, leurs conditions de vie restent difficiles, et ils nous demandent parfois de relayer leurs demandes, ce que nous faisons dans la mesure de nos moyens », explique Julie Greene.
Si Olam soigne autant ses partenaires, c’est parce que l’industriel est persuadé du potentiel de l’anacarde ivoirien. Et les performances du pays lui donnent raison. L’an dernier, la Côte d’Ivoire est devenue le premier producteur mondial de noix de cajou, devant l’Inde.
Avant les années 1990, cette filière était pourtant inexistante, et encore aujourd’hui de nombreux agriculteurs ivoiriens ne savent toujours pas que leurs noix, achetées par Kraft Foods, Walmart ou Aldi, seront en grande partie consommées en apéritif en Europe, aux États-Unis ou en Inde, où l’on apprécie aussi la pâte et la sauce de noix de cajou.
Pragmatique, le groupe a mis sa stratégie au diapason de celle du gouvernement ivoirien, qui souhaite augmenter progressivement la quantité de noix transformées localement. Bien qu’il envoie le plus gros de ses achats dans ses unités ultracompétitives d’Inde et du Vietnam, Olam a investi plus de 30 millions de dollars (plus de 22 millions d’euros à l’époque) dans la construction d’une usine à Bouaké, inaugurée en 2012.
Cours d’alphabétisation, visite d’une infirmière deux fois par semaine, possibilité de déposer les enfants de moins de 3 ans à la crèche… Les avantages sont nombreux
Celle-ci emploie 135 salariés, des femmes en grande majorité. Cette année, la multinationale espère que ses achats lui permettront de faire tourner ses machines au maximum de leur capacité afin de traiter 30 000 tonnes de noix (contre environ 27 000 tonnes l’an dernier).
Sur le pont à bascule, les camions, qui peuvent peser jusqu’à 40 t, se succèdent avant d’être déchargés. La traçabilité des lots est garantie durant tout le processus de transformation. Les noix sont d’abord calibrées, puis cuites à la vapeur ; l’amande est séparée de la coque, puis leur pellicule est retirée, tout cela de manière totalement automatique. Les fruits qui ne sont pas parfaitement nettoyés sont envoyés dans d’autres unités, où le travail sera fini à la main, avant de revenir à Bouaké pour être stérilisés et emballés.
Avant la construction de l’usine de Bouaké, Olam a appuyé, dès 2005, la création de petites unités artisanales qui n’effectuent qu’une partie de la transformation (décorticage et dépelliculage). Chaque année, une dizaine d’entre elles traitent environ 12 000 t de noix de cajou.
À Toumodi (à 50 km de Yamoussoukro), les décortiqueuses de la coopérative Ekreyo sont rudimentaires, et tout l’épluchage est fait manuellement (avant que les noix partent vers l’usine Olam de Dimbokro). On se croirait dans une adaptation ivoirienne des Temps modernes, de Charlie Chaplin. Mais les 350 ouvrières de Toumodi profitent aussi du décollage de la filière anacarde.
Cours d’alphabétisation, visite d’une infirmière deux fois par semaine, possibilité de déposer les enfants de moins de 3 ans à la crèche… Les avantages sont nombreux, même si les salaires restent très modestes. Et la coopérative, qui a réalisé 12 millions de F CFA de bénéfice l’an dernier, ne manque ni de projet ni d’ambition. « D’ici à cinq ans, nous construirons une usine complète à Toumodi », promet Akissi N’da, sa présidente.
avec jeuneafrique