Les échanges bilatéraux de biens entre la France et l’Afrique de l’Ouest sont en recul (-13% en glissement annuel à 2,3 milliards d’euros). Néanmoins, la France a maintenu des excédents commerciaux avec tous les pays d’Afrique de l’Ouest francophone, au premier semestre 2018.
Alors que les Marocains, les Ivoiriens ou les Sénégalais étaient venus nombreux, les anglophones se faisaient plus rares dans les couloirs du palais des Congrès de Paris, à l’exception de la délégation éthiopienne, invitée de marque de cette 3e édition des Rencontres Africa.
«Les Africains anglophones n’ont pas spécialement envie de se déplacer. Ce n’est pas dans leurs habitudes et les entrepreneurs viennent à eux. Leur marché local se développe très vite, avec des taux de croissance qui atteignent jusqu’à 9% en Ethiopie ! Nous sommes peu attractifs pour eux», constate Marc Hoffmeister, commissaire général des Rencontres Africa 2018, soulignant le chemin qu’il reste à parcourir à la France pour séduire cette Afrique qui enregistre des taux de croissance record.
Le forum a toutefois réuni près de 1 500 dirigeants français et européens et 800 décideurs africains, représentant 30 pays d’Afrique. Simultanément aux sessions de networking chronométrées, lors desquelles s’enchaînaient les rendez-vous BtoB entre entrepreneurs français et africains, le pavillon «Pays d’Afrique» réunissait organisations patronales, représentants des secteurs publics et fédérations professionnelles. Enfin, un pôle dédié au financement de projets avait été mis en place, pour prodiguer des conseils personnalisés aux entrepreneurs venus de quatre coins du continent.
Place au secteur privé et à l’opérationnalisation des projets
Si Agnès Buzyn, ministre de la Santé représentant le gouvernement français, Eugène Aouélé Aka, ministre de la Santé et l’hygiène de Côte d’Ivoire, Jacqueline Lydia Mikolo, ministre de la Santé et de la population de République démocratique du Congo (RDC) ou encore Dorothée Kinde-Gazard, ancien ministre de la Santé du Bénin, avaient répondu à l’invitation, l’événement se voulait résolument orienté business.
Moussa Touré, directeur de l’Agence pour la Promotion des investissements du Mali (APIP-Mali), mais aussi Emmanuel Sellier, directeur Afrique d’EDF ou encore Bruno Mettling, président d’Orange Afrique de l’Ouest étaient au rendez-vous. «L’événement est parti de quelque chose de politique et a évolué vers une dimension commerciale», explique Marc Hoffmeister. «Aujourd’hui, nous sommes entrés dans la construction de “business models” pour conclure de vrais partenariats», a-t-il poursuivi.
L’«opérationnalisation» des projets sur le Continent a fait l’objet de débats nourris autour de l’épineuse question du financement des PME. «Au Mali, un entrepreneur va emprunter à une banque locale malienne à un taux d’intérêt compris entre 12% et 20%, ce qui suppose des taux de rentabilité considérables, d’où une augmentation des prix pour rembourser les emprunts : c’est un cercle malsain», prévient le commissaire général des Rencontres.
En effet, bien que les PME africaines soient considérées comme «le» levier de croissance inclusive du Continent, elles peinent encore à trouver des financements. Rétablir la confiance entre les PME et les banques, en renforçant les informations financières grâce au numérique, recourir davantage au private equity, à la finance participative (crowdfunding) ou encore à la microfinance, sont quelques éléments de réponse débattus lors de ces rencontres.
Au niveau du capital-investissement, force est de constater qu’il ne s’adresse aujourd’hui qu’à une minorité de PME structurées, capables de répondre aux procédures d’analyses et de décisions exigeantes et les deux tiers des fonds débloqués concernent directement les locomotives nigériane, sud-africaine et kényane.
Priorité aux infrastructures durables
Alors que le secteur du BTP et des infrastructures en France plafonne à 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires -dont 128 milliards dans l’Hexagone), l’Afrique a toujours maille à partir avec le développement de ses infrastructures. Une question qui n’a pas échappé aux participants de ces rencontres franco-africaines.
Selon la Banque africaine de développement (BAD), les besoins annuels seraient compris entre 130 et 170 milliards de dollars, tandis que les investissements ne dépassaient pas les 62 milliards en 2016. Cet écueil se répercute sur l’ensemble du tissu industriel et concerne en particulier les infrastructures électriques, hydrauliques et celles des transports.
Par ailleurs, la priorité est donnée au développement des énergies propres et à la création des «villes-nouvelles» et «durables». L’Afrique s’urbanise à un taux de 4% par an, selon l’ONU-Habitat, et les principales villes africaines devraient contribuer au PIB du Continent à hauteur de 1,7 milliard de dollars d’ici à 2030, selon Oxford Economics. Pour accompagner cette urbanisation tous azimuts, un certain nombre d’initiatives «responsables» ont été avancées, notamment au Rwanda qui peut se targuer d’une journée mensuelle sans voiture, d’un quartier de la capitale interdit aux véhicules, de la prohibition des sacs et emballages non biodégradables depuis 2008 et d’un jour par mois consacré au nettoyage appelé «Umunganda».
Kigali, la ville la plus propre d’Afrique depuis 2014 selon l’ONU, engagée dans un vaste plan d’urbanisation, devra néanmoins relever un défi de taille, celui de proposer des habitations «durables» aux 70% de ses habitants qui vivaient encore dans des implantations sauvages fin 2016, d’après le ministère rwandais des Infrastructures et l’administration du logement.
Relever le défi de l’agro-industrie pour nourrir le Continent
Le marché de l’agroalimentaire sur le Continent représente 313 milliards de dollars et pourrait tripler d’ici 2030 pour atteindre 1.000 milliards de dollars, d’après la Banque mondiale. L’agriculture et l’élevage contribuent à près de 60% des emplois en Afrique subsaharienne et, depuis la déclaration de Maputo (2003), la plupart des pays africains s’attèlent à consacrer 10% de leur budget national à l’agriculture. Toutefois, la crise alimentaire de 2007-2008 est passée par là, contraignant les politiques publiques à renforcer leurs plans de développement agricoles.
A ce jour, un Africain sur quatre souffre encore de malnutrition chronique. Une situation qui pourrait s’accentuer dans les décennies à venir, au regard des 1,3 milliard d’habitants supplémentaires attendus d’ici 2050.
Parallèlement, l’impact des changements climatiques intensifiera le défi de la sécurité alimentaire et, faute de stratégie adaptée, la production de maïs (l’un des aliments de base sur le Continent) pourrait chuter de 40% à l’horizon 2050, selon la Banque mondiale.
Cependant, l’Afrique, avec la plus grande superficie de terres arables non exploitées reste particulièrement attractive pour les acteurs de l’agro-industrie mondiale qui peuvent s’appuyer sur les plans nationaux d’investissement, parier sur le dividende démographique, sur l’évolution des modes de consommation et sur l’essor des technologies numériques. A ce jour, plus d’une vingtaine de centres de développement des technologies agricoles chinois sont déjà implantés sur le Continent.
Vers une couverture sanitaire universelle
Les rencontres Africa 2018 ont également placé la santé au centre des débats. Le Continent manquerait de 1 million de travailleurs de santé pour répondre aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), selon le rapport annuel du Club Santé Afrique. Alors que l’Europe dispose de 32 médecins pour 10 000 habitants, l’Afrique n’en compte que 2. Au niveau du personnel infirmier, l’Europe est pourvue de 79 soignants pour 10 000 habitants, contre seulement 11 en Afrique.
Malgré ce constat, la santé se renouvelle en Afrique sous l’impulsion des technologies et la transformation numérique de l’offre de soins concerne à présent 41% des établissements de santé (prescriptions informatisées, imagerie ou actes infirmiers).
Les investissements se multiplient. Le ministre ivoirien de la Santé, Eugène Aouélé Aka, se félicite des «720 milliards de Francs CFA investis sur les trois prochaines années» dans le secteur médical. De son côté, le Sénégalais Aloyse Diouf déclare que le soutien des «bailleurs internationaux et du secteur privé» reste indispensable, tout en précisant : «La Chine nous appuie dans la construction de nos infrastructures sanitaires». A ce jour, les investissements chinois ont atteint 1 156 milliards de Fcfa au Sénégal tous secteurs confondus (900 milliards depuis 2012). Des investissements qui ont notamment permis la construction de l’hôpital pour enfants de Diamniadio.
Enfin, la couverture sanitaire universelle s’impose comme une priorité absolue. La ministre de la Santé de RDC annonce «une couverture sanitaire universelle d’ici 2030», tandis que le ministre ivoirien, Eugène Aouélé Aka, déclare que «la carte sanitaire universelle entrera en phase pilote dès 2019».
De son côté, Marc Hoffmeister souligne une «parfaite synergie des besoins» entre la France et le Continent qui justifie de mettre la question de la santé au cœur de l’événement : «La France réforme son système de santé tandis que l’Afrique invente le sien et entrera immédiatement à l’heure de la santé 3.0», explique le commissaire des Rencontres Africa 2018, qui mise sur un «leapfrog médical» en Afrique.
Avec la tribune afrique