“Moi Félix Antoine Tshisekedi Tshilomobo, élu président de la République démocratique du Congo…” L’opposant Félix Tshisekedi est officiellement devenu jeudi le cinquième président de la République démocratique du Congo, à l’heure d’une première alternance pacifique mais contestée.
Le nouveau président a prêté serment dans l’enceinte du palais présidentiel de Kinshasa. Avant de recevoir l‘étendard national des mains du président sortant Joseph Kabila, un exemplaire de la Constitution et les armoiries, sous les ovations de milliers de ses partisans mêlés aux officiels dans l’enceinte du palais de la Nation et à proximité.
“Félix n’oublie pas, papa avait dit : le peuple d’abord”, a scandé la foule en référence au père du nouveau président, l’opposant Etienne Tshisekedi décédé à Bruxelles le 1er février.
Du jamais vu au Congo : un président sortant et son successeur élu se donnant l’accolade pour une passation de pouvoir historique.
Comme prévu par le protocole, M. Tshisekedi était arrivé avec son épouse dans les jardins du palais de la Nation au bord du fleuve Congo, avec Brazzaville juste en face quelques minutes avant Joseph Kabila. Pour l’occasion, le président sortant a rasé la barbe poivre et sel qu’il portait depuis près de deux ans.
M. Tshisekedi a été salué par des centaines de ses partisans qui ont investi les lieux aux côtés des invités officiels, donnant à la cérémonie protocolaire un air de fête populaire. La sécurité en avait parfois des sueurs froides.
Proclamé élu par la Cour constitutionnelle samedi, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, 55 ans, va officiellement prendre le relais de Joseph Kabila Kabange, 47 ans, dont 18 à la tête du plus vaste pays d’Afrique sub-saharienne. Il devra partager le pouvoir avec le camp du sortant qui a gardé la majorité à l’Assemblée nationale.
C’est la première “passation de pouvoir civilisée” dans l’histoire de ce pays riche en minerais, comme le rappelle depuis le matin la chaîne d’Etat RTNC. Une histoire marquée par deux coups d‘État (1965 et 1997), les deux assassinats des dirigeants Patrice Lumumba en 1961 et Laurent-Désiré Kabila en 2001, et deux guerres qui ont ravagé l’est du pays entre 1996 et 2003.
Cette première historique est contestée par l’autre candidat de l’opposition Martin Fayulu, qui accuse les deux hommes de lui avoir volé la victoire dans les urnes. Il revendique 60% des voix. Mais la Cour constitutionnelle a rejeté son recours et proclamé la victoire de M. Tshisekedi avec 38,5% des voix.
Hormis le Kenya représenté par son président Uhuru Kenyatta, la plupart des autres pays africains avaient dépêché des représentants de rang inférieur: Tanzanie, Gabon, Namibie, Maroc, Burundi, Angola, Congo-Brazzaville, Egypte…
Les Etats-Unis et les pays européens sont représentés par leurs ambassadeurs. L’Union africaine et l’Union européenne dans un communiqué conjoint ont “pris note” de l‘élection de M. Tshisekedi, se déclarant prêtes à travailler avec lui.
Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a “émis des doutes” tout en souhaitant “éviter des crises et des affrontements”.
D’autres pays africains (Kenya, Tanzanie, Afrique du Sud…) ont salué plus chaleureusement l‘élection de M. Tshisekedi.
Pendant la cérémonie d’investiture, le président élu doit recevoir “les symboles du pouvoir” des mains de Joseph Kabila, avant de prononcer un discours.
Qui va rester au palais de la Nation? Le président sortant doit se retirer dans son bureau avec son épouse, tandis que le nouveau président et la première dame vont aller dans la salle VIP, avant un “entretien en tête à tête” et la “fin de la cérémonie”.
“Partage du pouvoir”
Le symbole du siège de la présidence est l’une des multiples questions qui se posent. Façonnées par Kabila, l’armée et les forces de sécurité vont devoir faire preuve de fidélité républicaine envers le nouveau président.
Largement favorable au président Kabila (337 sièges sur 500), l’Assemblée nationale va faire sa rentrée lundi, près d’un mois après les élections du 30 décembre.
C’est parmi cette majorité que Félix Tshisekedi va devoir choisir un Premier ministre. Les noms du directeur de cabinet du président Kabila, Néhémie Mwilanya Wilondja, et du grand patron congolais Albert Yuma circulent dans la presse congolaise, entre autres spéculations.
Dans un message d’au revoir mercredi soir, le président Kabila a encouragé les “leaders politiques” à privilégier une “coalition” plutôt que la “cohabitation”.
Les pro-Tshisekedi et les pro-Kabila ont signé un “accord de coalition politique” et de “partage du pouvoir”, selon un document que l’AFP s’est procuré.
L’accord prévoit que les ministères régaliens (Affaires étrangères, Défense, Intérieur) doivent “comme cela est de doctrine certaine, revenir à la famille politique du président élu”.
Des proches de M. Fayulu ont déjà rejeté toute participation à un gouvernement d’unité nationale. “L‘État de droit ne signifie pas arrangement, combine et combinaison pour gérer le pouvoir. Ce qui est mal conçu, ce qui est mal préparé va continuer négativement”, a déclaré l’une de ses alliée, Eve Bazaiba.
Le nouveau gouvernement va prendre la direction d’un pays riche en minerais, mais dont les deux tiers des 80 millions d’habitants survivent avec moins de deux dollars par jour.
La nouvelle équipe va subir de plein fouet la chute des cours du cobalt, qui ont chuté en quelques mois de 100.000 à 35.000 dollars la tonne.
Cette baisse brutale devrait être un coup dur pour l‘État, qui misait beaucoup sur une réforme du code minier relevant la taxation des producteurs de cobalt. La RDCen est le premier exportateur mondial.
Avec AFP