De passage à Paris où elle a été reçue, avec d’autres militants pro-démocratie africains, par Jean-Marc Ayrault, chef de la diplomatie française, Soraya Aziz Souleymane, membre du mouvement citoyen congolais Lucha, a répondu mercredi aux questions de Jeune Afrique.
Sur Twitter, on ne peut pas la rater. @SoraZiz, de son vrai nom Soraya Aziz Souleymane, ne manque aucune occasion de faire partager à ses quelque 19 600 followers son regard sur l’évolution de la situation politique dans sa RDC natale. Une de ses campagnes sur le réseau social avait conduit fin avril à la révocation d’un membre du gouvernement à Kinshasa.
Surnommée la « Jeanne d’Arc » congolaise pour son engagement citoyen pendant ses années étudiantes à Bukavu, dans l’est de la RDC, Soraya Aziz, aujourd’hui détentrice, entre autres, de deux maîtrises en développement (Grande-Bretagne) et en diplomatie et résolution des conflits (États-Unis), a d’abord participé à la « résistance armée », notamment en approvisionnant en vivres les milices locales d’autodéfense lors de l’occupation de cette partie du pays par les forces étrangères voisines entre 1998 et 2003.
Depuis fin 2013, la jeune femme de 35 ans, après avoir travaillé dans le secteur privé, milite au sein de la Lutte pour le changement (Lucha), l’un des principaux mouvements citoyens congolais. À la tête de l’ONG de développement Nyota, elle a fait partie de la délégation des activistes pro-démocratie africains invités le 16 novembre à Paris par Sciences Po pour une conférence sur « la politique de la rue ». Avant d’être reçus, 48 heures plus tard, au Quai d’Orsay par Jean-Marc Ayrault, ministre français des Affaires étrangères.
Très hostile au maintien du président congolais, Joseph Kabila, au-delà du 19 décembre, date de la fin de son dernier quinquennat constitutionnel, Soraya Aziz revient pour Jeune Afrique sur les échanges que les activistes pro-démocratie africains ont eu avec les autorités françaises mais aussi sur la crise politique en cours en RDC.
Jeune Afrique : Avez-vous l’impression d’avoir été entendue par les autorités françaises ?
Soraya Aziz : Avec Jean-Marc Ayrault, nous avons eu l’impression de parler à quelqu’un qui connaissait déjà le fond de notre pensée. Nous n’avons pas eu du mal à lui expliquer ce que nous faisons sur le terrain. Et il a été d’accord avec la plupart des actions que nous menons pour le respect des règles démocratiques. Le chef de la diplomatie française nous a également assuré du soutien de la France pour la transition démocratique en RDC et le départ du président Joseph Kabila le 19 décembre.
Jean-Marc Ayrault nous a même fait remarquer que les jeunes africains n’étaient pas très engagés dans le domaine du climat. Pour nous en effet, il est très difficile de parler de cette problématique lorsqu’il y a encore des problèmes cruciaux de développement, de gouvernance, d’éducation et de santé qui se posent dans nos pays. Forcément, le climat passe au second plan.
Il est important que Joseph Kabila parte le 19 décembre.
Pour l’instant, vous ne jurez que par le départ de Joseph Kabila le 19 décembre. Mais que reprochez-vous à l’accord politique conclu le 18 octobre à Kinshasa entre la Majorité présidentielle (MP) et une partie de l’opposition congolaise ?
La Constitution demeure la loi suprême du pays. Or, pour nous, cet accord viole la Constitution à plusieurs égards. Il veut par exemple maintenir Joseph Kabila au pouvoir jusqu’en 2018 alors que la date du départ du président au pouvoir est claire et non négociable : il doit partir le 19 décembre.
Si les élections doivent être reportées pour des raisons techniques, cela ne doit pas bénéficier aux personnes qui ont occasionné ce report. Il est donc important que Kabila parte le 19 décembre, pour qu’après les scrutins soient organisés dans les meilleurs délais.
Qu’est-ce qui se passerait si le président Joseph Kabila se retirait à la fin de son mandat ? Qui lui succéderait à la tête de l’État, sachant que la présidentielle n’aura plus lieu cette année ?
La Constitution prévoit des mesures de transition, en attendant l’élection d’un nouveau président de la République. En l’occurrence, c’est le président du Sénat qui prendrait sa place et aurait 100 jours pour organiser les élections.
Le camp du président Kabila rétorque que c’est seulement en cas de vacance du pouvoir que le président du Sénat pourrait être désigné pour diriger la transition…
La fin du mandat est un motif de vacance du pouvoir. Joseph Kabila ne peut pas continuer à être président alors que son mandat a pris fin.
Paraphrasant l’article 70 alinéa 2 de la Constitution, un arrêt de la Cour constitutionnelle a pourtant rappelé qu’ « à la fin de son mandat, le président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu ». Qu’en dites-vous ?
Cet arrêt n’a aucune valeur. Si les juges avaient lu cet article de la Constitution à la lumière des autres dispositions et dans l’esprit général de la Loi fondamentale, ils ne l’auraient pas pris. D’ailleurs, plusieurs juges de cette même cour se sont abstenus, d’une manière ou d’une autre, lorsqu’il s’est agi de trancher sur le report des élections au-delà des délais constitutionnels.
Sur le terrain, votre mouvement, la Lucha, mais aussi Filimbi et d’autres regroupements de jeunes de l’opposition ont lancé, mardi 22 novembre, la campagne « Bye bye Kabila ». De quoi s’agit-il ?
C’est une campagne qui consiste à accompagner le président Joseph Kabila vers sa sortie dans la paix. Nous comptons mobiliser un maximum de jeunes et mener ensemble une série d’actions – marches, villes mortes, pétitions, … – qui vont aboutir au départ de Joseph Kabila le 19 décembre.
Les manifestations publiques sont interdites ces dernières semaines à Kinshasa et dans plusieurs autres villes du pays. Comment les mouvements citoyens comptent-ils s’y prendre pour faire entendre leur voix ?
La loi demande que nous informions le pouvoir en place de la tenue d’une marche pour qu’il l’encadre. S’il n’arrive pas à faire son travail, nous ferons le nôtre.
Dans tous les cas, toutes ces interdictions sont illégales. Les autorités n’ont pas le pouvoir d’interdire les manifestations en RDC.
Pour nous, le président Kabila est coupable de haute trahison
Quelle solution préconisez-vous aujourd’hui pour sortir de la crise politique actuelle en RDC ?
La solution à la crise passe avant tout par le départ du président Kabila le 19 décembre. Parce que c’est la date de la fin de son mandat constitutionnel. Une fois qu’il aura démissionné, les forces politiques en présence devront se mettre d’accord avec la société civile pour la tenue des élections dans les plus brefs délais, en privilégiant le scrutin présidentiel.
En attendant, l’Église catholique, à travers la Conférence épiscopale nationale du Congo, poursuit des tractations pour trouver un large compromis politique. Soutenez-vous cette initiative de la dernière chance ?
C’est une initiative louable et nous la soutenons. Nous espérons que cette démarche aboutira au départ de Kabila le 19 décembre.
Pour nous, le président Kabila est coupable de haute trahison pour n’avoir pas organisé les élections dans les délais constitutionnels. Nous considérons toutefois que la seule concession que le Rassemblement [principale plateforme de l’opposition, ndrl] pourrait consentir, dans le cadre de ces négociations en cours avec le pouvoir en place, est celle d’accorder une certaine immunité au président Kabila. Mais à condition qu’il s’engage à partir à la fin de son mandat.
Avec jeuneafrique