Alors qu’il semblait vouloir rencontrer le chef de l’État, Félix Tshisekedi, président du Rassemblement, a finalement décliné l’invitation de Joseph Kabila. Celui-ci consulte depuis lundi la classe politique congolaise.
La rencontre tant attendue entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi n’aura pas lieu. En tout cas, pas dans le cadre voulu par le président de la République. Pendant deux jours, les 3 et 4 avril, ce dernier a invité au palais de la Nation les « différents groupes de la classe politique et sociale » ayant pris part aux pourparlers politiques. Au menu des échanges, une question : comment sortir de l’impasse ?
Depuis la signature de l’accord du 31 décembre, les parties prenantes n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur les modalités d’application du compromis politique. Les négociations sur cet « arrangement particulier » ont surtout achoppé sur le procédé du choix du Premier ministre qui doit être présenté par le Rassemblement – selon l’accord – mais aussi sur le nom de celui qui doit présider le Conseil national de suivi de l’accord (CNSA). Ce poste devait être confié à Étienne Tshisekedi, décédé le 1er février à Bruxelles.
L’opposant historique a laissé une lettre dont le destinataire est Joseph Kabila. Dans cette missive, l’opposant historique aurait transmis au chef de l’État le nom de la personnalité devant être nommée chef du gouvernement. Pour certains, le nom contenu dans la lettre était celui de son propre fils, Félix Tshisekedi, aujourd’hui président du Rassemblement.
Le 20 février, les évêques catholiques, médiateurs des pourparlers en RDC, à qui les proches d’Étienne Tshisekedi avaient remis un mois plus tôt la fameuse lettre, sont allés la donner à Joseph Kabila. Mais ce dernier n’a pas souhaité la réceptionner, préférant que le courrier lui soit remis par le successeur d’Étienne Tshisekedi au sein du Rassemblement.
« Embarras » ou calcul ?
Début mars, le Rassemblement se restructure. Tshisekedi fils et Pierre Lumbi, président du G7 et proche de l’opposant Moïse Katumbi, prennent les rênes du regroupement politique. Le 16 mars, « Félix » envoie un courrier à Kabila pour solliciter une audience. Problème : une faction dissidence conduite par l’opposant Joseph Olenghankoy aurait elle aussi demandé à rencontrer le président de la République.
« Les deux demandes ayant été portées à la connaissance du chef de l’État, celui-ci a éprouvé l’embarras d’y faire droit, dans ces circonstances, en raison par ailleurs des tractations en cours […] », explique Néhémie Mwilanya Wilondja, directeur de cabinet de Kabila, dans un accusé de réception datant du 20 mars et ayant fuité lundi 3 avril sur les réseaux sociaux.
« C’est en qualité de président du Rassemblement que Félix Tshisekedi avait demandé à rencontrer M. Joseph Kabila. Et il ne s’agissait que de lui remettre la lettre laissée par Étienne Tshisekedi, dans laquelle est indiqué le nom du Premier ministre », raconte de son côté un cadre de la plateforme.
« Malheureusement, pour bloquer la situation, le camp Kabila a demandé à la dissidence du Rassemblement de solliciter également un rendez-vous », déplore-t-il.
Un autre cadre ?
Une semaine plus tard et face à la persistance du blocage, la médiation jette l’éponge et « en [appelle] à l’implication personnelle et à la responsabilité du chef de l’État en tant que garant de la nation, dans la mise en oeuvre rapide de l’accord de la Saint-Sylvestre. » Dans la foulée, Kabila initie des consultations. D’abord de manière informelle, puis des invitations sont envoyées aux différentes plateformes politiques et aux regroupements de la société civile.
En ce début de semaine, des délégations défilent au palais de la Nation. On y aperçoit entre autres Vital Kamerhe, ancien président de l’Assemblée nationale, à la tête de l’opposition dite « signataire de l’accord de la Cité de l’OUA », et Léon Kengo wa Dondo, président du Sénat et autorité morale de l’opposition dite républicaine. Kabila reçoit même Olenghankoy et les autres dissidents du Rassemblement.
Ce n’est pas à Kabila de reconnaître, ou pas, l’une ou l’autre faction du Rassemblement, selon Geneviève Inagosi.
« Un très mauvais signal, regrette-t-on dans le camp de Félix Tshisekedi. Kabila, dont le mandat est arrivé à terme depuis le 19 décembre, ne cherche qu’à légitimer son plan de débouchage. On tourne en rond. » La députée Geneviève Inagosi, cadre de la Majorité présidentielle (MP), défend la position du chef de l’État : « Ce n’est pas à lui de reconnaître, ou pas, l’une ou l’autre faction du Rassemblement. Le président Kabila a décidé de consulter toutes les parties pour recevoir les différentes propositions de sortie de crise. Lui-même s’exprimera mercredi devant le Congrès. »
Pour Martin Fayulu en revanche, « Kabila est le problème congolais, il ne peut pas s’ériger en solution ». Le candidat déclaré à la présidentielle et cadre du Rassemblement estime par ailleurs que les consultations initiées ne constituent pas un « cadre approprié » pour une rencontre entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila.
« Si les deux hommes doivent se rencontrer, cela doit se faire dans le cadre de l’accord, sous les auspices des évêques ou de la Monusco dont les bons offices sont recommandés dans la résolution 2348 adoptée fin mars au Conseil de sécurité », ajoute-t-il. La balle revient finalement à Kabila qui va s’adresser ce mercredi à la nation. Saura-t-il (enfin) rassurer tout le monde et débloquer la situation ? « S’il n’y a pas une application stricte de l’accord, Kabila et toutes les institutions électives seront illégitimes », prévient déjà Martin Fayulu.
Avec Jeuneafrique