De nombreuses raisons sont avancées pour expliquer la non-industrialisation de la RD Congo.
[Cet article a été co-écrit par Philippe-Alexandre Sondji Mulanza Kating, Juriste-fiscaliste à Kinshasa]
Parmi elles, le manque d’électrification, le défaut d’infrastructures et surtout la corruption, qu’évoque fréquemment la presse internationale. Mais un autre facteur, moins souvent mis en lumière, explique aussi en grande partie cette situation : la fuite légale des capitaux, réalisée à travers les incitations fiscales octroyées par l’État, d’une part, et, d’autre part, par le recours aux prix de transfert.
Kinshasa a instauré un dispositif d’incitations fiscales visant à attirer les investissements directs étrangers (IDE) censés soutenir l’industrialisation, comme cela se pratique dans de nombreux pays en voie de développement.
Tout un arsenal juridique d’exonérations a été mis en place, mais la diversité de ces mesures rend difficile la compréhension des objectifs précis qui ont sous-tendu leur instauration. De plus, leur efficacité pour attirer les IDE dans des pays en voie de développement (au climat des affaires difficile) est de plus en plus remise en question.
En 2019, sept milliards de dollars de profits seront rapatriés à l’étranger alors que le budget national en 2017 est d’environ 4,4 milliards
Ainsi, en 2015, le professeur Stefaan Marysse a démontré que, depuis 2013, les profits rapatriés vers les sièges des multinationales opérant en RD Congo ont excédé les entrées de capitaux. En se fondant sur les données du FMI, le chercheur a estimé qu’en 2019 les profits rapatriés devraient être 3 à 3,5 fois plus importants que les entrées d’IDE, avec « deux milliards de dollars [1,9 milliard d’euros] d’entrées et sept milliards de profits rapatriés ». En comparaison, le budget national de la RD Congo en 2017 est d’environ 4,4 milliards de dollars. Ces montants représentent un énorme manque à gagner pour le pays en matière de recettes pouvant être réinvesties pour soutenir l’industrialisation.
Les prix de transferts
Les prix de transfert représentent une autre voie importante de fuite légale des capitaux. S’inscrivant dans des opérations internationales intrafirmes, il consiste en la manipulation artificielle des prix réels des biens et services entrant et sortant du pays. Le but : maximiser le bénéfice global de l’entreprise par la réaffectation des bénéfices obtenus dans divers pays vers des entités où le taux d’imposition est nul ou très faible, avant leur affectation finale au siège.
Ainsi, une multinationale avec une filiale en RD Congo peut minimiser le niveau de ses bénéfices réalisés dans le pays, soit en surestimant la valeur des biens et services importés par cette filiale, soit en sous-estimant la valeur des biens et services exportés par cette filiale.
Positition de balance des paiements affaiblie
À titre d’illustration, une étude menée sur une multinationale minière en 2014 a démontré que, à travers ses filiales dans les îles Vierges britanniques, Guernesey et l’île de Man, la filiale congolaise de la société « [avait rapatrié] une part substantielle des bénéfices à l’étranger ». Entre 2009 et 2013, la structure congolaise a subi des pertes de plusieurs centaines de millions de dollars. Concomitamment, la société mère implantée au Canada a enregistré un bénéfice net de 401 millions de dollars.
L’optimisation fiscale – qui est légale – constitue un enjeu mondial qui nécessite une réponse coordonnée
L’étude a conclu qu’au cours de cette période la stratégie fiscale de la multinationale a entraîné une perte nette de recettes de 153,7 millions de dollars pour l’État congolais. En diminuant les devises étrangères disponibles, cette stratégie fiscale a en outre affaibli la position de la balance des paiements de la RD Congo, réduisant ainsi l’espace politique pour la promotion de l’industrialisation.
Un enjeu international
Pour tenter de contrer ces phénomènes, le pays s’est doté en 2014 d’une législation relative aux prix de transfert, tandis que l’administration fiscale congolaise est appuyée par diverses institutions internationales (OCDE, Ataf, Credaf, etc.), notamment dans le cadre du projet « Érosion de la base d’imposition et […] transfert de bénéfices » (BEPS) lancé par le G20 et l’OCDE en 2013.
L’objectif de ce programme d’envergure internationale consiste à améliorer, en adoptant des actions concertées, la cohérence des règles nationales portant sur la fiscalité internationale relative aux sociétés multinationales afin d’éviter que celles-ci, dans un contexte économique mondialisé, puissent en exploiter les failles. L’optimisation fiscale – qui est légale – constitue en effet un enjeu mondial qui nécessite une réponse coordonnée.
Avec jeuneafrique