Dans cette deuxième partie de son rapport confidentiel de l’Union européenne sur Ouattara, les diplomates dénoncent, entre autres, des bandes de jeunes ‘’militants’’ ou ‘’syndicalistes’’ s’apparentant davantage à des délinquants. Ci-dessous, la deuxième partie du rapport confidentiel de l’UE (avril 2018), que s’est procuré IvoireSoir.net.
Dans ce contexte, les Chefs de Mission incitent à poursuivre une analyse approfondie de La situation ivoirienne, et déplorent la réticence générale des autorités à échanger sur les sujets majeurs, comme l’illustre l’absence de dialogue politique
depuis mars 2016.
Ils souhaitent donc utiliser tous les leviers disponibles pour résoudre tette situation, d’autant moins acceptable au vu du soutien, important, apporté par l’UE et ses Etats Membres à la Côte d’Ivoire.
TEXTE
I. Tensions multiples dans une course aux présidentielles de 2020 lancée trop tôt
1. Dans la continuité des élections présidentielles apaisées en 2015, le second mandat d’Alassane Ouattara se présentait comme celui de la confirmation de la stabilité retrouvée et plus encore comme un symbole du changement structures voulu par le Président durant cette décennie de post-crise.
Mais après une séquence politique particulièrement dense (révision constitutionnelle puis élections législatives en 2016), qui avait laissé entrevoir d’importantes dissensions au sein de la majorité, puis des épisodes de mutinerie dans l’armée, qui avaient mis à rude épreuve la crédibilité des autorités (et d’abord celle du Président de la République), cette vision semble aujourd’hui s’éloigner.
Ce constat repose d’abord sur un fait politique majeur : l’obsession des acteurs politiques pour l’échéance de la présidentielle de 2020, présente dans tous les esprits dès le lendemain des élections de 2015. La séquence de la révision constitutionnelle en 2016, avec les évolutions politiques et institutionnelles qui en découlent, ont globalement renforcé le pouvoir exécutif.
Cela n’a fait que confirmer une tendance dont les signes les plus visibles sont les incessantes tractations autour du « parti unifié », et leurs corollaires directs que sont la manifestation des ambitions personnelles et le retour des jeux d’alliance. Par extension, cette course, lancée par anticipation, aux élections de 2020, cristallise à nouveau les enjeux autour des reformes électorales (en particulier celle de la Commission électorale indépendante et de l’actualisation de la liste électorale) ou institutionnelles (la création du Sénat), et provoque une érosion du dynamisme réformateur pourtant emblématique des débuts du Président Ouattara.
Incertitudes autour du projet de parti unifié
2. Le parti unifié, censé transformer l’alliance électorale du Rassemblement des houphouetistes pour la démocratie et la paix (RHDP) en un véritable parti politique, était annoncé par Alassane Ouattara lui-même comme acte « avant la fin 2017’’. Le principe, ambitieux est de faire fusionner le parti présidentiel du Rassemblement des républicains (RDR) avec les cinq autres partis de la coalition, en particulier le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) présidé par Henri Konan Bédié, ancien président de la République (de 1993 à 1999).
Mais ce projet, contesté sur la forme et le fond, n’a toujours pas vu le jour, pour plusieurs raisons. Annoncé comme la solution à l’instabilité passée (c’est à dire une solution à l’épineuse question de la succession de Ouattara), il a été dès le début compris par tous comme une manière pour la coalition au pouvoir de s’assurer une réélection systématique, en reléguant les éventuels mouvements d’opposition à la périphérie du jeu politique.
En outre, il se heurte à une réalité fondamentale : parti historique du « fondateur » Felix Houphouët-Boigny, la base militante du PDCI se voit mal être fondue dans un ensemble promis à l’emprise du RDR, alors que ce denier n’est au départ qu’une émanation « nordiste » du PDCI. En outre, les bases électorales, fortement ethniques et géographiques, ne semblent pas prêtes à cette fusion, qui ressemblerait bien davantage a un retour au « parti unique » qu’à un parti unifié.
3. Même si la discipline des partis avait jusqu’alors évité des critiques trop directes, le sujet suscite désormais des tensions visibles entre le PDCI et le RDR, alors même que les deux partis alliés ont à nouveau présenté des listes communes aux élections sénatoriales (où l’on a observé des dissensions importantes que ne reflètent pas les résultats). L’escalade verbale entre les « durs » des deux partis, par meetings interposés en mars 2018, en fut une illustration supplémentaire au cours d’une cérémonie d’hommage à Henri Konan Bédié, Jean-Louis Billon, porte-parole adjoint du PDCI, et Maurice Kakou Guikahué, secrétaire exécutif, multipliaient ainsi les déclarations opposées à la mise en place du parti unifié (« sans le PDCI, le RHDP n’est rien » ; « si parti unifie il doit y avoir, ce sera après l’alternance. En 2020, un militant actif du PDCI sera candidat »).
Les caciques du RDR, tels Kandia Camara, Secrétaire générale, Amadou Soumahoro ou Adama Bictogo, ont rétorque de manière virulente, dans la droite ligne d’un discours sans équivoque qui a progressivement gagné en radicalité depuis 2015 (les opposants au parti unifié sont des « ennemis de la jeunesse » et « veulent les guerres et les crises en Côte d’ivoire » ; « Quiconque se met en marge de cette dynamique en pensant à ses intérêts sera broyé »).
4. Ces dérives verbales ont été suivies par des signes d’apaisement, notamment Ia rencontre du 10 avril entre Bédié et Ouattara, empreinte d’une certaine froideur, et divers communiqués qui réaffirment l’intention d’aller vers un parti unifié sans toutefois dépasser pour l’heure les déclarations de principe. Mais les deux partis posent fondamentalement des conditions inverses : le PDCI souhaite fermement une « alternance » interne à la coalition en faisant référence a l’Appel de Daoukro prononcé par Bédié en 2014 (dans lequel il annonçait l’effacement du PDCI devant la candidature de Ouattara, sous réserve de reprécisé en 2020).
Pour sa part, le RDR souhaite d’abord la fusion des partis avant l’investiture d’un candidat pour 2020, et ne fait pas mystère de sa volonté d’oublier des engagements dont il ne reconnait pas la réalité. Au passage, les propos tenus par le RDR illustrent l’inconfort croissant du parti présidentiel devant la critique et les opinions divergentes. Cette rhétorique guerrière parait autant plus gênante qu’elle est entretenue devant de jeunes auditoires.
Or l’histoire récente de la Côte d’Ivoire a montré à quel point les partis politiques peuvent instrumentaliser cette jeunesse, souvent peu éduquée, à des fins violentes. De tels phénomènes avaient été constatés notamment lors des élections législatives de la fin 2016, puisqu’en diverses localités plusieurs candidats furent intimidés par des bandes de jeunes ‘’militants’’ ou ‘’syndicalistes’’ s’apparentant davantage a des délinquants.
5. Cette attitude semble aussi révéler une crainte de plus en plus palpable dans les rangs du RDR celle d’un retour à la « tripolarisation » de la vie politique ivoirienne qui ne serait plus forcément à son avantage (entre RDR, PDCI et un camp Gbagbo qui serait probablement revigoré par cette configuration). Dans ce cas de figure, Bédié retrouverait son rôle de faiseur de roi, cette fois ci peut-être au profit d’un Guillaume Soro qui se verrait bien endosser le costume du rassembleur. Ce denier, désigné par certains comme ‘’grand témoin’’ du pacte d’alternance entre Ouattara et Bédié, conserve une attitude équivoque entre discours critique sur la réconciliation, et soutien de façade au « grand frère « Ouattara.
La gêne autour du parti unifié est telle que l’hypothèse d’un troisième mandat d’Alassane Ouattara (76 ans) est de plus en plus ouvertement envisagée par certains cadres du RDR, voire par le Président lui-même, qui après avoir indiqué en 2015 qu’il prendrait sa retraite, a fait comprendre l’année suivante qu’il n’excluait pas d’être candidat. De manière plus surprenante encore, une éventuelle candidature de Bédié (84 ans) est parfois avancée par quelques voix au sein du PDCI. Ainsi, sous une apparente modernité, se profile peut-être pour 2020 un retour en arrière à la faveur de cette potentielle nouvelle « crise de succession’’.
En marge des élections sénatoriales, le cadre électoral à nouveau contesté
6. Dans ce contexte tendu, le caractère incomplet et régulièrement contesté, des réformes électorats devient également un point de discorde d’autant plus aigu à mesure que l’élection majeure de 2020 approche. L’emblématique réforme de la Commission électorale indépendante (CEI), demandée par un arrêt de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) depuis novembre 2016, reste pour l’instant fermement exclue par l’exécutif qui ne voit dans cette décision judiciaire qu’un simple ‘’avis’’.
Or ignorer cette décision ne porte pas préjudice seulement au bon fonctionnement et à la crédibilité de la démocratie ivoirienne, mais aussi sa prétention d’être un pays respectueux des règles du droit International et qui travaille pour l’intégration africaine. Cette refonte de l’institution chargée des opérations électorats, portée de longue date par la société civile ivoirienne, est désormais évoquée dans les rangs du PDCI, rejoignant sur ce point l’opposition du Front populaire Ivoirien (FPI, ex-parti de Laurent Gbagbo). Récemment, les autorités ivoiriennes ont eu tendance à interdire les manifestations d’hostilité à la CEI, même les plus insignifiantes, telles que mile de l’opposition -pourtant moribonde — en mars, qui a abouti à des arrestations et privations de droits civiques.
7. De même, la préparation et le déroulement des élections sénatoriales, en mars 2018, ont laissé l’impression d’un pouvoir suffisamment fort pour Imposer ses règles et écarter toute contestation, mais trop faible politiquement pour accepter le jeu démocratique. En effet, l’inversion calendrier électoral entre les sénatoriales et les locales a d’abord délégitimé le scrutin, puisque les sénateurs ont été élus par un collège (maires, conseillers et présidents de régions) qui sera renouvelé dans quelques mois, et lui-même élu en 2013 lors d’un scrutin boycotté par l’opposition.
Cela a conduit de manière prévisible à l’élection de 50 sénateurs RHDP pour 66 sièges, les 16 « indépendants » étant pour la plupart issus du PDCI ou du RDR, mais en rupture avec les décisions de leur hiérarchie (le même phénomène avait été déjà constate lors des législatives de décembre 2016). II convient également de rappeler qu’un tiers des sénateurs (soit 33 en plus des 66 élus) doit être nommé directement par le Président Ouattara, après les élections ce qui permet d’ajuster les rapports de force selon un processus discrétionnaire perçu comme peu démocratique. Ainsi, le Sénat, qui devait consacrer l’avènement d’un nouveau lieu de contre-pouvoir législatif, ressemble à un nouvel outil au service de l’exécutif. Signe toutefois d’une volonté de Ouattara de donner quelques gages à Bédié, le Président du Senat a été élu : il s’agit, comme attendu, de l’ancien Premier Ministre de Ouattara, M. Jeannot Ahoussou Kouadio, originaire du PDCI.
8. Par ailleurs, on peut légitimement douter que la révision de la liste électorale, annoncée pour mai prochain, permette de corriger les graves carences qu’elle contient, avec un déficit annoncé en 2015 (et confirmé très récemment par le Président de la Commission électorale) d’au moins 3 millions d’électeurs. Alors même que la CEI annonce qu’une révision sera effectuée en mai 2018, on peut douter du fait que ce différentiel important fasse (‘objet d’une correction crédible dans le peu de temps prévu (une semaine). Il faut rappeler en effet les défis inhérents a tout processus d’identification en Côte d’Ivoire (état civil défaillant, fort taux d’apatridie, faible intérêt pour la démarche dans les zones rurales).
De plus, le Président de la Commission lui-même met en doute la possibilité d’intéresser les Ivoiriens au processus électoral, comme cela fut constaté lors des audiences foraines et procédures de régularisation ces dernières années, ce alors que la base de cette liste électorale remonterait en fait à 2008. Ainsi le risque qu’aucune réforme ne se fasse avant les prochaines élections est important, alors que cela permettrait certainement de calmer partiellement les tensions à l’approche des élections locales de 2018 et surtout des présidentielles de 2020.
Avec ivoiresoir