Les projets ferroviaires africains, bien qu’encore largement destinés au fret, s’intéressent de plus en plus au transport de passagers – même si le TGV marocain restera un cas isolé quelque temps encore.
En matière de transport ferroviaire, l’Afrique a un train de retard. Encore plus quand il s’agit du trafic de passagers. Comme si le rail payait encore son péché originel. « La quasi-totalité des lignes de chemin de fer africaines tirent leurs origines de la période coloniale. Elles ont été construites au début du XXe siècle pour relier les exploitations minières et agricoles aux ports. Leur objectif était de convoyer d’importants volumes de marchandises, pas des personnes », rappelle Jean-Pierre Loubinoux, directeur général de l’Union internationale des chemins de fer (UIC).
Depuis, le continent doit gérer cet héritage qui continue à structurer son développement économique, avec le risque de rester cantonné dans un rôle depuis trop longtemps défini, celui de fournisseur de matières premières pour le reste de la planète. Bien sûr, les volumes de fret, massifs par nature, justifieront encore longtemps les investissements colossaux nécessaires à la construction de nouvelles liaisons.
Disparités de développement des lignes voyageurs
Pourtant, « un changement de tendance est palpable », constate le responsable de l’UIC. La pression démographique et l’urbanisation qui l’accompagne semblent pousser les pouvoirs publics africains à porter une attention plus soutenue que jamais au transport de passagers. En plus de réorienter les priorités commerciales vers l’intérieur des terres plutôt qu’en direction des côtes pour bâtir l’ossature nécessaire à une véritable intégration économique intra-africaine, une diversification des installations ferroviaires existantes et à venir pourrait enfin répondre aux impératifs de mobilité en souffrance de plus d’un milliard d’Africains.
Quatre des cinq principales lignes du continent sont situées au nord du Sahara
Et l’Afrique part de loin par rapport aux autres continents. Avec 51 000 km de voies opérationnelles, le continent dispose de 5 % du réseau international. Mais si ses rails transportent 7 % du fret mondial, cette proportion tombe à 2 % sur l’activité passagers, avec 500 millions d’usagers en moyenne chaque année, selon les estimations communiquées en 2015 par la Banque africaine de développement (BAD).
Une fréquentation très mal répartie sur l’ensemble du continent, puisque les pays d’Afrique du Nord (hors Libye), Égypte et Maroc en tête, absorbent à eux seuls 85 % du marché continental.
Exception marocaine
Quatre des cinq principales lignes du continent sont situées au nord du Sahara – la cinquième étant le Gautrain sud-africain, qui depuis 2012 relie Johannesburg à Pretoria. « Ces zones combinent de fortes densités et une concurrence aérienne peu importante sur les liaisons intérieures », explique un expert de la BAD. Le Maroc dispose ainsi à Rabat du principal nœud ferroviaire du continent en nombre de passagers selon l’UIC, au cœur du triangle Tanger-Fès-Casablanca. Et le royaume chérifien s’apprête à renforcer encore sa position de leader dans ce domaine avec l’arrivée en 2018 de la première ligne à grande vitesse du continent.
Affichant à la fois une viabilité commerciale, une volonté politique et la capacité, grâce à sa stabilité, de mobiliser les investisseurs privés, le pays est « une exception », selon Pascale Grasset, vice-présidente d’Alstom et responsable du développement du groupe pour l’Afrique et le Moyen-Orient. Aucun autre train ne devrait franchir la barrière des 320 km/h atteinte par le TGV marocain avant longtemps sur le continent, mais le constructeur multiplie néanmoins les contrats à travers l’Afrique.
L’équipementier français a ainsi répondu à un appel d’offres lancé par l’Office national des chemins de fer marocains (ONCF) pour des trains régionaux et fournit la Société nationale des transports ferroviaires (SNTF), l’opérateur algérien, qui veut moderniser d’ici à 2018 ses services entre la capitale du pays et d’importants centres urbains comme Oran ou Constantine, ainsi que le Sénégal pour la future ligne entre Dakar et le nouvel aéroport international Blaise-Diagne (50 km).
Chine : accélérateur de particules
En matière de transport de passagers, le plus gros projet ferroviaire du continent est nigérian. Il s’agit de la modernisation accélérée d’un réseau depuis longtemps largement dépassé par la demande, en matière tant de fret que de passagers. Au total, plus de 3 200 km de lignes doivent être réhabilités ou construits en quinze ans, comme la liaison côtière, tracée sur 1 400 km, entre Lagos et Calabar, via Port Harcourt. Le fleuron de ce vaste projet, estimé à plusieurs dizaines de milliards de dollars et confié à la China Civil Engineering Construction Corporation (CCECC), porte sur la construction d’un « TGV » entre Abuja et Lagos, même si lui accoler le qualificatif de « grande vitesse », comme l’a fait Abuja, semble un peu excessif : il devrait rouler à 150 km/h en moyenne. Financé par l’Exim Bank of China, son premier tronçon de 200 km, reliant la capitale à la ville de Kaduna, a été inauguré en juillet 2016.
La Chine est, sur le dossier ferroviaire africain, « un véritable accélérateur de particules », observe Jean-Pierre Loubinoux. Dans la Corne de l’Afrique, l’empire du Milieu vient ainsi de donner une deuxième jeunesse au vieil axe Djibouti - Addis-Abeba, qui va permettre de désenclaver l’Éthiopie. En plus du fret, cette ligne de 760 km doit également assurer un service de passagers dans les prochains mois. Elle constitue le premier segment d’un réseau de 5 000 km devant relier d’ici à 2020 la capitale éthiopienne au Soudan du Sud, au Soudan et au Kenya.
Fret contre voyageur
Les Chinois sont aussi maîtres d’œuvre pour la rénovation prévue sur quatre ans de la liaison Dakar-Bamako. La China Railway Construction Corporation (CRCC) a prévu de reconstruire entièrement la ligne installée en 1923, pour qu’elle soit en mesure de transporter 2 millions de passagers et 6 millions de tonnes de marchandises par an. Toujours en Afrique de l’Ouest, la « Blueline », chère au groupe Bolloré devrait également pouvoir compter sur les capitaux chinois pour voir le jour. Le projet rencontre encore de nombreux obstacles politiques et judiciaires, mais ses 2 700 km sont toujours censés relier – un jour – les ports d’Abidjan, de Cotonou et de Lomé, via les capitales du Burkina Faso et du Niger, les trains de passagers s’intercalant entre les convois de marchandises.
Si en Europe le fret a dû s’effacer, difficile de dire ce qu’il adviendra en Afrique
Un mariage de raison entre deux types d’activités qui ne font pas forcément bon ménage : les systèmes d’exploitation destinés au transport de passagers ont des obligations de ponctualité et de vitesse bien moins élastiques que celles de l’acheminement de marchandises. « Il n’y a qu’à voir l’état du fret en France », persifle un professionnel du secteur. Et si en Europe le fret a dû s’effacer, difficile de dire ce qu’il adviendra en Afrique : arrivera-t‑elle à conjuguer les deux types de transport ou assumera-t‑elle un tout-marchandises ?
Mais l’urgence est peut-être ailleurs pour le continent. La réalisation des différents projets va déjà assurer une standardisation des écartements répondant aux impératifs de sécurité et qui doit permettre, à terme, une interconnexion des lignes pour constituer ce futur réseau transcontinental que le continent attend depuis si longtemps.
SNCF-RATP aux commandes à Dakar
À partir de 2018, c’est le groupement français SNCF-RATP qui assurera l’exploitation et la maintenance, pour une durée minimale de cinq ans, du train express régional (TER) qui reliera la capitale au nouvel aéroport Blaise-Diagne. La France a par ailleurs accordé un financement d’environ 200 millions d’euros pour l’achat de matériels roulants construits par le groupe Alstom
Avec jeuneafrique