Pour Ibrahima Diawadoh N’Jim, la polémique autour de la conseillère presse de l’Elysée relève d’un racisme insidieux encore bien présent en France.
Mercredi 2 août, l’hebdomadaire Le Canard enchaîné a publié un portrait de la Franco-Sénégalaise Sibeth Ndiaye, chargée des relations presse du président Emmanuel Macron, dans lequel lui est attribué ce SMS en réponse à un journaliste qui demandait une confirmation du décès de Simone Veil : « Yes, la meuf est dead » – ce que l’intéressée nie. Face à la polémique qui a suivi, Ibrahima Diawadoh N’Jim, ancien conseiller de l’ex-premier ministre français Manuel Valls, a envoyé cette tribune au Monde Afrique.
Il aura fallu un article pour réveiller, au cœur de la langueur estivale, des passions enfouies qui pourrissent la vie de notre pays et dont nous ne pouvons plus être les spectateurs muets.
Le portrait au vitriol d’Anne-Sophie Mercier en avant-dernière page du Canard enchaîné est un exercice hebdomadaire qui n’offre que peu de chance au sujet de laisser une bonne image de lui-même. En général, sous la plume de la journaliste, il a l’honneur de se voir administrer quelques balafres s’appuyant sur des contradictions de parcours, des incohérences, des propos prêtés ou tenus. Mais il est rare que ce portrait donne lieu à l’ouverture d’une polémique et à un déchaînement de passions. Pour les polémiques et les affaires d’Etat – et l’année 2017 n’en a pas manqué –, tout se joue entre les pages 1 et 3 de l’hebdomadaire satirique.
Que s’est-il donc passé pour que le portrait de Sibeth Ndiaye, en fin de journal, supplante les premières pages ? Faut-il y voir une transposition des béatitudes qui ferait soudainement des derniers les premiers ? Pourquoi donc un SMS supposé deviendrait une infamie à nulle autre pareille fleurant bon le scandale ? Dans un milieu où la brutalité, langagière ou non, est monnaie courante, ce message prêté à la conseillère du président doit-il être décortiqué sous toutes les coutures ?
Un statut infantilisant
Disons les choses clairement : ce qu’on reproche à Sibeth Ndiaye est d’être noire et femme ; ce qu’on lui reproche, aussi, c’est d’avoir réussi.
Toutes les composantes frayant à la frontière entre droite et extrême-droite ont ici trouvé un sujet d’indignation à prix discount, une troisième démarque avant la fin des soldes, une session de rattrapage après une année noire. Après avoir tant combattu Simone Veil, elles peuvent exhiber une preuve que d’autres composantes de la société française ne l’estiment pas. Leur sérénade est connue, elle consiste à illustrer les dangers de l’immigration sous toutes ses formes. Et le cas Ndiaye est commode ; il est employé pour attester que même à l’Elysée, « ces gens-là » sont mal élevés. Ils avaient déjà tenté d’instruire le procès de la conseillère lors de la prise de fonction d’Emmanuel Macron en lui reprochant ses goûts vestimentaires…
Ce qui est plus préoccupant cette fois, c’est que la prétendue affaire Ndiaye a dépassé le cadre nauséabond de la fachosphère et de ses franges pour s’inviter dans le commentaire politiqueet dans la discussion des thèmes d’actualité, réflexe inconscient d’une élite qui ne voit pas que derrière ses ricanements s’exprime un refus de voir des profils atypiques réussir à leur tour. La diversité, la différence, on l’aime bien lorsqu’on doit l’aider, on l’aime bien dans le sport ou la musique, plus vraiment lorsqu’elle est au cœur de la machine du pouvoir.
Oui, Sibeth Ndiaye a, avec d’autres, accompli un authentique exploit en construisant sur quelques mois une organisation qui a porté Emmanuel Macron à la présidence de la République. Mais là où l’on vante les talents et les mérites de ses compagnons d’aventure, Sibeth Ndiaye a un droit à un statut particulier assez infantilisant. Au mieux, elle est la copine sympa avec qui les autres aiment plaisanter. Au pire, elle est brutale et inapte aux fonctions qu’elle exerce.
Passagers clandestins
Le cas de Sibeth Ndiaye est tout sauf anecdotique. Il ressemble au quotidien de milliers de nos concitoyens issus de l’immigration qui accèdent à des responsabilités dans leur univers professionnel et qui, malgré leurs efforts et la réalité de leurs compétences, sont perçus comme des passagers clandestins. Ils en viennent à se demander eux-mêmes si leurs accomplissements professionnels n’ont pas été commis par effraction.
Ces situations abîment le sentiment d’appartenance à notre pays, car le cœur de sa promesse est justement de reconnaître les mérites de chacun. Le racisme insidieux qui empêche la réalisation de cette promesse est aussi dévastateur, sinon plus, que le racisme qui s’assume. Ces situations alimentent la panne de notre modèle d’intégration et le sentiment d’une forme d’hypocrisie de nos institutions. Il ne faut pas chercher beaucoup plus loin les raisons qui conduisent certains jeunes diplômés de nos banlieues à préférer la vie Uber au système professionnel classique.
Dans un tel contexte, que valent la promesse républicaine et les discours pleins de bons sentiments sur la réparation de l’ascenseur social ? Devrons-nous tolérer dans notre vie nationale que tous les Français de fraîche date accédant à des responsabilités soient dépeints comme des caractériels, des brutaux, des incapables, de joyeux drilles promus par l’opération du Saint-Esprit ?
Sibeth Ndiaye ne demande pas de statut particulier. Elle fait son métier. Assez discrètement d’ailleurs, ce qui, à l’ère du tweet, est rare pour un conseiller en communication. Elle le fait avec son style et avec des compétences qui lui ont permis de contribuer à une victoire à l’élection présidentielle. C’est tout ce qui devrait compter.
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