Ancien partenaire de l’allemand Heidelberg au Burkina Faso, le patron de Kanis International se lance dans le ciment. Portrait d’un homme d’affaires habile qui entretient le mystère sur ses activités.
Le patron du groupe Kanis International a tout juste le temps de recevoir des partenaires dans ses bureaux de l’avenue Kwame-Nkrumah, dans le quartier des affaires au cœur de Ouagadougou, en cet après-midi de juin. Dans quelques heures, il s’envole pour Abidjan. Car depuis un certain temps, l’homme d’affaires ne pense plus qu’à son projet de cimenterie dans la capitale ivoirienne.
Pour l’instant, il communique très peu sur le sujet. D’après les informations obtenues par Jeune Afrique, cette future usine de broyage de ciment devrait avoir une capacité annuelle de 4 millions de tonnes et nécessiterait un investissement d’au moins 35 milliards de F CFA (plus de 53 millions d’euros).
Sam Ouédraogo, le dirigeant de Deficom, l’agence qui pilote la stratégie de communication du groupe, affirme : « L’usine, située dans la zone portuaire d’Abidjan, sera la plus grande cimenterie du pays. Son ambition est de surfer sur la forte demande créée par les grands travaux du président Ouattara. » Alors que le marché ivoirien est confronté à une pénurie de ciment, les autorités ont annoncé en mai qu’elles allaient en autoriser l’importation de près de 300 000 t jusqu’à fin juillet. Et qu’elles comptaient favoriser l’installation de nouveaux acteurs dans le secteur.
Voir grand
Poids lourd burkinabè de l’importation et de la distribution de produits de base tels que le riz ou le sucre, Inoussa Kanazoé s’est lancé dans l’industrie il y a trois mois en inaugurant dans la zone de Kossodo (banlieue nord de Ouagadougou)CimFaso, une unité de broyage du clinker (un constituant du ciment) d’une capacité de 1 million de tonnes.
Dans cette nouvelle aventure, le patron et Moussa Kouanda, son allié de toujours (ils sont associés dans Kanis, actif dans le négoce, le commerce et l’importation de riz et de sucre, et dans Eco Oil, spécialisé dans la distribution des hydrocarbures), voient grand. CimFaso n’est que la première filiale de CimMetal Group, qui entend bien se développer au niveau régional. Il faut dire que les deux hommes d’affaires ne découvrent pas ce secteur.
Inoussa Kanazoé et son partenaire détenaient respectivement 20 % et 15 % de CimBurkina, la filiale locale de HeidelbergCement, avant de décider de voler de leurs propres ailes. Leur départ a d’abord provoqué un conflit avec le groupe allemand qui, dans un accord à l’amiable, a finalement accepté de racheter leurs parts. Certains détracteurs de Kanazoé l’accusent d’ailleurs de s’être inspiré du modèle de CimBurkina pour se lancer.
En Côte d’Ivoire, si des concurrents sérieux comme le marocain Addoha, qui détient Ciments de l’Afrique (Cimaf), sont déjà bien implantés et comptent augmenter leur production, Kanazoé se dit confiant et convaincu qu’il y a assez de place pour une autre cimenterie.
Nouvelle page
Une fois lancée, cette dernière ouvrira une nouvelle page dans l’histoire du négociant, parti de rien ou presque. Contrairement à ce que peut laisser penser son nom de famille, Inoussa n’a aucun lien avec Oumarou Kanazoé, le fondateur emblématique du groupe de construction OK et de sa myriade de sociétés, décédé en 2011. Inoussa, lui, a fait ses armes dans l’importation de produits de première nécessité (riz, sucre, ciment), une activité qu’il a démarrée il y a une trentaine d’années. « Il a même vendu de la friperie à ses débuts. Ce qu’Inoussa a fait est incroyable », s’enthousiasme Sam Ouédraogo.
Insatiable, le patron est accusé par ses détracteurs de vouloir écraser la concurrence à tout prix. Quitte à « perdre de l’argent ».
Kanis International est aujourd’hui présent au Togo et en Côte d’Ivoire. Et mène des transactions au Sénégal. Pourtant, le groupe a vu son chiffre d’affaires dégringoler au Burkina Faso de 39,1 milliards à 15,1 milliards de F CFA entre 2011 et 2014. La société impute cette forte baisse aux pillages de ses entrepôts de vivres lors de l’insurrection populaire d’octobre 2014, qui a abouti à la chute du président Blaise Compaoré.
Ascension
Pour ses proches, cette nouvelle casquette d’industriel signe une belle ascension. Membre du Cercle des jeunes chefs d’entreprise burkinabè, dirigé par Mahamadi Sawadogo, dit Kadhafi, le PDG de Petrofa, Inoussa suscite l’admiration.
« C’est un grand stratège qui connaît parfaitement les arcanes des affaires », résume son conseiller en communication. Apprécié dans son pays, il a de l’entregent. « Opérateur économique dynamique, il est réputé bon négociant. C’est quelqu’un de très futé et de dur en affaires », décrypte le banquier Idrissa Nassa, dont le groupe Coris Bank a participé au financement de CimFaso. Conscient de ses limites, Inoussa Kanazoé l’autodidacte s’est entouré de cadres compétents qui pilotent ses sociétés et l’aident à atteindre ses objectifs. Un exemple : Inoussa Kaboré, un chimiste chef de laboratoire débauché chez SN-Sosuco (Nouvelle Société sucrière de la Comoé) pour diriger CimFaso, figure désormais parmi ses hommes de confiance.
Insatiable, le patron est accusé par ses détracteurs de vouloir écraser la concurrence à tout prix. Pour y parvenir, il serait même prêt à « perdre de l’argent », selon une source bien introduite dans les milieux d’affaires burkinabè.
Discrétion
Mais des zones d’ombre entourent le succès de ce négociant fortuné, qui fuit la presse comme la peste et évite les apparitions en public – il a repoussé toutes les demandes de Jeune Afrique. « La discrétion, c’est sa marque », confie un collaborateur. Inoussa Kanazoé, qui entretient le mystère autour de ses activités, « est aussi discret qu’effacé », commente un journaliste burkinabè qui le fréquente. Cette timidité contraste avec son succès. Selon certaines indiscrétions, l’origine de cette réussite fulgurante est à chercher du côté du Nord ivoirien, où il aurait été le principal fournisseur des rebelles en produits de grande consommation. Une énigme qui n’est pas près de se résoudre tant son mutisme demeure imperturbable.