Florence de Bigault, qui dirige le département Africap consacré aux consommateurs et aux marchés africains chez Ipsos France, livre àCommodAfrica les grands enseignements de l’enquête mené pour CFAO mi-octobre sur “Les classes moyennes en Afrique, quelle réalité, quels enjeux?”. Une classe moyenne que CFAO estime atteindre 224 millions d’individus d’ici 2040 contre 78 millions en 2010.
L’étude a été réalisée par l’institut français de sondage Ipsos et le cabinet de conseil Bearing Point. Ils se sont penchés sur les habitudes de consommation dans 4 000 foyers africains répartis dans cinq pays moteurs du continent –Maroc, Cameroun, Côte d’Ivoire, Nigeria et Kenya. Parallèlement, des enquêtes sociologiques ont été conduites auprès de 50 ménages.
Analyse de l’experte d’e l’institut de sondage français sur l’essor de ce nouveau marché.
Quels enseignements tirer de l’enquête pour CFAO quant aux goûts alimentaires de la classe moyenne africaine ?
Chez Ipsos, la classe moyenne africaine recouvre des ménages disposant de revenus mensuels $ 400 à $ 1200 par mois ; elle représente environ 15% à 16% des Africains aujourd’hui. Il y a donc, plusieurs strates au l’intérieur même de cette classes moyenne : entre des “low class” et des “upper middle class”.
Avec ce niveau de revenu, en Afrique, vous pouvez commencer à vous projeter ans l’avenir. Vous sortez d’une consommation au jour le jour, vous commencez à avoir des projets pour vous et votre famille, à aspirer à un certain niveau de confort. Vous vous comportez comme d’autres classes moyennes des pays émergents ; vous commencez à épargner, à avoir des postes de dépenses plus variés ; vous ne consacrez que 25 à 30% de vos ressources à vous nourrir et non plus 50% car vous avez, par ailleurs, des postes logement, transport, électricité ; vous consacrez de l’argent à vos enfants car vous les mettez dans des écoles privées pour qu’ils réussissent, etc.
Cette clase moyenne ne se trouve pas que dans les grandes villes, même si on associe sa montée en puissance à l’urbanisation. Elle se retrouve aussi dans les villes secondaires, peut être pas dans des campagnes mais dans des faubourgs, des petites bourgades en monde rural.
Que consomme cette classe moyenne?
Elle a une consommation très hybride. Elle garde du village des comportements de consommation de base, assez traditionnelle : elle va continuer à acheter des céréales non précuites, à acheter en commun avec ses frères, sœurs ou voisins du poisson ou de la viande, à acheter des produits de base qu’elle va continuer à cuisiner. Elle aura des relais avec le village pour s’approvisionner. Elle continue à préparer des plats traditionnels, des plats ethniques, pour essayer de maintenir à l’égard de ses enfants une certaine identité qui passe par la nourriture. On réserve ces plats pour le week-end et les fêtes, par exemple.
Parallèlement, cette classe moyenne s’intéresse de plus en plus à ce qu’elle trouve dans les supermarchés : des laitages, du fromage, des pâtés, des conserves, des pates, tous les produits du petit déjeuner. Elle les achète avec parcimonie car la classe moyenne africaine est économe. Donc elle va essayer de faire rentrer progressivement certains éléments dans son quotidien, comme le lait ou les céréales pour les enfants. Elle va s’intéresser à ces produits qui viennent de l’étranger, qui paraissent bon à la santé mais qui sont aussi des produits plaisirs, de gourmandise, statutaires. Ce sont des produits garants d’innovation mais aussi de qualité pour les classes moyennes africaines.
La classe moyenne témoigne d’un grand intérêt pour les marques agroalimentaires étrangères mais aussi pour les marques locales, nationales que ce soit pour les céréales précuites, la biscuiterie, le lait, les jus. Ces marques paraissent plus à même d’appréhender les goûts locaux dans les saveurs, les textures que des produits internationaux ; les produits paraissent plus frais. Ils sont aussi perçus comme créateurs d’emplois. Evidemment, cette classe moyenne s’ouvre le plus possible aux produits internationaux car ils semblent plus innovants, meilleur et de qualité mais il existe une certaine méfiance car ils sont souvent chers. Mais ils rentrent progressivement dans les foyers et ils s’installent dans les habitudes.
Le facteur santé est-il important?
Oui. Sans doute autant qu’en Europe, la nourriture est très étroitement associée à la santé. Mais les arbitrages se font malheureusement souvent au détriment des dépenses de santé dans ces ménages africains, faute de revenus suffisants. On s’achète un téléviseur, des meubles, un véhicule au détriment des dépenses pour la santé. Un des grands enseignements de l’étude est qu’en Afrique, on se dit : si je mange bien, si je vis bien avec de bonnes conditions sanitaires, quelque part je soigne déjà ma santé.
Le conditionnement est important ?
Oui, bien sur. Sur les classes moyennes, on est moins sur des petits conditionnements que pour les catégories populaires. Mais on est tout de même sur un concept : le packaging doit raconter une histoire de qualité, de beauté, d’élégance, de plaisir, de convivialité, mais je regarde la composition du produit manufacturé. Il doit aussi rassurer. J’ai vu des femmes de classe moyenne dans des supermarchés prendre un produit alimentaire et regarder sur leur smartphone ce que signifiait un élément de la composition indiquée sur le paquet.
Y a -t-il de grandes différences au sein de cette classe moyenne?
En Afrique, vous avez des gens qui viennent d’accéder aux classe moyennes, qui ont une histoire passée avec la pauvreté et cela s’observe aussi dans leur façon de manger: ils oscilleront entre le fait de continuer à manger à la main, à la cuillère ou à la fourchette. Et vous avez des classes moyennes dont les parents étaient eux-mêmes de la classes moyenne et qui sont déjà très largement coupés des classes populaires.
Ce qui différencie aujourd’hui la classe moyenne des classes pauvres passe aussi par la table. Pouvoir manger et faire manger sa famille trois fois par jour. Donc vous structurez mieux le petit déjeuner. A midi, c’est une prise de repas de plus en plus individualisée et à l’extérieur du foyer, et le soir on investit dans la convivialité familiale avec ses tensions, les jeunes ou le mari qui veulent regarder la télé. Mais ça résiste et on échange autour d’un bon plat qui n’est plus fait seulement d’un ragout traditionnel mais, sur la table, il peut y avoir davantage de produits manufacturés.
Au petit déjeuner, si dans les familles pauvres on mange les restes du repas de la veille, dans les classes moyennes, le petit déjeuner a sa logique propre et ses ingrédients : des Cornflakes, des laitages, des fruits, des jus. On voit arriver de la margarine. En Afrique de l’Ouest, il n’y a pas que des baguettes de pain ; on commence à l’environner. Le petit déjeuner commence à prendre sa logique.
Que représente l’alimentaire dans le budget familial ?
Dans l’étude que nous avons mené, l’alimentaire représente 25% des dépenses. Ce qui en fait une classe moyenne qui ressemble aux classes moyennes émergentes en Inde par exemple. Cela demeure le premier poste d’achat devant le logement qui représente 18%, le transport 13%, l’éducation 12%. et 15%pour l’épargne. Donc le nombre de postes s’élargit.
On constate aussi le développement de la restauration hors foyer. C’est vraiment important. Les parents et les enfants mangent de plus en plus dehors à midi du fait des grandes villes et du cout des déplacements. Il y a toute une stratégie pour ceux qui restent à la maison entre midi et 14H. Des personnes fragiles qu’on héberge, des enfants plus jeunes qui rentrent de l’école à proximité de la maison. Donc on cuisine le soir des plats pour eux et aussi pour des gens qu’on aide, soit des proches qui n’habitent pas très loin, soit des voisins qui sont en difficultés financières. On apporte aussi des plats au temple, à l’église.
En parallèle, de l’argent va être donné aux jeunes qui mangent à l’extérieur car ils ont un emploi, une école ou université à l’autre bout de la ville. C’est pareil pour madame qui travaille de plus en plus. Pour monsieur aussi. Donc les gens achètent chez un traiteur et mangent au bureau ou ils vont dans de petits restaurants. C’est un budget aussi à prévoir dans les dépenses quotidiennes en plus du téléphone et du transport collectif.
Il y a de plus en plus l’attrait pour sortir le week-end et aller manger soit dans des food court des centres commerciaux, ou dans des restaurants populaires. Sortir devient un élément de plus en plus important des classes moyennes le week-end avec une forte pression de la part des jeunes pour manger une « world food » qui s’apparente à de la junk food . Chaque pays a ses “success stories” avec la création de chaînes librement inspirées de KFC, de McDo ou de Pizza Hut.
La bière, le vin, les boissons gazeuses?
La bière énormément. Lorsqu’on est une classe moyenne, on a une maison et on aspire à en être propriétaire et à y installer un confort. On a une cuisine à soi avec un frigidaire, voire un congélateur. On peut stocker des bières et boire frais à la maison Ce qui ne veut pas dire qu’on n’ira pas dans le quartier faire mijoter un plat traditionnel ou de fête. Mais globalement, on ferme sa porte -même si elle n’est pas verrouillée. Donc la bière, oui, comme les jus et boissons gazeuses.
Lorsque cette classe moyenne retourne au village, emporte-t-elle de la nourriture ?
Au village, elle va surtout troquer gentiment des produits manufacturés, comme du Nutella, du pâté ou autre, contre des produits locaux. C’est une question d’économie mais aussi de madeleine de Proust ! Car, avec cet accès au confort, cette classe moyenne a aussi le sentiment que la vie la déstructure. Elle est en quête de racines, de son ethnie, du village, de la famille, et le maintien de la culture passe aussi par la nourriture.
Vous, Ipsos, travaillez sur l’Afrique depuis combien de temps?
Ipsos vient de fêter ses 40 ans et cela fait 20 ans que nous sommes présents sur l’Afrique. En fait, nous avons suivi le développement de nos clients. Aujourd’hui, nous sommes dans 89 pays dont 19 en Afrique. Nous sommes 3ème mondial des études avec un chiffre d’affaires de € 1,6 milliard.
Combien coûte une étude ?
C’est très variable, de € 15 000 à € 300 000. Cela dépend de la précision de l’échantillon, des cibles à interroger, du volume et de la profondeur des thèmes et des questions à aborder. Chaque étude menée est différente.
avec commodafrica