La Quatrième révolution industrielle pourrait complètement transformer les soins de santé.
Du Big data à la génomique, la fusion des avancées technologiques dans les domaines de la physique, du numérique et de la biologie modifie les outils et les techniques les plus simples de la médecine et de la santé publique. Déjà, le projet Watson d’IBM combine des quantités sans précédent de données cliniques et sociales pour transformer les tests de médicaments et les systèmes de gestion des maladies. Le séquençage de l’ADN fait maintenant partie intégrante des soins médicaux dans les pays du monde entier.
En tant que médecin, je vois un dénominateur commun aux changements à venir : une approche de plus en plus centrée sur le patient pour les soins de santé. Une meilleure information et une technologie plus personnalisable entrainent l’utilisation d’outils et de méthodes plus personnalisés pour promouvoir le bien-être.
Pourtant, certains systèmes de santé de pays développés, axés sur les paradigmes de soins du XXe siècle, pourraient avoir des difficultés à s’adapter au monde des soins « verticaux ». C’est en Afrique, où les systèmes de santé sont en train de se développer rapidement, que la quatrième révolution industrielle dans le secteur de la santé peut prendre le plus d’ampleur.
Malgré toutes les ressources et les avantages technologiques du monde riche, de nombreux systèmes de soins de santé en Europe et en Amérique du Nord sont embourbés dans leurs anciennes conceptions des choses : priorité aux soins secondaires et tertiaires coûteux, accent mis sur le traitement plutôt que sur la prévention, et mise en place de règles et de processus qui empêchent de tirer pleinement parti des nouvelles technologies de l’information omniprésentes, comme le smartphone qui se retrouve dans pratiquement toutes les poches. Tout cela est compréhensible. Les pays fortement industrialisés ont leurs façons de faire depuis longtemps dans le secteur de la santé. Les systèmes historiques sont difficiles à transformer.
Les pays africains ont l’occasion d’être les pionniers du paradigme des soins du 21e siècle. Déjà, les pays de ce continent sont fortement axés sur les soins préventifs ; prenez par exemple l’administration massive de médicaments contre les maladies parasitaires, la chimioprophylaxie du paludisme ou les médicaments antirétroviraux prophylactiques pour prévenir l’infection par le VIH. L’Afrique utilise déjà la technologie pour gérer certaines contraintes en matière de ressources humaines, comme les services de communication pour les médecins qui aident à distance les sages-femmes, par exemple. Et, à travers le continent, les services de téléphonie mobile, comme SMS For Life, ont transformé les chaînes d’approvisionnement en médicaments contre le paludisme et d’autres soins, réduisant considérablement les ruptures de stock.
Ces transformations sont nécessaires. Avec l’évolution des économies et l’urbanisation, les maladies non transmissibles (MNT) présentent de nouveaux défis pour les systèmes de santé émergents en Afrique. En Afrique du Sud, par exemple, les maladies non transmissibles comme le diabète et les maladies cardiaques sont responsables d’au moins 40 % des décès et, sur l’ensemble du continent, ces maladies devraient devenir la principale cause de mortalité dans une dizaine d’années.
Nous pensons que la voie de la réussite face au « double fardeau » de l’Afrique (maladies non transmissibles et maladies infectieuses) passera par le développement et l’adoption de systèmes médicaux bon marché et de qualité qui encouragent les gens à gérer leur propre santé. Les technologies mobiles et les nouvelles percées dans les soins personnalisés peuvent rendre tout cela possible.
Des transformations sont déjà en cours dans des pays comme le Ghana, où le programme ComHIP vise à faire en sorte que les patients souffrant d’hypertension aient accès aux soins de santé auprès de la communauté et non plus auprès de l’hôpital régional (souvent bondé et éloigné). Partout sur le continent, les appareils mobiles et la télémédecine sont utilisés pour soutenir les infirmières communautaires dans la prise de décision et assurer en fonction des besoins une liaison transparente avec les travailleurs de la santé et les médecins. Les SMS et les messages vocaux sont utilisés pour éduquer les patients afin de réduire les facteurs de risque de maladies cardiovasculaires et favoriser la prise du traitement. Le Rwanda est récemment devenu le premier pays au monde à intégrer à son système de santé des drones, qui délivrent du sang pour des transfusions. La Tanzanie a adopté un modèle similaire.
Toutes les solutions intelligentes ne relèvent pas de la haute technologie : Kigali, la capitale du Rwanda, a, par exemple, instauré une journée sans voiture tous les mois pour promouvoir la prévention et le bien-être à travers la marche et le vélo. C’est quelque chose que peu de villes européennes ou américaines ont pu mettre en place.
Bien sûr, le double fardeau va bien au-delà de l’Afrique. Les pays asiatiques et sud-américains sont aux prises avec le vieillissement de leur population et les défis persistants liés aux maladies infectieuses. Ils suivent aussi des programmes pionniers qui peuvent servir de modèles pour l’Afrique et le reste du monde.
Seul un tiers des citoyens indiens a accès à des soins de santé modernes et environ les deux tiers du pays vivent dans des zones rurales. Dans ce contexte, Novartis a créé un programme appelé Arogya Parivar (« famille en bonne santé » en hindi) pour recruter et former des habitants dans des villages reculés afin de devenir des « éducateurs sanitaires ». Ces personnes aident à informer les communautés sur la santé, la prévention des maladies et l’importance de la recherche d’un traitement en temps opportun. Les équipes locales travaillent avec les médecins pour organiser des camps de santé dans les villages reculés, des cliniques mobiles qui offrent un accès au dépistage, au diagnostic et aux thérapies. Le programme gère actuellement un projet de cybersanté pour relier les villageois aux médecins des établissements de soins de santé principaux, ce qui permettra de rapprocher les services de santé de qualité des communautés éloignées.
Arogya Parivar a eu tellement de succès que nous avons depuis reproduit le programme au Kenya et au Vietnam. Depuis 2010, la sensibilisation dans les zones rurales grâce à ces programmes a permis d’enseigner ce qu’est la santé à plus de 30 millions de personnes et a bénéficié à la santé à 3 millions de patients grâce aux diagnostics et aux traitements. Ces innovations systémiques seront renforcées par l’émergence de nouvelles technologies sanitaires transversales.
C’est une bonne nouvelle que de nombreux gouvernements africains visent à établir une couverture sanitaire universelle basée sur un système de soins primaires efficace, équitable et innovant. Alors que les systèmes de soins de santé en Europe et en Amérique du Nord font face à une demande extraordinaire de la part de populations vieillissant rapidement, nous pourrions voir l’adoption d’innovations pionnières en Afrique et dans d’autres parties du monde en développement. À l’ère émergente des soins « verticaux » personnalisés, les pays en développement ont une grande opportunité de prendre la tête du mouvement.
Patrice Matchaba, Docteur en médecine, est responsable mondial de la responsabilité d’entreprise pour Novartis.