Au Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa a contraint à la retraite l’indéboulonnable Robert Mugabe, le désormais ex-doyen des chefs d’Etat du monde après un feuilleton politique qui a tenu toute l’Afrique en haleine. Le «Crocodile» préfère parler de «transition assistée», mais les ressorts qui l’ont propulsé sur le fauteuil du Palais National d’Harare ont tout d’un coup d’Etat. «La Tribune Afrique» retrace en 10 mini-portraits le destin de certains hommes qui se sont emparés du pouvoir, loin des urnes, par la force ou… la ruse.
Avec l’aide de l’armée d’abord, de la rue ensuite et du Parlement à la fin, Emmerson Mnangagwa s’est défait des griffes de l’ambitieuse Grace et poussé Robert Mugabe à la démission. Plus qu’une «transition assistée» comme le prétend le nouveau «maître d’Harare», l’homme qui a régné sur le Zimbabwe depuis 1987 a été chassé par ce qui ressemble presque en tout point à un coup d’Etat. Pour autant, Emmerson Mnangagwa sera-t-il classé sur la longue des putschistes du Continent ? Les historiens finiront par trancher la question. En attendant, voici quelques noms d’hommes qui se sont hissés au sommet du pouvoir par la force des armes ou par la ruse.
Valentin Melvin Strasser, le plus jeune président au monde
26 ans et président de la Sierra Leone ! Bien avant la surprenante arrivée de jeunes au pouvoir en Occident, Valentin Melvin Strasser vient de réaliser un exploit en ce début des années 1990, en rupture totale avec la vague de démocratisation des régimes post-indépendance.
Pourtant, l’arrivée au pouvoir en avril 1992 de ce capitaine de l’armée relève presque du hasard. Commandant de la zone du Sud-est à la frontière avec le Liberia, Valentin Strasser contribue à mater, pour le compte du général-président Joseph Saidu Momoh, le Front révolutionnaire uni (FRU) du caporal Foday Sankah et la rébellion du Libérien Charles Taylor qui veut faire de la Sierra Leone, sa base arrière.
Remonté à Freetown pour plaider auprès du chef suprême, le renforcement de l’armement et le paiement d’arriérés de primes, Valentin Strasser profite du débordement du mouvement de protestation devant le palais pour évincer le président Joseph Momoh, exilé en Guinée. Le pouvoir est remplacé par un Conseil provisoire national de gouvernement de 13 militaires et 6 civils qui opère avec cruauté, prétextant de tentatives de coups d’Etat pour éliminer tous les opposants au nouveau régime. Quatre ans après son arrivée au pouvoir, Valentin Strasser sera lui aussi exilé en Angleterre après un coup d’Etat mené par son vice-président. A 50 ans, le plus jeune président au monde a été dernièrement repéré au Sénégal où il errerait sans argent dans les rues de Touba.
Yahya Jammeh, la témérité de la jeunesse à l’assaut du State House
Tout comme sa chute retentissante en 2017, c’est un coup d’éclat qui vaut à Yahya Jammeh, l’ex-président gambien, son mythe. En juillet 1994, à 29 ans seulement, l’officier né à Kanilai dans le sud de la Gambie, devenu lieutenant, entre dans la légende en menant un coup d’Etat sans effusion de sang à la tête d’un commando de… quatre hommes !
Nous sommes dans une fraîche matinée d’été sur les bords de la River que surplombe le palais situé à deux cent mètres de la côte. Venus à bord de pirogues dans le calme de l’aube, Jammeh et ses hommes neutralisent le palais présidentiel, capturent le président Alahadji Dawda Jawara et lui proposent de rester en Gambie s’il abandonne la politique. Le président de la Gambie refuse et embarque le soir même vers l’exil à Dakar.
La junte arrivée au pouvoir se transforme vite en un parti-Etat. Le lieutenant Jammeh troque alors son treillis militaire pour habiller sa silhouette longiligne de son sempiternel boubou blanc, sa cane, son chapelet et son exemplaire du Coran. Entre coups d’Etat manqués, il gouverne à la dure, réprimant ses opposants, snobant la communauté internationale. Après 22 ans de pouvoir et une crise post-électorale à rebondissements, Jammeh négocie son exfiltration de la Gambie. Il vit aujourd’hui en Guinée équatoriale.
Ben Ali, l’inventeur du coup d’Etat au « certificat médical »
C’est un soldat formé à l’artillerie et à l’intelligence militaire. Pourtant, pour son arrivée au pouvoir, aucun coup de fusil n’a été tiré. Zine Abedine Ben Ali a choisi d’autres armes pour déposer le président qui l’avait nommé, un mois et quatre jours plus tôt, au poste de Premier ministre de la Tunisie. Son arme de conquête : le certificat médical !
Président de la Tunisie depuis son indépendance, Habib Bourguiba, surnommé le «Combattant suprême», a le cœur fragile. Ce héros de l’indépendance, cinquantenaire à son accession à la présidence, a une santé déclinante à la fin de son règne de 30 ans, basé sur un parti-Etat et un culte de la personnalité. C’est au sein de ce parti que l’officier d’artillerie Zine El-Abedine Ben Ali gravit les échelons. Après une carrière qui alterne la diplomatie, l’armée et les services sécuritaires, il devient patron de la Sûreté nationale, tremplin vers le ministère de l’Intérieur, puis la Primature.
Une dernière nomination que tout le monde interprète comme un dauphinat pour régler la succession de Habib Bourguiba. Mais le Premier ministre est pressé. A la tête d’une équipe de cinq médecins civils et deux militaires, il se rend à Monastir -où se retire le Bourguiba- pour établir un rapport établissant l’incapacité d’un président malade à diriger le pays. Le 7 novembre 1987, Habib Bourguiba est déposé pour «sénilité» et placé en résidence surveillée. Le Premier ministre devient président et dirige la Tunisie pendant 23 ans, avant d’être chassé par la «Révolution du Jasmin». Il vit en exil en Arabie Saoudite.
Faure Gnassingbé, perpétuation de l’héritage putschiste du père
De père en fils, les Gnassingbé se sont inscrits au club des putschs du Continent. En 1963, Étienne Eyadéma Gnassingbé le père a aidé Nicolas Grunitzky à s’emparer du pouvoir en déposant son beau-frère Sylvanus Olympio, assassiné dans de troubles circonstances : le premier coup d’Etat d’Afrique. Quatre ans plus tard, Gnassingbé Père renverse l’homme qu’il avait soutenu et prend le pouvoir.
Lorsque ce dernier, qui prévoyait de «nommer» son fils président, décède brutalement début 2005 après plus de 37 ans au pouvoir, la situation est inédite. Fambaré Ouattara Natchaba, président de l’Assemblée nationale qui doit succéder au président en cas de décès se précipite pour venir assurer la transition intérimaire de 60 jours. De retour d’une visite européenne, Natchaba est bloqué au Bénin où son avion est dérouté, les militaires ayant verrouillé les frontières du pays.
En toute hâte, les députés votent la destitution de leur président et nomment le député Faure Gnassingbé au perchoir. Un poste qu’il quittera sous la pression des institutions continentales et de la communauté internationale qui dénonce un coup d’Etat. El-Hadj Abbas Bonfoh, alors vice-président de l’Assemblée nationale, prend sa place à l’Hémicycle. Il assure l’intérim à la présidence du pays pendant un mois et organise des élections que Faure Gnassingbé remporte sous les protestations. Il est toujours au pouvoir, mais sous pression de la rue qui réclame son départ.
Laurent Désiré Kabila, «tombeur de Mobutu» par acclamation
Une prise de pouvoir au terme de ce que l’on appelle la «Première Guerre du Congo». En version courte, c’est la surprenante ascension d’un porte-parole d’une coalition de rebelles, devenu président de l’ex-Zaïre sur lequel régnait Mobutu Sese Seko. Au début des années 1990, après trente années de pouvoir, le système Mobutu s’essouffle, au bord même de l’implosion. Opposant au régime contre lequel il se rebelle, Laurent Désiré Kabila sent l’opportunité venir.
A la tête d’un groupe de maquisards, il s’illustre plus par des coups d’éclat que par le leadership d’un mouvement révolutionnaire et se prélasse même dans les résidences des présidents alentour. En 1996, il est aidé par des forces armées du Rwanda, d’Ouganda, du Burundi et de l’Angola pour s’emparer du pouvoir de Mobutu, en chute dans l’estime des pays de la sous-région. En 1996, avec des contrebandiers, Laurent Désiré Kabila crée l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL) dont il est le porte-parole.
Avec le soutien des voisins-ennemis de Mobutu, la coalition rebelle entame sa marche sur Kinshasa, la capitale. La progression des troupes est fulgurante avec le grossissement des rangs de l’«armée de libération» par des enfants-soldats et des déserteurs. Au terme d’une guerre ethno-politique de six mois (novembre 1996 à mai 1997), émaillée de massacres particulièrement sanglants, les rebelles font leur entrée dans la capitale. Mobutu s’enfuit après avoir tenté jusqu’à la dernière minute de négocier un partage du pouvoir. Laurent Désiré Kabila est acclamé comme président et hérite du titre de «tombeur de Mobutu». Il porte aussi le titre de «Mzee» ( le«Sage»). Il meurt tué par un enfant soldat. Son fils, Joseph Kabila, règne sur la RDC depuis la mort de son père, il y a plus de 16 ans.
Avec latribuneafrique