Un geste déplacé du président turc, en visite officielle à Tunis, a provoqué un tollé sur les plateaux des médias et les réseaux sociaux. Le recadrage raffiné du président tunisien n’a pas tardé, sous les yeux de son invité.
La diplomatie tunisienne a la pêche ces jours-ci. Trois jours seulement après avoir suspendu les vols d’Emirates, qui avait interdit aux femmes tunisiennes d’emprunter ses avions, c’est désormais les Turcs qu’elle met au pas.
Accueilli mercredi 27 décembre à Carthage par le Chef de l’État tunisien Beji Caïd Essebsi (BCE), le président turc Recep Tayyip Erdogan pose tout sourire devant les photographes. À quelques pas de la porte d’entrée du Palais présidentiel, il exécute, à l’insu de BCE, le signe de ralliement des Frères musulmans (le signe de Rabia), en tendant quatre doigts de la main droite tout en pliant le pouce.
Au tour du président tunisien, 92 ans, de répliquer quelques instants plus tard, lors d’une conférence de presse conjointe. Alerté par ses conseillers sur le geste de son invité, Caïd-Essebsi commence par invoquer une question qui lui aurait été posée par un membre de la délégation turque au sujet des drapeaux tunisien et turc, qui se ressemblent comme Lettonie et Lituanie.
«Alors, je le dis pour que ce soit clair pour tout le monde: ici en Tunisie, nous avons un seul drapeau! Pas deux, ni trois, ni quatre»,
a-t-il assené devant un Erdogan au sourire un peu crispé, qui avait levé quatre doigts quelques instants plus tôt.
Message reçu, donc, pour celui qui, depuis la montée en puissance de «l’organisation parallèle» de son ex-ami Fethullah Gülen —qu’il accusera en juillet 2016 d’avoir fomenté la tentative de coup d’État-, s’est approprié ce geste en en faisant (aussi) un des symboles de son régime, proche des Frères musulmans.
i les motivations de ce geste restent floues, Tunis met un point d’honneur à rappeler en pareilles circonstances les fondements traditionnels de sa politique étrangère, mis à mal sous la transition (2012-2014): pas d’ingérence dans les problèmes des autres États ni d’importation de ces conflits chez soi.
«C’est dans ce sens qu’il convient de lire la pique du président tunisien», a mis en relief une source proche de la présidence, dans une déclaration à Sputnik.
Entre la crise par cieux interposés qui s’est déclenchée avec les Émirats et cet accrochage feutré, les internautes tunisiens n’ont pas eu le temps de souffler.
Pour la compagnie Emirates comme dans le cas Erdogan, les réactions ont également été alimentées par des manipulations politiciennes, selon les antagonismes idéologiques clivant les Emirats et la Turquie au sujet de l’islamisme et des révolutions, et leur projection sur la scène politique tunisienne.
Si les islamistes (et quelques OVNIS comme le parti de l’ancien président Marzouki) ont pris un malin plaisir à alimenter une indignation spontanée contre la compagnie Emirates, ils font, depuis mercredi soir, profil bas. Au tour de leurs opposants de rivaliser en surenchère, en demandant au pouvoir des positions fermes suite au geste exécuté par Erdogan, essayant là encore, d’attiser un feu qui s’est embrasé spontanément.
Le recadrage officiel, lui, se veut invariable et autrement motivé, face à deux crises déclenchées par deux rivaux. C’est ainsi qu’aux Émiratis on opposera «la dignité des Tunisiennes», et devant le geste d’Erdogan, ce sera le refus d’importer une crise qui ne concerne pas la Tunisie.
À mettre toutefois au crédit de la finesse diplomatique d’Erdogan, le fait qu’il ait renoncé, en le laissant sur le tarmac, à emprunter son A340-400, l’ancien avion VIP de Ben Ali acquis en décembre dernier. C’est à bord d’un A330-200 que le couple Erdogan a fait sa mini-tournée africaine qui l’a mené, successivement, au Soudan, au Tchad et en Tunisie. Au Soudan, première destination du long courrier gros porteur A330-200, Erdogan a également arboré le signe de Rabia. La thèse des doigts en mode pilotage automatique se vérifie.