Alors que la présidentielle doit se dérouler en octobre 2018, le nom du natif du Nord-Ouest revient avec insistance dans la liste des candidats potentiels. Mais cet exilé peine à convaincre.
On ignore encore si la crise anglophone sera le juge de paix de la présidentielle camerounaise en 2018. Et si, par un effet de contagion que beaucoup redoutent à Yaoundé, la partie francophone du pays sera touchée.
Mais les prétendants l’ont bien compris : impossible de ne pas prendre position à l’égard du malaise qui affecte les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Christopher Fomunyoh ne déroge pas à la règle. Le directeur pour l’Afrique du National Democratic Institute (NDI), un think tank américain proche du Parti Démocrate, a répété à plusieurs reprises qu’il considérait la situation comme une « crise nationale ». Partisan d’un dialogue incluant la diaspora, il a participé à la mobilisation pour la libération des leaders de la contestation anglophone, contre lesquels les poursuites ont finalement été abandonnées le 30 août (encadré).
La résolution de la crise passe obligatoirement par l’avènement d’un anglophone à la présidence », remarque un ancien du Social Democratic Front
Christopher Fomunyoh, anglophone maîtrisant parfaitement le français, cherche-t-il à utiliser ce malaise comme tremplin ? « Il est en tout cas le seul candidat parlant anglais quasiment déclaré pour le moment, remarque Abel Elimbi Lobe, un ancien du Social Democratic Front (SDF). Or la résolution de la crise passe obligatoirement par l’avènement d’un anglophone à la présidence. »
Fils d’un planteur de café, né voici soixante et un ans à Guzang, dans le département de Momo (Nord-Ouest), Fomunyoh a grandi dans l’ancien Southern Cameroons (la zone actuellement sous tension) au sein d’une famille polygame qui possédait une modeste exploitation. À la fin des années 1960, pour subvenir aux besoins de ses proches, son père est contraint de s’exiler en territoire francophone et fait la navette au Nigeria afin d’y commercer. La famille, restée sur place, survit tant bien que mal.
Prudent
Aîné d’une fratrie de quinze enfants, Christopher participe aux travaux des champs en marge de sa scolarité tout en s’occupant de ses frères et sœurs le week-end. « Notre père mettait un point d’honneur à ce que nous allions à l’école, ce que lui-même n’avait pu faire », précise le cadre du NDI.
Un ancien camarade de l’université de Yaoundé décrit « Chris » comme « un travailleur et un leader ». Il y étudie le droit et fréquente nombre de jeunes Camerounais ambitieux, comme Maurice Kamto. En 1979, sa licence en poche, il entre à la Société nationale des eaux du Cameroun, avant d’être recruté par Cameroon Airlines. Dans la capitale économique, il rencontre feu Douala Moutomè, futur ministre de la Justice, et Alice Nkom, première femme admise au barreau de Douala en 1969.
Puis il met le cap sur les États-Unis et décroche à Boston un master en droit en 1989 et un doctorat en sciences politiques quatre ans plus tard. Le fils du Nord-Ouest fréquente alors l’Association des étudiants noirs en droit, où Barack Obama se fait déjà remarquer. « Cela a coïncidé avec la chute du mur de Berlin et l’émergence de la démocratie en Afrique. Des structures se sont formées, et j’ai voulu y participer », explique-t-il.
Fomunyoh intègre le NDI de l’ex-secrétaire d’État américaine Madeleine Albright, fondé en 1983. Vivant avec sa femme Mary-Ann, rencontrée à Yaoundé en 1982, qui a rejoint le secteur bancaire, il grimpe les échelons jusqu’à la direction du département Afrique. « L’éloignement était difficile, mais j’ai compris qu’en restant au NDI je travaillais pour le Cameroun », assure-t-il.
De fait, au contact d’anciens présidents tel le Béninois Nicéphore Soglo ou le Mozambicain Joachim Chissano, il demeure proche du continent. En 1999, il lance à Bamenda, au Cameroun, une fondation qui promeut la démocratie et la bonne gouvernance. « Chris » sait conserver ses amitiés, y compris au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), dont il a côtoyé plusieurs futurs cadres à l’université. « Certains m’encouragent à me lancer en politique », glisse-t-il, sans toutefois citer de noms. Suivra-t-il leur conseil ?
Au Cameroun, ses proches travaillent sur une déclaration de candidature et un programme qui pourraient être officialisés dans les prochaines semaines. Pressenti en 2004 et 2011 déjà pour se présenter à la présidentielle, ce père de trois enfants (Franklin, Brian et Christina) y avait renoncé. Si, selon lui, « les temps ont changé », l’homme reste extrêmement prudent, sachant à quel point les attentes sont fortes. Et surtout, des doutes l’assaillent.
D’une part, le calendrier électoral n’étant pas clairement défini, les prétendants potentiels n’ont aucune visibilité pour lancer leur campagne. D’autre part, Paul Biya n’a toujours pas annoncé ses intentions. « À plus de 80 ans, il devrait pourtant se prononcer pour un renouvellement, dans un pays où les jeunes sont au chômage quand les vieux vivent sur l’argent de l’État », déplore Christopher Fomunyoh.
Autre obstacle : l’envergure incertaine de sa fondation. Certes, ses membres ont sillonné le territoire, mais, sans élus, suffirait-elle à porter sa candidature ? L’intéressé veut croire que oui : « Ne pas être l’adhérent d’un parti constitue peut-être même un atout… » Un avis qui ne fait pas l’unanimité.
« Il ne vit pas au Cameroun et ne contrôle aucun organe politique susceptible de mobiliser les ressources humaines que requiert l’éviction du régime Biya-RDPC à l’Assemblée nationale et au Sénat, relativise Abel Elimbi Lobe. Il lui faudrait le soutien d’un certain nombre de partis, qui lui fourniraient des candidats aux législatives et aux municipales. »
Injecter du sang neuf
Un tel ralliement est-il plausible ? Difficile de l’imaginer, que ce soit de la part du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), de Maurice Kamto, qu’il connaît depuis les années 1970, ou du SDF, la principale force d’opposition. Si Fomunyoh se montre méfiant envers les formations traditionnelles, celles-ci le lui rendent bien. « C’est un parfait imposteur, connu uniquement du microcosme médiatique. S’il espère devenir président de la République, qu’il réside d’abord au Cameroun ! » persifle un cadre du SDF.
Un procès pour éloignement que l’intéressé écarte d’un revers de main. « Parmi l’élite camerounaise, beaucoup sont incapables de réfléchir à grande échelle et pensent que ce qu’on ne voit pas n’existe pas. Mais qui connaissait John Fru Ndi [le fondateur du SDF] avant 1991 ? Avait-il une base politique ? » ironise-t-il.
Quant à la problématique financière, Fomunyoh se dit confiant : « Bien sûr qu’une campagne coûte cher, surtout face à des adversaires qui puisent dans le Trésor public ! Mais le gagnant n’est pas toujours le plus nanti. » Alors qu’il espère depuis près de quinze ans « injecter du sang neuf » et « apporter son ambition et ses principes », l’homme n’a pas changé de credo. Il en est convaincu : « Le Cameroun en a besoin. »
Un homme de réseaux
Christopher Fomunyoh compte bien tirer avantage de ses relations avec d’anciens chefs d’État. Parmi ses potentiels conseillers, certains ex-dirigeants signataires de la Déclaration de Bamako, en 2005, dont il a été l’un des artisans : le Béninois Nicéphore Soglo, le Ghanéen Jerry Rawlings, le Mozambicain Joaquim Chiasso, ou Miguel Trovoada de Sao Tomé-et-Principe.
Coup de théâtre
À la surprise générale, Paul Biya a décrété le 30 août l’abandon des poursuites à l’encontre de « Félix Nkongo Agbor Balla, Fontem Neba, Paul Ayah Abine et certaines autres personnes interpellées dans le cadre des violences survenues ces derniers mois dans les régions du Nord‑Ouest et du Sud-Ouest ». Une mesure d’apaisement loin d’être anodine alors que se profile une rentrée des classes que beaucoup annoncent à haut risque en zone anglophone.
Les débats sur le sujet n’en restent pas moins sensibles. Dans son décret, Paul Biya réaffirme ainsi « sa détermination à combattre sans relâche les ennemis de la paix et du progrès qui, sous le couvert de revendications politiques, essaient de prendre en otage l’avenir » du Cameroun. Coïncidence ?
Le même jour, les autorités ont interdit la tenue d’une rencontre entre le Club des journalistes politiques du Cameroun et Christopher Fomunyoh, qui devait porter, entre autres, sur la situation dans les régions anglophones.
Avec jeuneafrique